Pénaliser la prière mixte au mur Occidental: Netanyahu défend le statu quo après un tollé
La proposition du Shas visait à imposer de nouvelles restrictions et de lourdes peines aux "contrevenants"
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré jeudi que le projet de loi visant à imposer d’importantes restrictions sur la liberté de culte au mur Occidental a été suspendu.
Netanyahu a déclaré qu’il avait parlé avec les chefs de la coalition et qu’ils étaient d’accord pour que le projet de loi « ne soit pas présenté pour le moment ».
Dans un message adressé aux chefs des partis de la coalition, le ministre de la Justice, Yariv Levin, qui dirige la commission ministérielle des Lois, a précisé que le projet de loi ne serait pas présenté à la commission lorsqu’il se réunira dimanche.
Ce projet de loi exceptionnel interdirait notamment la prière mixte et égalitaire dans la section du lieu saint où elle est actuellement autorisée et qui rendrait passible de sanctions pénales les activités menées par le groupe les Femmes du mur, qui milite pour le droit à la prière et interdirait aussi la présence des visiteurs dont les tenues seraient considérées comme « impudiques ».
Le texte sanctionnerait les contrevenants à hauteur d’une peine de six mois de prison ou d’une amende de 10 000 shekels.
Cette loi – qui avait été mentionnée dans des termes généraux dans les accords de la coalition – a été ajoutée à la dernière minute à l’ordre du jour de la réunion de dimanche de la Commission des Lois. Les médias israéliens ont fait savoir que le chef du parti ultra-orthodoxe, le Shas, Aryeh Deri, voulait qu’elle soit soumise en lecture préliminaire à la Knesset au cours des prochains jours.
Le site d’information Ynet a cité des sources du Likud, qui ont fait savoir que la formation avait été prise par surprise par l’initiative du Shas d’inscrire le texte à l’ordre du jour de la commission, une décision qui n’avait apparemment pas été coordonnée avec le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Ce qui reflète, selon le site d’information, la « relation complexe » qui unit Deri et Netanyahu.
Jeudi après-midi, le Premier ministre a publié une vidéo, cherchant à calmer les craintes et affirmant que les règles du site le plus sacré où les Juifs peuvent prier resteraient inchangées.
« J’ai entendu les gros titres ce matin au sujet du mur Occidental et je souhaite rassurer et clarifier la situation. Le statu quo au Kotel, qui est précieux pour tous les Juifs, sera maintenu précisément comme il l’est aujourd’hui », a déclaré Netanyahu.
« Le mur Occidental restera exactement comme il est aujourd’hui », a-t-il ajouté.
Le Premier ministre n’a toutefois pas expressément exclu que le projet de loi soit présenté sous une autre forme à l’avenir.
Déposée par le député Uriel Buso (Shas), le texte stipule qu’il sera dorénavant interdit « d’organiser une cérémonie, notamment une cérémonie religieuse, non-conforme aux traditions du site et susceptible de blesser les sentiments des fidèles dans leur relation avec le lieu saint ». Les « traditions du site » sont, dans ce projet de loi, celles qui ont été déterminées par le Grand-Rabbinat orthodoxe, dirigé par les ultra-orthodoxes et le rabbin désigné du mur Occidental, le rabbin Shmuel Rabinovitch.
Le projet de loi rend par ailleurs explicitement hors-la-loi la prière mixte au mur Occidental.
De plus, ce texte controversé rend illégal « toute tenue non-adaptée au caractère sacré du site » – une référence faite aux vêtements considérés comme trop « impudiques » aux yeux des ultra-orthodoxes, et une règle qui concerne majoritairement les femmes.
Selon le projet de loi, jouer de la musique et chanter sur le site, sans approbation préalable, auraient été passibles de sanctions pénales. De plus il aurait interdit de violer le Shabbat sur le lieu saint (par le biais, par exemple, de l’utilisation d’un téléphone mobile).
