Netanyahu veut des élections – mais il les craint
La base de soutien de longue date du Premier ministre est fissurée. Les élus Likud et ses membres jusqu’alors assurés ne sont plus certains que Netanyahu donne la priorité au pays

Israël est au bord du précipice. Si rien ne se passe avant lundi, la 23ème Knesset sera dissoute et le pays ira aux urnes fin novembre – pour la quatrième fois depuis avril 2019.
Si la Knesset se dissout cette semaine, le pays ira aux élections sans budget ratifié pour 2020. Au moins 15 milliards de shekels seront absents des quelque 415 milliards de shekels dont le gouvernement a besoin pour maintenir son fonctionnement de routine, selon les chiffres présentés à la Knesset le mois dernier. Les programmes pour les jeunes à risque seront fermés – beaucoup l’ont déjà fait – et les écoles subiront des coupes budgétaires drastiques. Les hôpitaux seront touchés. Il en sera de même pour l’armée, la police, les travailleurs sociaux et les infirmiers – tous les appareils de l’État qui font maintenant des heures supplémentaires pour lutter contre la pandémie. Aucune infime partie du secteur non-gouvernemental, y compris certaines des organisations caritatives les plus vitales du pays, ne sera épargnée par des réductions budgétaires drastiques.
Cet état des choses durera après novembre, bien sûr. Une élection en novembre ne fera qu’entamer une nouvelle tentative de former une coalition, processus qui pourrait durer deux, voire trois mois. Si un nouveau gouvernement prête serment avec succès vers janvier, disons, commencera alors le travail acharné de concocter un budget pour l’année passée et pour l’année à venir.
Et tout au long de cette période d’instabilité, de campagnes électorales amères, aliénantes, et de conflits politiques, les israéliens seront toujours aux prises avec la pandémie – dont on attend qu’elle s’aggrave pendant les mois d’hiver – et avec un krach économique dont la fin n’est toujours pas en vue.
C’est un scénario cauchemardesque qui nuira le plus aux parties de la société israélienne – les jeunes à risque, les écoles pauvres, les propriétaires de petites entreprises – les moins à même de faire face au choc.
Le combat n’a pas de contenu, que de la politique.
Le Likud de Netanyahu et Kakhol Lavan de Gantz se disputent pour savoir si le pays adopte un budget d’un an pour 2020 ou un budget de deux années, couvrant à la fois 2020 et 2021.
Netanyahu réclame un budget d’un an, et aucun économiste sérieux, au gouvernement ou en dehors, ne s’est prononcé fermement pour le défendre. Gantz réclame une période de deux ans, et aucun économiste sérieux, au gouvernement ou en dehors, ne s’est prononcé fermement pour le défendre. Le consensus parmi les économistes semble être que la budgétisation est importante, que l’élaboration de politiques tournées vers l’avenir est essentielle, et plus tôt les politiciens mettront en place un budget quel qu’il soit, mieux ce sera.
Mais cette lutte a de vastes ramifications politiques. L’accord de coalition signé par Netanyahu en mai dernier stipule explicitement que le gouvernement adoptera un budget de deux ans couvrant 2020 et 2021. Le problème que cela pose à Netanyahu est simple : selon l’accord, s’il impose de nouvelles élections avant que Gantz ne devienne Premier ministre à son tour, alors Gantz devient Premier ministre par intérim les mois précédant le vote. Pour la première fois en 11 ans, Netanyahu ne sera pas Premier ministre.
À moins qu’évidemment, le gouvernement ne tombe parce qu’aucun budget n’est adopté.
Netanyahu réclame de passer à un budget d’un an, et, en violation flagrante de son accord de coalition, a ordonné au ministère des Finances de n’en produire aucun autre type, car cela signifierait que le gouvernement devra alors adopter un autre budget d’État couvrant 2021 en mars prochain.
Autrement dit, même si le gouvernement survit au combat actuel, Netanyahu aura toujours une ‘sortie de secours’ – quand le moment d’être appelé à la Knesset viendra – pour dissoudre le parlement au printemps et appeler à de nouvelles élections, sans jamais céder son siège à Gantz.
Dès l’instant où les deux hommes ont signé l’accord, Netanyahu a alors cherché des moyens de tricher. Ne trouvant aucune voie évidente pour ce faire dans les engagements de l’accord, il a tout simplement enfreint ces engagements.
Cette description n’est même pas partisane. Les députés du Likud, lorsqu’ils ne sont pas à la télévision, le reconnaissent ouvertement, avec parfois un sourire embarrassé, et parfois un sourire triomphant.
Naftali Bennett, à la tête de la faction de droite Yamina, a déclaré à des associés – le genre d’associés à qui l’on parle quand on veut faire savoir quelque chose aux journalistes politiques sans le dire soi-même ouvertement – qu’il n’est plus disposé à être un membre standard dans un gouvernement Netanyahu. Les sondages lui prédisent actuellement jusqu’à 19 sièges (la faction a remporté six sièges aux élections de mars) et ne serait satisfait que par une rotation dans le rôle de Premier ministre.
