Netanyahu va-t-il parvenir à faire passer le budget et sauver sa coalition ?
Avec une mince majorité, le Premier ministre et le ministre des Finances la jouent rapide et les deniers publics aident à éviter de nouvelles élections
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
Si la Knesset ne vote pas le budget de l’Etat pour les deux années à venir pour 2015-16 avant le 19 novembre, Israël devra réorganiser des élections. Cette exigence – adopter un budget ou faire face aux électeurs – est intégrée dans les lois fondamentales qui définissent les règles de base de la politique israélienne.
C’est une exigence qui transforme la lutte pour le budget de chaque année en une bataille pour la survie de l’ensemble de l’élite politique. C’est une présence menaçante dans l’esprit des politiciens aussi inquiétante que toute élection.
Mais contrairement à une élection, et même si les résultats de ce combat affectent fondamentalement la vie quotidienne de tous les Israéliens, seuls quelques-uns restent attentifs.
Par exemple, les forces de défense israéliennes sont actuellement en train de se battre avec les ministres sur un écart de 6,5 milliards de shekels entre ce que l’armée veut et dit qu’il a besoin pour défendre le pays – 62 milliards de shekels – et ce que le cabinet est prêt à lui accorder – à peu près 55,5 milliards de shekels.
Le fait même que l’écart soit plus important que l’ensemble des budgets de la plupart des ministères – en fait, plus important que tous les investissements dans l’agriculture, le sport, la culture, l’intégration des immigrants, de la recherche scientifique et le développement, et l’ensemble des services diplomatiques combinés – résume le fardeau démesuré que représente le budget de la défense sur l’économie d’Israël.
Personne ne doute de l’importance des dépenses de la Défense, mais le débat pour savoir si l’argent est utilisé de manière efficace est un débat compassé. Une coupe de 10 % dans les dépenses de l’armée grâce à plus d’efficacité – en diminuant par exemple le nombre ou la durée du service de ses conscrits ayant une mission moins cruciale, la diminution de son corps d’officiers ou en instituant des pensions des officiers un peu moins généreux, qui entrent en action à 47 ans, même, peut-être, de trancher dans l’abîme de l’acquisition de l’armement – est suffisante pour augmenter de plus de 60 % le total des dépenses de la nation sur l’enseignement supérieur.
Cela n’est pas nécessairement un argument pour une coupe du budget de la Défense. Le budget actuel est peut-être tout à fait justifié, plus ou moins efficacement dépensé, et tous les shekels de son budget sont nécessaires pour maintenir la nation en sécurité. Mais avec de telles sommes en jeu, et tant de besoins critiques dans la vie civile israélienne insuffisamment assistée, cela représente au moins un argument en faveur d’un débat public plus sérieux et plus transparent.
Ce débat n’arrive pas, et n’arrivera pas dans un avenir proche. Le rapport Locker du mois dernier sur le budget de la défense, commandée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et apparemment, mais pas de vive voix, soutenu par le ministre des Finances, Moshe Kahlon, a été mis à l’écart.
La proposition Locker n’est pas un plan d’austérité. Il aurait augmenté le budget de la Défense de base à un niveau relativement élevé de 59 milliards de shekels tout en libérant des sommes énormes à l’intérieur de l’armée en réduisant les effectifs du personnel et en conséquence en mettant des milliards de trésorerie, à la fois de nouvelles sommes et celles libérées, à l’acquisition et à la formation au combat.
La députée Yesh Atid, Karin Elharar, la présidente de la commission du Contrôle d’Etat de la Knesset, a tenu un débat dans sa commission la semaine dernière au sujet d’un rapport de l’État contrôleur qui révélait que l’armée n’avait pas réussi à freiner les dépenses inefficaces malgré les demandes par diverses commissions gouvernementales pour qu’il le fasse.
Le débat supervisé par Elharar, comme celui qui a lieu dans l’espace public plus large, n’a pas réellement examiné le budget de la Défense lui-même ni offert des recommandations pour un changement de politique plus large dans les dépenses de la Défense.
Le budget 2015-16 a été adopté par le cabinet plus tôt ce mois-ci par un vote quasi unanime, avec une abstention : le ministre de la Défense Moshe Yaalon.