Selon la carte qui accompagne le projet de loi, toutes les restrictions s’appliquent à toute la place du mur Occidental, notamment au Centre Davidson adjacent au mur et dans la zone mixte, qui se trouve au sud de la place centrale et qui sert aujourd’hui d’espace de prière pour les Juifs réformés, un lieu où ils peuvent actuellement se recueillir sans restriction.
Au sein de la section des femmes, la proposition interdirait toute cérémonie incluant la lecture d’un rouleau de Torah – et même sa simple introduction. Elle interdirait aussi aux femmes de souffler dans le shofar, de porter un châle de prière ou des teffilins – des phylactères. Toutes ces initiatives avaient été prises par le groupe des Femmes du mur dans le passé, et des jugements rendus par les tribunaux avaient réaffirmé le droit des femmes à se livrer à ce type de rituel dans la section qui leur est réservée au mur Occidental, à l’exception de l’introduction d’un rouleau de Torah.
Le mur Occidental est l’un des seuls vestiges du mur de soutènement qui aidait à retenir un plateau artificiel sur lequel le Second Temple se dressait à l’époque du roi Hérode. Le Temple et une grande partie du mur avaient été ultérieurement détruits par les Romains en l’an 70 de notre ère.
Pour les Juifs, qui n’ont pas le droit de prier sur le mont du Temple en raison des règles appliquées en Israël, le mur Occidental est le lieu de prière le plus proche de l’ancien site du Saint des Saints, à l’intérieur du Temple détruit. Le mur Occidental est considéré comme le lieu le plus saint où les Juifs peuvent se recueillir.
Les médias israéliens ont laissé entendre que le gouvernement était déterminé à faire rapidement avancer le projet de loi et qu’il voulait qu’il soit approuvé en lecture préliminaire à la Knesset, en raison d’un débat prévu devant la Haute cour où l’État est tenu de répondre à des requêtes qui exigeaient une reconnaissance officielle de la section égalitaire et l’autorisation, de la part du gouvernement, de la prière mixte sur la place principale.
Des responsables du Shas, qui se sont exprimés sous couvert d’anonymat auprès du site Walla, auraient déclaré que si le projet de loi passait au vote à la Knesset avant le débat du 28 février, l’État pourrait dire au tribunal qu’une loi est venue régler le problème, ce qui rendrait toute intervention juridique inutile.
Face à la réaction immédiate de l’opinion publique, le Shas a tenté de limiter les dégâts, un responsable ayant déclaré précédemment, sous couvert d’anonymat, que le projet de loi serait adouci pour supprimer l’amende et la peine de prison.
Le Shas a déclaré ensuite annoncé avoir accepté de retirer le projet de loi après avoir reçu l’assurance du Premier ministre qu’il tâchera de reporter une audience de la Cour Suprême sur les requêtes pour la reconnaissance officielle de la section égalitaire ou l’autorisation de la prière mixte sur l’esplanade centrale.
« Nous saluons la déclaration du Premier ministre annonçant que le statu quo sera maintenu, comme il l’a été jusqu’à présent », a déclaré le parti haredi de la coalition dans un communiqué.
« Le mur Occidental n’a pas besoin de loi. La majorité de la nation juive respecte la sainteté du lieu, à l’exception de quelques femmes provocatrices qui ne cessent d’en faire une arène de combat politique, le tout sous le couvert de la Haute Cour », poursuit le communiqué, en référence aux Femmes du Mur.
Le Shas a insisté sur le fait que sa proposition visait à « préserver la situation actuelle ». Il a également dénoncé les critiques du projet de loi comme étant du « populisme de bas étage ».
En réponse à l’information portant sur l’existence de cette proposition, une pluie de critiques s’est manifestée dans la journée de jeudi – des critiques issues des personnalités de l’opposition, des groupes libéraux de défense des droits de l’Homme et d’autres.
