Nelly Ben-Or : son piano l’a aidée à survivre à la Shoah
La pianiste internationale a fait paraître une autobiographie, un récit sur la trahison, la famine et le sacrifice de soi - et sa volonté de poursuivre une vie artistique

LONDRES (JTA) — Comme d’innombrables pianistes de renommée internationale, Nelly Ben-Or a commencé à jouer du piano à 5 ans et n’a jamais cessé depuis.
Cette discipline a permis à Nelly Ben-Or, aujourd’hui âgée de 88 ans, de devenir une pianiste saluée à l’international et la personnalité la plus reconnue pour son adaptation de la technique Alexander visant l’amélioration de la posture et du mouvement chez les musiciens.
Mais contrairement à la majorité de ses pairs, une grande partie de l’apprentissage musical de Ben-Or, dans sa Pologne natale, a eu lieu alors que sa famille vivait dans la clandestinité dans la ville de Varsovie, alors occupée par les nazis. Sa mère, Antonina Podhoretz, prenait les plus grands risques pour permettre à sa fille d’accéder au piano, un instrument alors rare.
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La pianiste, qui vit dorénavant à Londres et enseigne encore le piano et la technique Alexander, présente le récit de sa survie improbable dans une autobiographie en anglais, publiée cette année sous le titre : Ashes to Light: A Holocaust Childhood to a Life in Music (Des cendres à la lumière : d’une enfance sous la Shoah à une vie en musique, en français)
Ce récit spontané et court évoque des questions personnelles, telles que les moments de dépression de son auteure et ses actes de cruauté gratuits envers l’une de ses professeures de musique après la guerre. Il a été qualifié « d’histoire personnelle brillante et profondément émouvante » par Jonathan Vaughan, l’un des directeurs de la prestigieuse école de comédie et de musique Guildhal.
Le rabbin Andrew Goldstein, président du mouvement du judaïsme libéral britannique, a évoqué pour sa part une « histoire inspirante et joliment écrite » dans une introduction écrite pour le livre.
La force de l’histoire de Nelly Ben-Or, mise en lumière au mois de juillet par la radio BBC World, émane en partie du témoignage de l’auteure sur des moments historiques de la guerre – notamment sur le soulèvement du ghetto de Varsovie. Mais son caractère unique réside dans sa façon d’allier les contraires – trahison et héroïsme, faim et créativité artistique, survie et sacrifice de soi.
Tout au long de l’ouvrage de 180 pages, un personnage – le piano – fait des apparitions répétées et improbables.

L’instrument est présent dès les premiers souvenirs de Ben-Or – son enfance passée à Lwow, qui faisait partie de la Pologne avant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir aujourd’hui Lviv, en Ukraine. Elle se souvient ainsi qu’à l’âge de six ans, les Allemands avaient emporté le piano sur lequel elle travaillait dans le salon de la maison familiale.
« Je frissonnais de peur et de désespoir, blottie contre le corps de ma mère alors que je les regardais s’emparer de cet instrument qui était devenu pour moi une source de magie si merveilleuse », écrit Ben-Or.
Sa famille allait alors perdre davantage que ses biens les plus précieux.
Le père de Ben-Or, Leon, avait été enlevé et, avait-elle appris plus tard, tué au camp de concentration de Janowska.
Sa mère et sa sœur aînée étaient parvenues à obtenir de fausses identités « aryennes » mais allaient devenir sans-abri, enchaînant les cachettes où vivre dans la clandestinité. Sa sœur était finalement restée seule. Ben-Or et sa mère, pour leur part, s’étaient battues pour quitter Lwow et rejoindre Varsovie, où leurs chances de survie étaient meilleures.
Coup du sort parmi d’autres, elles ont raté le dernier train pour Varsovie, empruntant finalement un train militaire rempli d’officiers SS. Un militaire nazi avait même bordé avec son manteau vert Ben-Or lorsque cette dernière s’étaient endormie pendant ce long voyage, se rappelle-t-elle dans le livre.
Le train civil qu’elles avaient manqué avait finalement fait l’objet d’un contrôle. Plusieurs Juifs circulant sous de fausses identités avaient été arrêtés et envoyés à la mort, avait ultérieurement appris la mère de Ben-Or.
A Varsovie, mère et fille devinrent les sous-locataires d’une famille de la classe ouvrière polonaise, les Topolski. Leurs hôtes avaient rapidement compris qu’elles étaient juives. Acceptant de prendre de grands risques, ils ne les avaient pas dénoncées. Les voisins, suspicieux, allaient toutefois finir par forcer les deux Juives à chercher un nouvel endroit où vivre. C’est là que la mère de Ben-Or trouva un emploi de domestique au sein d’une riche famille polonaise non-juive, les Kowalski.
C’est à cette occasion que Nelly, âgée de sept ou huit ans, revit un piano.
« Mon désir d’aller vers l’instrument et de jouer m’a poussée à harceler ma mère pour qu’elle demande » aux Kowalski l’autorisation d’y accéder, écrit Ben-Or. Mais sa mère craignait toutefois qu’une telle demande n’anéantisse sa couverture de domestique issue de la classe ouvrière, venue avec sa fille.