Le budget va maintenant à la Knesset. Il sera officiellement inscrit à l’ordre du jour du Parlement le 31 août et subira son premier débat le 2 septembre et puis ira à une commission pour le processus d’amendements. Si le budget ne passe pas ses deuxième et troisième votes le 19 novembre à la Knesset, et ne remporte pas le soutien des 61 députés de la coalition, la partie sera finie pour la 20e Knesset – à peine six mois après sa naissance.
Diviser pour conquérir
Ce ne fut pas par hasard que Yaalon ait été le seul ministre à ne pas avoir voté en faveur du budget. C’est un vote qui en dit long sur les limites et les faiblesses de la gouvernance israélienne.
Le budget 2015-16 de la Défense représente un peu plus de 55 milliards de shekels. Le grand-budget qui arrive ensuite, le ministère de l’Éducation (qui ne comprend pas l’enseignement supérieur public), représente un peu plus de 47 milliards de shekels. Ces deux budgets représentent à eux seuls plus de 25 % des dépenses publiques projetées dans le nouveau budget.
Mais dans le cabinet et la Knesset, ceux qui supervisent ces budgets, les ministres de la Défense et de l’Education, ont, comme tous les autres ministres ou députés, seulement une voix chacun.
Et de fait, Netanyahu a passé les dernières semaines à chercher à systématiquement s’assurer les votes des ministres des petits ministères, remportant leur soutien, afin de présenter un front uni dans la lutte sur les budgets plus importants.
Ainsi les ministres ont constaté que leurs négociations avec les fonctionnaires du Trésor ont été plus facile que prévu, et que les budgets des ministères de la Science, de l’énergie, l’Agriculture, les Communications, le Logement, l’Intégration et même le budget relativement important (14,2 milliards de shekels) de la Sécurité intérieure, ont augmenté de façon spectaculaire dans le budget 2015.
Les allocations budgétaires sont le principal véhicule du gouvernement pour la mise en œuvre de ses politiques et pour pouvoir fixer ses priorités. Mais dans le système de parti et de liste d’Israël, dans lequel un cabinet est composé de plusieurs chefs de partis en compétition les uns avec les autres pour le même vase des électeurs, les budgets sont définis dans la lutte pour les votes, où le souci principal d’un ministre est généralement de prouver leur poids politique en négociant avec succès une expansion du budget pour leur ministère.
Est-ce que le ministère de l’Energie a réellement besoin de millions 366 de shekels ? Ou le ministère de la Science 1,2 milliard de shekels ? Est-ce que le ministère des Communications a vraiment besoin d’une augmentation du budget de 30 % en une seule année fiscale ?
Que chaque ministère puisse prouver qu’il dépense ces fonds obtenus politiquement à destination de causes valables n’est pas le problème. Dans un monde où les besoins dépassent toujours les ressources disponibles, l’une des questions les plus importantes dans la vie politique de toute nation moderne est de savoir comment les fonctionnaires hiérarchisent les dépenses publiques.
Dans le cas d’Israël, une grande partie de l’ordre de priorité n’est pas établi pour des raisons qui ont beaucoup à voir avec la nécessité ou des objectifs politiques, et qui ont beaucoup à voir avec l’achat de voix. Ce n’est pas un problème qui a commencé avec Benjamin Netanyahu. Il est imbriqué dans le système de coalitions parlementaires entre les listes des partis à l’échelle nationale.
Certains, y compris le directeur général du ministère des Finances, Shai Babad, dans un moment de faiblesse et de la magnanimité au cours d’une interview à la radio la semaine dernière, a affirmé que ce système est fondamental pour la démocratie et permettait que les besoins des différentes circonscriptions soient reflétées dans le budget national.
Mais la plupart des ministères dont le budget a gonflé dans le budget proposé 2015-16 sont dirigés par des ministres du Likud qui ne représentent pas une circonscription différente de leur Premier ministre.
Ce n’est pas par hasard que le budget du ministère des Affaires étrangères, qui est perpétuellement à court de trésorerie, dont le ministre est Netanyahu lui-même et qui donc n’a pas à être courtisé pour obtenir un vote, voit son budget efficacement gelé pour 2015.
Et la bataille pour la définition de ce budget, celui entre Yaalon et Netanyahu / Kahlon sur le plafonnement espéré pour l’expansion du budget de l’armée de la Défense, est un combat entre deux institutions puissantes de l’Etat, le ministère de la Défense et le Trésor, pas entre les circonscriptions de vote.
