Pierre Seel, survivant homosexuel français de la déportation, aurait eu 100 ans
L’homme est devenu dans les années 1980 la voix de la mémoire des déportés homosexuels français, permettant leur reconnaissance par les autorités
Pierre Seel, survivant homosexuel français de la déportation et pionnier LGBTQ, né le 16 août 1923 et mort le 25 novembre 2005, aurait fêté ses 100 ans cet été.
L’homme est la seule personnalité homosexuelle française à avoir témoigné à visage découvert de son expérience de déportation dans un camp nazi pour motif d’homosexualité.
En 1940, âgé de 17 ans, il est allé porter plainte au commissariat après s’être fait voler sa montre dans un parc de Mulhouse, connu comme lieu de rencontres homosexuelles. C’est alors que son nom aurait été inscrit dans le fichier des individus homosexuels du commissariat, et il sera convoqué peu après dans les locaux de la Gestapo à Mulhouse. Il a alors été arrêté, interrogé, torturé et violé pendant deux semaines, comme d’autres hommes arrêtés pour homosexualité.
« Excédés par notre résistance, les SS commencèrent à arracher les ongles de certains d’entre nous. De rage, ils brisèrent les règles sur lesquelles nous étions agenouillés et s’en servir pour nous violer. Nos intestins furent perforés. Le sang giclait de partout », écrira-t-il plus tard dans son autobiographie Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, publiée en 1994.
Il a ensuite été déporté au camp de sûreté et de redressement de Schirmeck-Vorbruck, proche du camp de concentration de Natzweiler-Struthof, en Alsace annexée à l’Allemagne nazie.
Là-bas, il a notamment connu la faim, écrivant que celle-ci rendait « fous » certains de ses codétenus, et a contracté la dysenterie. Il a aussi subi des expérimentations et a témoigné de séances de torture où des infirmiers nazis jouaient aux fléchettes avec des seringues sur des détenus.
« Nous étions une demi-douzaine, torse nu et alignés contre le mur. Pour réaliser leurs injections, ils aimaient lancer en notre direction leurs seringues comme on lance des fléchettes à la foire », a-t-il écrit.
Dans son ouvrage, il a aussi raconté la mise à mort de « Jo », son ancien petit-ami à Mulhouse : « Ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d’abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d’horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu’il perde très vite connaissance. (…) Depuis, il m’arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. (…) Je n’oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. »
Libéré en novembre 1941 du camp de concentration, il a été incorporé de force quelques mois plus tard dans l’armée allemande et a dû aller se battre sur le front russe – faisant de lui l’un des « malgré-nous », ces Alsaciens qui ont dû combattre aux côtés des nazis.
Il est sorti du silence dans les années 1980, 40 ans après sa déportation et quelques années après sa séparation avec son épouse, avec laquelle il a eu trois enfants. Témoignant dans les médias et suivant la publication de son livre, il est devenu la voix de la mémoire des déportés homosexuels français, permettant leur reconnaissance par les autorités françaises.
« En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait — je pense aux homosexuels — étaient poursuivis, arrêtés et déportés », exprimera en 2005 Jacques Chirac, alors président.
Inhumé dans le cimetière de Bram, dans l’Aude, des rues à Toulouse et Paris portent aujourd’hui son nom. Le film « L’Arbre et la Forêt » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, sorti en 2010, est inspiré de sa vie.
« Il nous a montré la voie… Grâce à lui, des générations de jeunes homosexuels peuvent apprendre, sans vergogne, le passé de leur communauté, qui a résisté au nazisme », a témoigné David Cupina de Les Oublié-es, une association française commémorant les victimes homosexuelles de la déportation, au site L’Observatoire de l’Europe, qui a consacré un long article hommage à Pierre Seel.
À l’époque nazie, plus de 50 000 personnes ont été condamnées du fait de leur orientation sexuelle, en vertu d’un article du code pénal abrogé seulement en 1969 – l’homosexualité n’étant totalement dépénalisée en Allemagne que depuis 1994.
Selon les estimations, entre 5 000 et 15 000 homosexuels ont été déportés dans les camps de concentration, où ils n’étaient pas assassinés immédiatement, mais où la grande majorité d’entre eux, contraints de porter un triangle rose qui les plaçait au plus bas de la hiérarchie des camps, sont morts d’épuisement et de mauvais traitements.
Ce mois-ci, le monument berlinois à la mémoire des homosexuels persécutés par les nazis a été l’objet d’une tentative d’incendie et a été placardé d’affiches homophobes, a annoncé la police allemande, qui a ouvert une enquête, il y a une dizaine de jours.
Un inconnu a jeté un objet enflammé en direction du monument, qui n’a pas pris feu. En outre, ce même inconnu a posé sur ce monument des affiches sur lesquelles était écrit un verset de la Torah qui suggère la peine de mort pour « un homme faisant l’amour avec un autre homme », a ajouté la police.
« Ce passage de la bible est souvent utilisé de façon abusive contre les homosexuels », a réagi la Fédération des gays et lesbiennes de Berlin.
Le monument pour les « Triangles roses », ces milliers d’homosexuels déportés ou torturés par les nazis, inauguré en mai 2008, se situe en plein cœur de Berlin, non loin du mémorial de la Shoah qui commémore le massacre des Juifs d’Europe et du monument en hommage aux Roms, également victimes du 3e Reich.
À l’ombre des arbres du grand parc du Tiergarten, tout près de la Porte de Brandebourg, il se présente comme un cube de béton de cinq mètres de haut, est percé d’une fenêtre oblique à travers laquelle les passants peuvent regarder une vidéo mettant en scène un baiser entre deux hommes.
L’AFP a participé à cet article.