Pamela Nadell, 4e témoin au Congrès, sur la crise de l’antisémitisme aux États-Unis
L'historienne, aux premières loges aux côtés des trois doyennes d'université pour leur témoignage bouleversant sur la haine des Juifs sur les campus, dissèque le « changement radical » opéré depuis le 7 octobre
NEW YORK – Lors de l’audition du Congrès sur l’antisémitisme qui a bouleversé le monde universitaire américain, le 5 décembre dernier, quatre femmes étaient assises au premier plan – trois doyennes d’université et une experte faisant office de témoin.
Deux de ces doyennes d’université – celle de Harvard, Claudine Gay, et celle de l’Université de Pennsylvanie, Liz Magill – ont démissionné peu de temps après, en grande partie du fait de leur témoignage ce jour-là. Sally Kornbluth, du Massachusetts Institute of Technology, a subi de fortes pressions dans le même sens, mais elle est toujours à son poste.
Et le témoin expert, la Dre Pamela Nadell, est toujours titulaire de la chaire Patrick Clendenen en histoire des femmes et du genre et directrice du programme d’études juives à l’American University de Washington, DC – et elle demeure dubitative sur l’antisémitisme aux États-Unis.
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Elle rédige actuellement un livre sur l’histoire de l’antisémitisme américain et confiait récemment au Times of Israël par téléphone qu’elle n’aurait jamais imaginé ce qui allait se passer après cette audience de décembre, même si elle était – littéralement – aux premières loges.
« Aurais-je pu prédire les retombées de cette audience ? », demande-t-elle de manière rhétorique. « Absolument pas. C’était impossible. »
Nadell se trouvait à la table des doyennes d’université pour évoquer l’antisémitisme aux États-Unis, hier et aujourd’hui. Son témoignage écrit a consisté en une énumération des tropes et fake news antisémites, soulignant que « l’antisémitisme que l’on voit dans les universités aujourd’hui n’est qu’une partie du marigot antisémite toxique dans lequel baignent malgré eux les Juifs aux États-Unis ».
Dans son témoignage écrit en décembre, Nadell a rappelé qu’il s’agissait de sa troisième audience devant le Congrès à propos de l’antisémitisme aux États-Unis. La première fois, a-t-elle écrit, c’était en 2017, trois mois après un défilé, au slogan de « Les Juifs ne nous remplaceront pas », de suprémacistes blancs à l’Université de Virginie, lors d’un rassemblement Unite the Right évoquant les troupes d’assaut nazies défilant dans les rues d’Allemagne dans les années 1930.
« J’insiste sur ce point parce que l’antisémitisme qui se répand sur les campus aujourd’hui n’a rien de nouveau », a-t-elle écrit. « C’est la continuation d’une longue histoire antisémite au sein des universités de notre pays, l’évolution de l’antisémitisme dans la vie américaine. »
Dans son témoignage écrit pour l’audience de décembre comme dans son interview pour cet article, Nadell souligne que le 7 octobre – jour où des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont brutalement assassiné 1 200 personnes dans le sud d’Israël et fait 253 otages – est « une ligne de fracture » en matière d’antisémitisme aux États-Unis.
Elle a également fait référence à l’historien Leonard Dinnerstein, qui déclarait en 2012 puis en 2016 que l’antisémitisme aux États-Unis était « à ce point insignifiant que les Juifs américains ne le voyaient pas, ne le ressentaient pas et ne l’entendaient pas – il ne perturbait pas leur vie quotidienne ».
« Il s’agit là d’un changement radical », confie Nadell au Times of Israël. « Toutes mes conversations depuis le 7 octobre tournent autour de cela : « Pensiez-vous que l’on vivrait un jour une chose pareille en Amérique ? »
Malgré toute l’attention accordée aux propos de Gay et Magill, Nadell dit avoir noté que le témoignage de Kornbluth, la doyenne du MIT, « avait vraiment trouvé un écho en moi. Et c’est une chose qu’elle dit depuis longtemps, à savoir qu’il y a une différence entre ce que nous pouvons nous dire, c’est-à-dire ce que nous avons le droit de dire, et ce que nous devrions dire en tant que membres de la communauté. »
« Nous avons perdu l’habitude de la civilité aux États-Unis », estime Nadell. « C’était absolument évident lors des deux récentes audiences auxquelles j’ai participé, et il serait étonnant que nous obtenions des dirigeants qu’ils donnent l’exemple de la civilité. »
Nadell n’a pas souhaité s’étendre sur le contenu des audiences, si ce n’est pour dire que le fait que l’administration et le parti du président américain Joe Biden aient jugé bon de les tenir et d’élaborer une stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme, étaient plus importants que ces moments dits « viraux ».