Ironiquement, le fait même que le ministre de la Défense vienne du propre parti de Netanyahu a signifié que le Trésor, soutenu par le Premier ministre, a travaillé avec les partis concurrents pour abandonner Yaalon seul dans le ring.
La proposition pour le budget 2015-16 a laissé au moins 4 milliards de shekels affectés dans la catégorie « générale » pour les partis de la coalition pour les utiliser pour des causes et des initiatives de leur choix – HaBayit HaYehudi aux institutions des implantations ; Yahadout HaTorah pour des séminaires ultra-orthodoxes ; etc…
Jouer au plus fort
Le budget est en fait composé de trois projets de loi – celui qui énonce les dépenses, un projet de loi « d’efficacité économique », et le projet de loi sur les arrangements.
Ce dernier est un vaste projet de loi avec des centaines de stipulations. Certains d’entre eux sont des modifications législatives requises pour que le projet de loi sur les dépenses fonctionne : les réglages des taux d’imposition, les changements de l’effectif de personnel des divers organismes, etc…
Mais la plupart des articles du projet de loi sont les réformes que le gouvernement, ou du moins le Trésor, pensait qu’il ne passerait pas tels quels à la Knesset.
Dans le projet de loi actuel, ceux-ci comprennent des réformes controversées du radiodiffuseur public de la nation, l’Israel Broadcasting Authority, ainsi que de l’Israel Electric Corporation, et d’innombrables autres.
La semaine dernière, le conseiller juridique de la Knesset, Eyal Yinon a écrit au président du Parlement, le député, Yuli Edelstein, que le dernier projet de loi sur les arrangements est tout simplement trop long pour être lu par les législateurs et contient trop de réformes sans lien avec le budget – ce qui constitue une violation des propres règles du président sur la minimisation de la portée et la longueur du projet de loi sur les arrangements.
Edelstein, généralement un proche allié de Netanyahu, n’a pas mâché ses mots en réponse. Le projet de loi « ne peut pas passer sous sa forme actuelle », a-t-il promis la semaine dernière.
Netanyahu ne semble pas inquiet de la possibilité que le projet de loi sur les arrangements ne passe pas, ou le budget – et que la Knesset aille à des élections.
Lorsque les législateurs ne peuvent pas être attirés par des fonds publics, leurs votes sont assurés par ce qui est appelé le jeu du « plus fort », les mettant au défi de voter contre la mesure même si cela reviendrait à renverser le gouvernement.
L’éléphant dans la pièce
Le ministre des Finances Moshe Kahlon est un parlementaire averti. Dans les négociations de coalition pour former le nouveau gouvernement, il savait que sa capacité à adopter les réformes sur les logements et les coûts de la vie, réformes qu’il a promis aux élections de mars, dépendrait autant de son pouvoir à la Knesset que de son contrôle du ministère des Finances.
Ainsi sa plus grande bataille avec Netanyahu ne concernait pas les postes ministériels de son parti, mais la présidence de la commission des Finances de la Knesset.
Kahlon a perdu ce combat. Netanyahu, après lui avoir donné les deux ministères des Finances et du Logement, avait besoin de s’assurer du soutien des ultra-orthodoxes du Shas et de Yahadout HaTora – et leurs demandes étaient les mêmes que celles de Kahlon : la commission des Finances de la Knesset et le ministère des Finances. Moshe Gafni de Yahadout HaTorah a remporté le poste à la commission ; Yitzhak Cohen de Shas est l’adjoint de Kahlon au ministère.
La commission des Finances supervise la quasi-totalité du processus de modifications pour le projet de loi budgétaire, et son président a le pouvoir d’arrêter le projet de loi dans son élan. Il est difficile d’exagérer l’influence de facto de ce seul député sur l’élaboration des politiques, qui correspond sans doute à celle du président de la Knesset et du Premier ministre. Sans l’accord de Gafni, le budget est gelé et la Knesset s’effondre.
Et Moshe Gafni a une condition primordiale pour laisser le budget passer l’épreuve de sa commission : l’accord de coalition entre le Likud et Yahadout HaTorah qui promet qu’une nouvelle proposition ultra-orthodoxe sera adoptée avant que la nouvelle Knesset ne passe son premier budget. Gafni veut que cela soit fait.