Oh, et Bennett devrait être le premier de la rotation, ont déclarés ses associés. Après le traitement de Gantz par Netanyahu, personne ne lui fait suffisamment confiance pour accepter quoi que ce soit d’autre qu’une livraison immédiate en échange de monnaie politique.
Pourtant, rien de tout cela – ni le terrible préjudice que de nouvelles élections infligeraient à la société israélienne, ni la manière flagrante dont Netanyahu a violé ses promesses – ne répond à la question la plus
urgente : Le fera-t-il ? Netanyahu, dans ses efforts incessants pour déjouer son prétendu partenaire de coalition, fera-t-il chavirer le pays ?
Trop dangereux ?
Il semble certainement vouloir que tous le pensent.
Mercredi, Netanyahu a sensiblement changé son fusil d’épaule, passant de prétendre essayer d’empêcher les élections, à tout faire pour mener le pays aux urnes, à l’exception d’annoncer des élections. Jusqu’à mercredi, il avait insisté sur le fait que « tout doit être fait » pour éviter un quatrième vote.
Puis il a visité le marché en plein air Mahane Yehuda à Jérusalem, lieu de prédilection de campagnes électorales.
D’autre part, des clients enthousiastes d’un restaurant du centre d’Israël ont partagé une photo granuleuse de ses chefs de campagne, notamment le porte-parole Yonatan Urich et l’ancien directeur de campagne Ofer Golan, en intense conversation. La photographie était un numéro de claquettes politiques, d’abord parce qu’aucun Israélien ordinaire n’identifierait les deux hommes, ni, vraisemblablement, n’en serait ravi au point de se sentir obligé d’envoyer spontanément une photographie de l’événement aux journalistes politiques.
Mercredi, les députés du Likud ont commencé à recevoir, toutes les 2-3 heures, des consignes sur les sujets à débattre, et la directive de se rendre à la télévision pour trouver des occasions afin de faire entendre lesdits sujets.
C’est une campagne à part entière. Netanyahu faisait savoir au monde qu’il était en posture électorale.
Une élection est-elle donc imminente ?
La simple vérité est que personne n’en sait rien. Un haut responsable du Likud a déclaré au Times of Israel cette semaine qu’il y avait 30 % de chances d’élections maintenant et 70 % de chances qu’un compromis soit atteint, retardant de fait l’effondrement du gouvernement actuel.
En d’autres termes, même les hauts fonctionnaires du Likud s’interrogent sur les intentions de Netanyahu.
Une élection maintenant peut être profondément risquée pour le leader du Likud.
Certaines des causes de ce risque sont bien connues, et évidentes dans tous les sondages. Le Likud a perdu une grande partie son éclat du printemps, quand Netanyahu était encore largement perçu comme ayant réussi à gérer la première vague de la pandémie.
Après des sondages le montrant à la masse énorme de 40 sièges, Netanyahu a maintenant de la chance s’il arrive à 30. Son adversaire Bennett, quant à lui, a vu Yamina passer de six à 19 sièges, une grande partie provenant de partisans du Likud désenchantés par Netanyahu.
En termes d’algèbre de coalition, cela signifie que les électeurs de droite ont une nouvelle voie, sans Netanyahu, pour le poste du Premier ministre: si Bennett et Yair Lapid de Yesh Atid s’en sortent bien aux urnes, ils pourraient gagner, à eux deux, près de 40 sièges. Ajoutez peut-être sept pour Kakhol lavan de Gantz (selon les sondages actuels), peut-être huit pour le parti Yisrael Beytenu d’Avigdor Liberman et la simple abstention de la Liste arabe unie, et vous avez un gouvernement facile. (Certains chevauchements peuvent surprendre des électeurs, entre les agendas de la droite religieuse juive et les factions politiques arabes, y compris sur les questions des budgets municipaux et de la police.)
Et une fois qu’ils se rendront compte qu’ils ne sont pas au pouvoir, on imagine difficilement les partis haredi dans l’opposition et risqueraient de voir le financement de leurs institutions s’assécher.
Il ne s’agit pas de prétendre que ce scénario est le plus probable, mais des sources dans la coalition ont confirmé qu’il s’agissait d’un scénario entretenu ces derniers jours par Netanyahu et ses conseillers. Le fait même qu’un tel scénario soit possible repose sur deux facteurs. Premièrement, les sondages ne montrent aucune victoire directe pour Netanyahu, dans aucun scénario. Il aurait le plus grand parti après une élection, mais sa coalition de droite n’est, dans les sondages, qu’à peine en tête devant les partis fermement engagés à sa destitution.
Deuxièmement, plus personne, dans le système politique, ne fait confiance à Netanyahu. Son grand avantage jusqu’à présent fut la nature soudée des factions alliées. Ses opposants, allant du laïc de droite Yisrael Beytenu à la Liste arabe unie non – ou anti-sioniste, n’ont jamais pu s’allier dans un camp d’opposition unifié.
