Israël en guerre - Jour 499

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Explications

« Nous préférons mourir plutôt que de servir dans l’armée » : le casse-tête du service militaire

Alors que les soldats sont actuellement déployés à Gaza ou sur la frontière nord, un troisième front est en train de prendre forme - celui de l'enrôlement des ultra-orthodoxes au sein de Tsahal, un sujet qui pourrait renverser la coalition

Des ultra-orthodoxes après des heurts survenus dans le cadre d'une manifestation organisée devant le bureau de recrutement de Tsahal à Jérusalem avec des soldats, hommes et femmes, qui se tiennent derrière eux, le 4 mars 2024. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)
Des ultra-orthodoxes après des heurts survenus dans le cadre d'une manifestation organisée devant le bureau de recrutement de Tsahal à Jérusalem avec des soldats, hommes et femmes, qui se tiennent derrière eux, le 4 mars 2024. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

Alors qu’Israël mène actuellement une guerre prolongée à Gaza, les nombreuses exemptions de service militaire dont bénéficient les jeunes hommes ultra-orthodoxes ont rouvert une fracture profonde dans le pays et elles ébranlent aussi la coalition au pouvoir. Ainsi, au sein du cabinet de guerre, la cellule de commandement militaire gouvernementale, les membres se sont fermement opposés à la proposition de loi sur la conscription qui a été soumise par son dirigeant, le Premier ministre Benjamin Netanyahu.

D’ici la fin du mois, le gouvernement est tenu de présenter une législation dont l’objectif est de revoir à la hausse l’enrôlement des ultra-orthodoxes – ou haredim – dans l’armée. L’échéance approchant, le discours public est devenu de plus en plus toxique, offrant un spectacle très éloigné des démonstrations d’unité qui avaient marqué le début de la guerre.

Jusqu’à présent, le gouvernement de Netanyahu a survécu à la colère ressentie par le public, une colère qui avait été déclenchée par l’attaque meurtrière commise par le Hamas, le 7 octobre 2023, qui avait entraîné la déclaration de guerre – mais la question du service militaire précipite à nouveau la coalition au pouvoir dans les difficultés. L’effondrement du cabinet de guerre, qui compte trois membres, porterait atteinte à la stabilité du pays à un moment particulièrement délicat dans les combats. Mais une perte du soutien des formations haredim causerait la chute de la coalition de la ligne dure de Netanyahu et forcerait les citoyens israéliens à retourner aux urnes à une période où le Premier ministre et son parti du Likud sont franchement à la traîne dans les sondages.

« Politiquement, c’est l’une des menaces les plus concrètes que le gouvernement doit affronter », déclare Gilad Malach, spécialiste des questions Haredim au sein de l’Institut israélien de la Démocratie (IDI), un think-tank de Jérusalem.

La majorité des hommes juifs sont dans l’obligation d’effectuer un service de presque trois ans, qui est suivi de longues années de devoir de réserve. Les citoyennes juives passent elles deux ans sous les drapeaux pour un grand nombre d’entre elles. Mais les Haredim, puissants politiquement, qui comptent pour environ 13 % de la société israélienne, bénéficient traditionnellement d’exemptions lorsqu’ils étudient à plein temps dans les yeshivot – des séminaires religieux. Les exemptions – et les allocations gouvernementales qui sont versées à ces étudiants de la Torah jusqu’à l’âge de 26 ans – exaspèrent le public israélien de façon générale.

La Cour suprême a statué que le système actuellement mis en place était discriminatoire, et elle a donné au gouvernement jusqu’au 1er avril pour présenter une nouvelle loi et jusqu’au 30 juin pour l’adopter.

Les membres des groupes Frères et Soeurs d’Armes et Bonot manifestent contre les exemptions de service militaire obligatoire des hommes ultra-orthodoxes à proximité du Bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 26 mars 2024. (Crédit : AP Photo/Maya Alleruzzo)

Le ministre de la Défense Yoav Gallant et le ministre Benny Gantz – membres, avec Netanyahu, du cabinet de guerre – disent que la législation proposée par le Premier ministre ne va pas assez loin et qu’elle n’augmente pas suffisamment le nombre de jeunes haredim qui seront appelés à rejoindre l’armée. Les critiques estiment que certains aspects du texte qui est proposé, notamment l’élévation de l’âge de l’exemption permanente – un élément qui aurait apparemment été abandonné – sont susceptibles de faire encore davantage baisser les chiffres de l’enrôlement des membres de la communauté.