Dans le cadre de la proposition de loi actuelle, passée par la dernière Knesset grâce aux efforts conjoints de HaBayit HaYehudi et Yesh Atid, la communauté ultra-orthodoxe d’Israël, qui échappe largement à toute forme de service militaire ou civil, devra répondre à certains quotas pour l’enrôlement ou fera face à des sanctions pénales au nom des milliers de jeunes haredim de la communauté qui ne servent pas chaque année.
Le projet de loi est tout sauf applicable – même le président de Yesh Atid, Yair Lapid, l’a admis et les législateurs Haredi de la nouvelle Knesset feront tout pour le faire couler.
Le renouvellement de la lutte sur l’enrôlement Haredi pourrait renverser la majorité de 61 à 59 de Netanyahu. Beaucoup de législateurs de Koulanou et du Likud – des personnes comme la réformatrice religieuse, la députée Rachel Azaria (Koulanou) et le député Yoav Kish du Likud, qui faisait partie du comité Shaked qui a rédigé la loi actuelle – s’opposeront à l’annulation de tout projet abandonnant l’enrôlement pour les ultra-orthodoxes.
L’actuelle ministre de la Justice, Ayelet Shaked d’HaBayit HaYehudi, a fait ses premières armes parlementaires en tant que présidente de ce comité. Et la Haute Cour de justice, qui a annulé la loi Tal au motif qu’elle instaurait un enrôlement militaire inégal entre les Israéliens Haredi et non-Haredi, peut encore entrer dans la mêlée et créer des problèmes supplémentaires pour tout nouvel arrangement.
Début août, une équipe du ministère de la Défense a commencé à travailler sur un nouveau projet de loi. Leur tâche est herculéenne – développer une nouvelle politique qui tiendrait à la Haute Cour, supprimant les sanctions pénales inapplicables et amadouant les législateurs Haredi, et ce en proposant une politique de service national crédible avec laquelle les partisans de la loi actuelle pourraient vivre.
Cela est révélateur que la tâche de la rédaction du nouveau projet de loi n’a pas été remis aux élus à la Knesset. Selon l’accord de coalition avec Yahadout HaTorah, c’est entièrement du ressort du ministre de la Défense.
Pour sûr, les partis ultra-orthodoxes sont aussi désespérés que Netanyahu pour éviter les élections. La dernière fois qu’ils étaient dans l’opposition, pendant la courte vie de 20 mois de la 19e Knesset, les projets de loi ont été adoptés sans opposition significative, tandis que la nouvelle coalition a déjà alloué des milliards de fonds publics aux écoles Haredi à court d’argent et aux institutions.
Le nouveau projet de loi peut adoucir la loi existante, mais il ne reviendra pas sur le cadre inconstitutionnel de l’ancienne loi Tal. Il ne sera pas en mesure de simplement accéder à la demande essentielle pour le service Haredi.
Les législateurs Haredi devront ensuite prendre une décision fatidique : permettre le passage d’une sorte de loi sur le service national, aussi désagréable soit-elle, ou prendre le risque de mettre la coalition au bord de l’effondrement, et probablement la faire effondrer, dans sa bataille pour son retrait.
Ceci est une période troublée dans la politique israélienne, et non pour les raisons les plus souvent invoquées dans le débat public : la partisanerie croissante, un processus de paix au point mort, les tensions avec l’Amérique ou le défi nucléaire iranien.
Israël fait face à la partisanerie beaucoup plus viscérale que dans le passé, des conditions économiques pire, pour ne pas mentionner les crises avec ses alliés et des guerres sanglantes avec ses ennemis. Ces défis continueront à faire face aux dirigeants israéliens dans cette région trouble.
Mais tandis qu’ils sont confrontés à ces défis, les dirigeants d’Israël doivent également composer avec le fait qu’ils supervisent un Parlement fracturé et sectoriel, une politique de lice communale étroite visant les Finances publiques, et un électorat qui refuse de livrer une nette majorité pour gouverner.
Plusieurs milliards de shekels des contribuables sont dépensés dans le budget 2015-16 pour les écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner les mathématiques passé la quatrième année, sur une armée qui croule sous l’argent mais qui ne voit pas loin et sur d’innombrables initiatives des petits ministères non pour la valeur qu’ils apportent aux contribuables, mais simplement pour obtenir les votes des ministres pour un budget plus large que la plupart d’entre eux ont à peine dû lire.