Mais la malhonnêteté absolue de Netanyahu ces trois derniers mois vient abîmer cet avantage. Il n’y a plus de Gantz dans le système politique israélien, pas même parmi les amis les plus proches de Netanyahu, prêts à risquer leur avenir politique sur une promesse de sa part.
Allégements fiscaux
Puis il y a sa demande de remboursement d’impôt, qui a brisé quelque chose de vital dans sa personnalité politique.
Le 21 juin, le directeur général par intérim du Cabinet du Premier ministre, Ronen Peretz, a présenté un projet de loi à la commission des Finances de la Knesset visant à modifier la liste des dépenses reconnues à des fins fiscales pour un Premier ministre en exercice.
Le projet de loi faisait apparemment partie de l’accord de coalition et prétendait égaliser les conditions salariales du Premier ministre et du Premier ministre en rotation. Le fait qu’il ait été rédigé dans le bureau de Netanyahu a été initialement considéré comme un bon signe – un signe que Netanyahu prévoyait de servir de « Premier ministre en rotation », suivant ses engagements de l’accord de coalition.
La commission des Finances a ensuite commencé à lire attentivement le document, découvrant que, sous l’excuse de respecter l’accord de coalition, Netanyahu avait introduit de nouveaux allégements fiscaux sans précédent pour lui-même, et les avait appliqués rétroactivement sur plus d’une décennie. Selon les nouvelles règles, la plupart des coûts d’exploitation de la villa de Netanyahu à Césarée deviendraient déductibles d’impôt, rétroactivement. Si le projet de loi était adopté, le Trésor Public devrait soudainement au Premier ministre multimillionnaire d’Israël des centaines de milliers de shekels. Même l’eau de la piscine privée de sa maison privée serait déductible.
Le projet de loi a atterri au comité de la Knesset la semaine durant laquelle le ministère des Finances a signalé 750 000 nouveaux chômeurs, des dizaines de milliers de petites entreprises fermées – et durant laquelle également, un projet de loi de budget d’état et plan d’aide en réaction au coronavirus n’ont pas été acceptés par ce même comité.
Le comité a passé une cruciale journée à se chamailler au sujet de la demande de Netanyahu, et le président de la coalition, le député Miki Zohar (Likud), a insisté à la télévision nationale, à tort, sur le fait qu’aucun Premier ministre dans l’histoire n’était tenu de payer les impôts demandés à Netanyahu. (Aucun Premier ministre de l’histoire n’a demandé les allégements fiscaux réclamés par Netanyahu.)
Le sujet s’est éteint peu de temps après. Le cycle de l’actualité politique continue d’avancer.
Mais les journalistes politiques qui parlent régulièrement avec des membres du Likud depuis lors ont entendu parler de l’incident à plusieurs reprises. Il s’est ancré dans la conscience de la base électorale de Netanyahu. Cela l’atteint plus profondément qu’il ne semble le réaliser. L’incident est constamment cité par les membres du Likud comme une explication de la flambée de Bennett dans les sondages.
Comme Meir Micha, le célèbre propriétaire de l’emblématique restaurant de houmous Pinati au centre-ville de Jérusalem, symbole de la classe ouvrière Mizrahi de Jérusalem et partisan de longue date du Likud, l’a dit en juillet : « Pourquoi devons-nous atteindre ce stade, après 40 ans, où je ne peux pas payer mes fournisseurs ? Pourquoi ? Il s’occupe de sa piscine, de l’eau de sa piscine. Pourquoi même en parle-t-on ? C’était un dieu pour nous, Bibi. »
Alors Netanyahu va-t-il forcer de nouvelles élections lundi ?
Il est relativement facile d’étudier les points de vue et de prévoir le comportement de millions de personnes. Il est presque impossible de prédire les actions d’un seul individu. Netanyahu, un vétéran grisonnant des escarmouches politiques israéliennes, voit peut-être en jeu des facteurs que d’autres ne voient pas. La folie humaine est toujours une possibilité; après 11 longues années au pouvoir, il est peut-être devenu myope et arrogant.
Il ne lui coûtera rien s’il adopte le projet de loi actuellement à la Knesset, afin de retarder la date limite du budget de 100 jours, repoussant la dissolution de la Knesset jusqu’à début décembre. D’ici là, Netanyahu espère peut-être des sondages plus favorables montrant moins de soutien à Bennett, une reprise pour le Likud, un déclin de la colère parmi son électorat, etc.
Et si les conditions ne s’améliorent toujours pas d’ici décembre, un autre projet de loi pourrait retarder une fois de plus la dissolution de la Knesset – toujours sans budget, les israéliens toujours sous le choc des incertitudes et de la fermeture de programmes gouvernementaux vitaux. Si une élection reste insensée, quel mal y a-t-il – pour Netanyahu personnellement, bien sûr, pas pour le pays – à sans cesse en prévoir une ?
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