« Les dons musicaux sont si souvent associés aux Juifs », écrit encore Ben-Or.
Mais « une partie de ma mère voulait que je continue à jouer », explique Ben-Or à JTA lors d’un entretien à son domicile situé aux abords de Londres, où elle conserve deux pianos dans une pièce remplie de livres et d’orchidées. Antonina fléchit – mais à la seule condition que Nelly prétende ne pas savoir jouer, se souvient Ben-Or, femme frêle au regard rempli de vivacité.
A l’apogée de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les nazis pourchassaient et exécutaient les gens dans les rues en-dessous de leur maison, Ben-Or jouait de la musique sur un grand piano qui lui apportait brièvement l’espoir d’un retour à une vie normale.
Remarquant son talent, la famille Kowalski avait suggéré que Ben-Or se joigne aux leçons hebdomadaires de piano de leur petite-fille – une proposition acceptée avec réticence par sa mère. Le professeur avait soulevé l’idée d’envoyer Ben-Or dans une école de musique, mais Antonina s’y était opposée.
« Moins les gens me remarqueront, ou te remarqueront, plus nous serons en sécurité », avait dit la mère de Ben-Or à sa fille.
Pendant cette enfance agitée, « jouer du piano pendant des moment choisis de la journée était devenu le paradis sur terre », se rappelle Ben-Or. Le professeur avait insisté pour que Nelly joue durant le concert des élèves. Sa performance la plaça alors au centre des conversations pendant un temps.
Mais les craintes de sa mère allaient s’avérer être justifiées. Rapidement après le concert, les rumeurs qu’Antonina et Nelly n’étaient « pas ce qu’elles prétendaient être » avaient commencé à circuler parmi les voisins, les obligeant à trouver une nouvelle cachette, écrit Ben-Or.
Elles n’avaient pas pu fuir les rafles militaires allemandes qui avaient pris pour cible les citoyens de Varsovie. Ces derniers avaient rejoint une opération de résistance massive consécutive du soulèvement manqué des Juifs dans le ghetto de Varsovie.
Parvenant malgré tout à s’échapper de peu, Nelly et Antonina avaient finalement été relâchées dans la campagne, le camp de concentration dans lequel les Allemands avaient prévu de les envoyer étant plein. Sans argent, affamées, la mère et la fille avaient trouvé refuge dans une porcherie que des locaux avaient aménagée pour les réfugiés comme eux, venus de Varsovie.
Mais même là-bas, « mon oreille entendit le son d’un piano qui venait d’une maison voisine », écrit Ben-Or dans son livre. C’était l’habitation du professeur de piano de la ville de Pruszkow et, une fois encore, sa mère avait accepté qu’elle en joue, à contrecœur. Le professeur décida d’accorder une demi-heure de piano quotidienne à l’enfant.
« Je passais avec enthousiasme d’un morceau de musique à l’autre, jouant tout ce qui était à ma portée », et notamment les valses de Johann Strauss, considérées comme beaucoup trop difficiles pour des élèves de huit ans, note Ben-Or.
« Et pourtant, aujourd’hui, en tant que pianiste et concertiste, je suis convaincue que je dois beaucoup à cette expérience peu orthodoxe mais inestimable du piano », écrit-elle. Elle l’a aidée à conserver son humanité et son espoir dans des moments de désespoir et d’angoisse, dit-elle.
Après la guerre, Ben-Or intègre une école pour musiciens doués. Elle et sa mère quittent la Pologne pour Israël en 1950. Une décennie plus tard, Ben-Or part étudier au Royaume-Uni, dont elle n’est plus repartie. Elle se marie en 1964 et donne naissance à une fille, qui vit à Londres.
Le livre décrit son développement en tant qu’artiste et ses expériences de survivante dans trois pays.
« Il semble que mon appétit vorace pour le progrès académique et musical est le résultat partiel de mes années de répression », écrit Ben-Or. « Comme si l’obscurité des années de la guerre s’était dissipée et que la lumière vive et l’air frais de la liberté avaient rempli tout mon être de la nécessité de recevoir tout ce dont j’avais manqué, autant que possible ».
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