L’organisation des Femmes du mur a évoqué « un scandale » ; elle a juré de continuer à prier conformément à ses traditions, comme elle le fait depuis près de trente ans.
« Pour tous ceux qui considèrent qu’un Israël Juif et démocratique est important, la situation est urgente. Elle l’est aussi pour tous ceux qui considèrent que la nécessité de conserver le mur Occidental en tant que foyer ouvert à tout le peuple juif est importante », a dit le groupe.
« Une subordination totale du site au Grand-Rabbinat vient contredire la réalité existante et elle portera gravement préjudice à la liberté de culte, en particulier dans la section réservée aux femmes », a ajouté le groupe. « Ce que la loi implique, c’est que pour la toute première fois, il sera légalement interdit aux femmes de prier conformément à leurs coutumes et que toute personne qui n’accepte pas l’autorité du Grand-Rabbinat deviendra purement et simplement un criminel. »
Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a déclaré pour sa part que le texte de loi « signifie une chose : le mur Occidental n’appartient dorénavant plus à tout le monde ». « Le gouvernement d’extrême-droite continue à détruire la nation d’Israël. Il ne décidera pas pour nous qui est plus ou moins Juif. »
Il a ajouté que « si cette proposition passe, Israël ne sera plus un pays libre ». « Plutôt que d’être un symbole d’unité, le mur Occidental deviendra le symbole de l’oppression des femmes, de la discrimination contre les laïcs et de la rupture de notre alliance avec les Juifs du monde entier. »
Un sentiment partagé par de nombreux membres de l’opposition et notamment par l’ancien ministre des Affaires de la Diaspora, Nachman Shaï, qui a écrit sur Twitter que la législation « est la recette idéale pour compromettre totalement notre relation avec la Diaspora ». « Allez-y, pourquoi pas ? Vous vous fichez de la Diaspora de toute façon. »
Même certaines personnalités de la coalition ont critiqué cette proposition. Miki Zohar, ministre de la Culture et des Sports, a expliqué que le mur Occidental « appartient à toute la nation d’Israël ». « Il est saint pour tous les Juifs et nous n’avons pas besoin d’une loi pour préserver son caractère sacré. La préservation du statu quo [sur la relation entre la religion et l’État] est déterminante pour sauvegarder l’unité du pays. »
Hiddush, une organisation à but non-lucratif qui défend la liberté religieuse et l’égalité, a fait remarquer avec ironie que le projet de loi aurait dû porter le nom « le Shas contre le peuple juif » et elle a noté « qu’en temps normal, Netanyahu se serait assuré qu’il soit supprimé de l’ordre du jour ».
« Mais aujourd’hui, alors que son gouvernement dépend de la réalisation des rêves incongrus des ultra-orthodoxes, la commission des Lois approuvera probablement cette demande dimanche, ce qui précipitera une nouvelle fois les relations d’Israël et de la Diaspora dans la tourmente », a commenté le directeur de Hiddush, Uri Regev.
Le Mouvement réformé, pour sa part, a évoqué « un scandale absolu », disant que le mur Occidental « ne peut sûrement pas être géré comme une synagogue haredi ».
« Le gouvernement d’Israël semble avoir oublié que l’État d’Israël est l’État de la nation juive toute entière », a-t-il déclaré. « Au lieu de mettre en vigueur le compromis du mur Occidental, qui était une solution proportionnée, acceptable et qui avait été approuvé en 2016 par le gouvernement de Netanyahu, le nouveau gouvernement encourage la brutalité, la polarisation et la violence et il prône une politique extrémiste. »
L’organisation religieuse sioniste Neemanei Torah VaAvodah a fait savoir, de son côté, que le projet de loi « nuira à la prière en exerçant une coercition au mur Occidental – un site qui devrait accueillir tous les Juifs, indépendamment de la manière dont ils prient ». Le groupe a affirmé que la proposition soumise par le Shas « est une provocation qui enflamme le discours et qui éloigne les gens de la Torah et de leur identité juive ».