Gantz, qui est le principal rival politique de Netanyahu, a déclaré que l’ébauche proposée par ce dernier était une « ligne rouge » venant menacer la cohésion nationale et il a fait savoir qu’il avait l’intention de quitter la coalition si le texte devait être approuvé. Gallant, de son côté, a annoncé qu’il ne soutiendrait une nouvelle loi que si cette dernière était appuyée par Gantz et par les membres plus centristes du gouvernement d’urgence qui a été formé au début de la guerre.

Le gouvernement, qui était composé de factions ultra-orthodoxes et de partis issus du mouvement national-religieux lors de sa formation, a été rejoint dans les jours qui ont suivi la déclaration de guerre au Hamas par la formation centriste de Gantz, HaMahane HaMamlahti, en signe d’une unité qui s’avérait très nécessaire dans le sillage de l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023.

Depuis le début des combats contre le Hamas à Gaza, avec les hostilités qui agitent la frontière nord, le gouvernement a rappelé un total de 287 000 réservistes. Il a annoncé la conscription anticipée de 1 300 élèves inscrits dans des programmes prémilitaires et il a poussé à augmenter significativement la durée du service, à la fois pour les jeunes soldats et pour les réservistes.

Un grand nombre de réservistes sont depuis retournés à la vie civile mais ils devraient être encore une fois mobilisés dans les prochains mois, et cette durée plus importante du devoir de réserve, en plus du débat sur le rallongement de la période de service militaire obligatoire, ont davantage attisé la colère du public.

Parmi la majorité juive, le service militaire obligatoire est largement considéré comme un tournant, comme un rite de passage. Les ultra-orthodoxes, de leur côté, disent que leur intégration dans l’armée viendra menacer leur mode de vie ancestral et que leur engagement dans l’étude de la Torah protège tout autant Israël que le fait une armée puissante.

« Nous préférons mourir que de servir dans l’armée israélienne », s’est ainsi exclamé Yona Kruskal, 42 ans, père de 11 enfants et étudiant à plein temps dans un séminaire, alors qu’il bloquait la circulation dans une rue de Jérusalem, la semaine dernière, à l’occasion de l’une des fréquentes manifestations des membres de la communauté qui ont été organisées contre la loi sur la conscription. « Vous n’avez aucun moyen de nous forcer à aller à l’armée, nous savons que l’armée et la religion sont contradictoires, » a-t-il ajouté.

Alors que les Haredim se heurtaient à la police lors du mouvement de protestation, d’autres passants les ont interpellés, scandant : « Honte ! Honte ! »

« Mes amis sont à Gaza alors que vous êtes là, assis par terre », a hurlé un homme. Une femme s’en est pris aux manifestants, criant que son fils était en train de servir dans l’enclave palestinienne pour assurer leur protection.

Des policiers israéliens tentant de déloger par la force des manifestants ultra-orthodoxes qui protestent contre leur enrôlement dans l’armée israélienne, à Jérusalem, le 18 mars 2024. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

Oren Shvill, fondateur de Frères d’armes, un groupe de protestation qui représente les soldats réservistes qui s’opposent à Netanyahu, déclare que les ultra-orthodoxes bénéficient de la protection de l’armée sans apporter leur contribution au partage du « fardeau », expression qui désigne le service militaire en Israël. « La loi est pour tout le monde et elle doit être appliquée de façon égalitaire », dit-il.

Les économistes disent que le système est intenable. Avec un taux de natalité élevé, la communauté ultra-orthodoxe est le segment qui augmente le plus vite au sein de la population israélienne, à environ 4 % tous les ans. Chaque année, environ 13 000 Haredim atteignent l’âge du service militaire obligatoire – il est de 18 ans – mais moins de 10 % d’entre eux se rendent dans les bureaux de recrutement de Tsahal, selon la Commission du contrôle de l’État de la Knesset, qui a récemment tenu une audience sur la question.