Cependant, ajoute-t-elle, il faut en faire davantage pour que les plaintes adressées au Service des droits civils du ministère de l’Éducation en vertu du titre VI – protecteur des employés des institutions financées par le gouvernement fédéral contre toute discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’origine – soient traitées de manière appropriée.
« Le problème, c’est qu’aujourd’hui, 60 infractions au Titre VI pour faits d’antisémitisme ont été notifiées au Service des droits civiques – mais ce dernier n’a ni assez de moyens ni assez de personnel », ajoute Nadell. « Les Républicains dénoncent l’antisémitisme depuis leur position de parti minoritaire, mais si nous voulons vraiment faire quelque chose à ce sujet, il faut que les services chargés d’y faire face disposent de fonds. »
Nadell dit ne pas être autorisée à évoquer les circonstances de la plainte déposée contre son employeur, American University, tout juste dit-elle que la récente décision de l’université privée d’interdire les manifestations à l’intérieur du campus était « absolument essentielle et très audacieuse ».
Dans de nombreuses universités aux États-Unis, comme à l’American University, les cours ont été perturbés et l’accès aux espaces universitaires entravé par des manifestants anti-Israël.
Même si cette décision est un succès, Nadell assure que la lutte contre l’antisémitisme se heurte souvent au fait que les gens ignorent ce qu’il est et la façon dont il se manifeste.
« L’un des échecs majeurs dans la lutte contre l’antisémitisme est l’incapacité à comprendre l’histoire, l’ampleur et les dimensions de l’antisémitisme », explique Nadell. « Les gens disent des choses sans avoir la moindre idée qu’elles renvoient à des tropes et des stéréotypes très anciens, parfois médiévaux ou plus anciens encore, et que la communauté juive y est très sensible. »
Un deuxième problème récurrent, estime Nadell, « est la question de savoir qui peut définir ce qu’est l’antisémitisme. Tous ces propos et actions, aujourd’hui considérés par certains comme ‘acceptables’, auraient fait l’objet de mesures beaucoup plus rapides et efficaces s’ils avaient visé n’importe quel autre groupe minoritaire aux États-Unis, religieux, ethnique, politique ou autre.
Nadell confie être plus sensible à ces questions depuis qu’elle a entrepris la rédaction de son étude historique de l’antisémitisme aux États-Unis.
« L’historienne que je suis entend les échos du passé dans le présent : je le sais parce que je connais bien ce moment de l’histoire », explique Nadell. « On a longtemps eu l’impression que l’antisémitisme n’était pas un problème américain. Nous n’avons pas eu de génocide, nous n’avons pas eu de pogroms – c’est quelque chose qui ressurgit de temps en temps, comme [le massacre de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh], une véritable horreur – mais on n’a pas le sentiment que cela appartient à une sorte de tradition. Dans ces circonstances, comment ce qui se passe sur les campus aujourd’hui pourrait-il être de l’antisémitisme ? »
Nadell se réfère à un récent article du Wall Street Journal dans lequel les manifestants américains, à qui l’on demandait ce que signifiait « de la rivière à la mer », ne savaient pour la plupart pas de quelle rivière ou de quelle mer il s’agissait, ni quelles en étaient les implications.
« Peut-être que l’éducation fait la différence », suggère Nadell, soulignant qu’une fois que les manifestants avaient compris ce que signifiait ce slogan, nombre d’entre eux ne le disaient plus. « Il s’agit de problèmes considérables et très difficiles à régler. Mais ce qui est sûr, c’est que nombre de ceux qui se disent anti-sionistes militent activement en faveur de la destruction de l’État d’Israël. »
Interrogée sur son degré d’optimisme quant à l’avenir des Juifs en Amérique, Nadell prend un moment avant de répondre.
« Tout le monde pense que les historiens ont quelque chose à dire à propos de l’avenir », dit-elle en riant. « Est-ce que je suis optimiste ? Je ne dirais pas que je suis optimiste, je dirais que j’ai de l’espoir. J’espère que nous parviendrons, une nouvelle fois, à remettre le génie maléfique de l’antisémitisme dans la lampe. »
« Je suis grand-mère », confie Nadell. « Mon petit-fils va-t-il grandir dans un monde meilleur ? Je l’espère. J’ai atteint l’âge adulte à une époque où beaucoup d’obstacles antisémites structurels – comme les quotas – étaient tombés, et j’ai pu vivre cet âge d’or. Que va-t-il se passer à l’avenir ? Eh bien, pour ces raisons, je n’utiliserais pas le mot ‘optimiste’. Mais je garde l’espoir. »
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