« L’un des problèmes qui pouvait encore faire l’objet de débat, dans le passé, et qui est devenu dorénavant bien plus clair, c’est que nous avons besoin d’un plus grand nombre de soldats », explique Yoaz Hendel, ancien conseiller de Netanyahu, député et ministre du cabinet qui vient de terminer ses quatre mois de devoir de réserve en tant que commandant d’une unité des forces spéciales. Il fait remarquer que le fardeau doit être partagé par tous les segments de la population.

Le choc entraîné par les atrocités du 7 octobre avait initialement semblé déterminer certains membres de la communauté ultra-orthodoxe à servir – mais cette tendance ne s’est pas concrétisée davantage.

Des étudiants étudiant à la yeshiva Kamenitz, à Jérusalem, le 25 juillet 2023. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90/Dossier)

Cela fait très longtemps que ce débat divise Israël – et une série de jugements judiciaires a conclu, de manière répétée, à un système injuste. Mais les députés, pressés par les partis Haredim, n’ont rien fait. Il reste difficile de dire si Netanyahu, encore une fois, pourra rester dans cette position d’immobilisme.

La fracture sur le sujet de ces exemptions avait été exacerbée, l’année dernière, lorsque le gouvernement de Netanyahu avait fait avancer un projet de refonte radicale du système judiciaire avec le soutien des députés ultra-orthodoxes, avec un projet de loi où les décisions prises par la Haute-cour sur la conscription militaire auraient pu être contournées par le parlement. Le projet de refonte, dans son ensemble, avait été gelé après le début de la guerre.

Tsahal, de son côté, a tenté d’accommoder les Haredim en mettant en place des unités séparées qui leur permettent de maintenir leurs pratiques religieuses tout en minimisant d’éventuelles interactions avec des femmes.

Ephraïm Luff, 65 ans, étudiant à plein temps dans une yeshiva de la ville ultra-orthodoxe de Bnei Brak, rejette ces efforts livrés par les militaires, déclarant que les hommes qui s’enrôlent dans ces unités ne sont pas « des vrais Haredim« .

« L’armée est la dernière étape de l’éducation israélienne qui consiste à transformer les personnes en Israéliens laïques et à les déconnecter de leurs origines juives », estime Luff, qui évoque la manière dont l’un de ses huit enfants « s’est égaré » en se détournant de l’étude de la Torah à plein temps, choisissant de servir de l’armée en tant que chauffeur de camion pendant dix-huit mois.

Des manifestants réclamant la conscription militaire ultra-orthodoxe manifestant avant l’audition d’un recours demandant l’annulation d’une résolution du gouvernement ordonnant à l’État de ne pas appliquer temporairement une telle conscription devant la Cour suprême, à Jérusalem, le 26 février 2024. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

L’un des deux Grands rabbins du pays, Yitzhak Yosef, a déclaré, ce mois-ci, que les ultra-orthodoxes « partiront tous à l’étranger » s’ils sont dans l’obligation de faire leur service militaire. Des paroles qui ont entraîné de vives condamnations, des critiques fustigeant un encouragement à quitter le territoire dans un moment de grave crise nationale. Mais elles ont aussi été dénoncées pour leur caractère ridicule, un grand nombre d’Israéliens laïques ne voyant, en réalité, aucun problème à un exode de masse des Haredim, selon Malach, de l’IDI.

Au contraire, déclare Malach, l’absence de volonté des responsables Haredim de trouver un compromis alors même que le reste de la société israélienne consent à faire des sacrifices significatifs a encore davantage éloigné le public des membres de la communauté, estime Malach.

« Je ne vois aucune réelle opportunité de changement dans ce gouvernement », ajoute-t-il. « Mais s’il y a des élections et s’il y a une coalition sans ultra-orthodoxes ou avec des partis ultra-orthodoxes affaiblis, il pourrait y avoir du changement. »

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