Plus de 20 000 manifestants à Tel Aviv contre l’expulsion des migrants africains
"C'est bien de voir des visages blancs et noirs manifester ensemble. Quand ces rassemblements ont lieu au théâtre Habimah, c'est très ashkénaze", a indiqué un résident
Ce sont plus de 20 000 demandeurs d’asile africains et Israéliens qui ont manifesté à proximité de la gare routière centrale de Tel Aviv samedi soir pour protester contre le plan gouvernemental d’expulsion des demandeurs d’asile, qui doit être lancé au mois de mars.
« Nous n’avons pas choisi de venir dans le sud de Tel Aviv, on ne nous a pas donné des cartes dans le désert du Sinaï pour nous rendre rue Levinsky », a déclaré Togod Omer, un demandeur d’asile du Darfour, au Soudan, alors qu’il s’adressait à des milliers de personnes depuis une scène.
« Quand on est arrivés, on nous a donné un aller-simple pour la nouvelle gare routière centrale ».
« Nous sommes tous des victimes dans cette histoire, demandeurs d’asile comme Israéliens vétérans », a continué Omer en se référant aux habitants des quartiers sud de Tel Aviv. « Nous vivons tous ici ensemble et on tente toujours de faire en sorte que nous nous haïssions les uns les autres ! »
Des milliers de personnes ont envahi la rue Levinsky en scandant : « Le peuple demande l’arrêt des expulsions » et en brandissant des pancartes citant des textes juifs sur l’amour dû à l’étranger.
Il y a environ 38 000 migrants et demandeurs d’asile africains en Israël, selon le ministère de l’Intérieur.
Environ 72 % sont érythréens et 20 % sont soudanais. La grande majorité est arrivée entre 2006 et 2012. Une loi approuvée par la Knesset au mois de décembre stipule que le ministère de l’Intérieur commencera à expulser les demandeurs d’asile au Rwanda et en Ouganda au mois de mars.
« Je suis heureux que tant de personnes soient venues et qu’il y ait tant de personnes qui nous viennent en aide », s’est exclamé Saleh, 24 ans, un demandeur d’asile érythréen venu de Haïfa avec un groupe d’amis. Je suis un parmi tant d’autres ici et nous venons tous du même Dieu ».
De nombreuses personnes venues à ce mouvement de protestation ont expliqué être heureuses que la manifestation ait lieu dans le sud de Tel Aviv, même si ce nombre important de participants a compliqué le rassemblement, l’intersection et les rues avoisinantes étant pleines de gens.
« C’est bien de voir des visages blancs et noirs manifester ensemble. Quand ces rassemblements ont lieu au théâtre Habimah, c’est très ashkénaze », a indiqué Gabi Doron, se référant à ce lieu populaire pour les manifestations dans le centre de Tel Aviv, près du boulevard Rotschild. « Cela nous donne le sentiment d’être vraiment ensemble », a ajouté Doron, qui habite Tel Aviv depuis toujours et vit dans les quartiers sud depuis 30 ans.
« Maintenant, je n’ai plus peur de ce qui va arriver parce que je peux voir que de nombreux Israéliens sont contre ces expulsions », a commenté pour sa part Awet Asheber, 37 ans, un demandeur d’asile érythréen qui est en Israël depuis une décennie.
Asheber participait à la manifestation en compagnie d’autres membres du théâtre de Holot, un groupe qui avait été fondé au centre de détention du même nom où il se trouvait. Aujourd’hui, la troupe se produit dans tout le pays, racontant l’histoire des demandeurs d’asile et ce qui est susceptible de leur arriver en cas d’expulsion.
« Les gens ici savent que je suis un réfugié, pas un infiltré ou un migrant économique comme l’Etat le prétend », a poursuivi Asheber.
« Je suis venue de Hollande il y a vingt ans et quand je suis arrivée ici, j’étais vraiment heureuse de voir des visages venus du monde entier », a expliqué pour sa part Rona, une manifestante israélo-néerlandaise arrivée dans l’un des trois bus remplis à bloc en provenance de Haïfa.
« Pourquoi ce pays ne peut-il pas être un véritable rassemblement d’exilés ? », s’est-elle interrogée.
Environ 150 contre-manifestants ont été retenus par la police dans une zone située à environ un bloc d’immeubles du principal rassemblement. Ils ont brandi des pancartes où était écrit : « Menteurs, rentrez chez vous ! », avec des photos d’avions en référence aux expulsions programmées.
« Je suis né et j’ai vécu toute ma vie dans le quartier de Shapira et nous souffrons depuis des années de cette violence », a expliqué un avocat, Reuven Mirayev. « Je ne peux pas sortir pendant la nuit, aussitôt que tombe l’obscurité, mes filles doivent rentrer à la maison ».
Samedi, en amont de la manifestation, la police israélienne a déclaré avoir arrêté deux hommes, dont l’un était armé, après qu’ils ont menacé en ligne de perturber le rassemblement.
Les forces de l’ordre ont indiqué que les deux individus « ont été appréhendés en vue d’un interrogatoire » après un appel lancé sur Facebook à une contre-manifestation violente.
« Les amis, c’est le moment… La bataille pour jeter dehors les infiltrés », disait le post reproduit dans un communiqué de la police. « Il est temps de se battre et de défendre nos maisons ».
La police a précisé qu’un commentaire écrit en réponse au statut Facebook précisait : « Je suis armé ».
« La police israélienne a immédiatement localisé les deux suspects, les a arrêtés en vue d’un interrogatoire et a finalement confisqué son arme à l’un des suspects », a ajouté le communiqué.
Les forces de l’ordre étaient nombreuses sur les lieux du rassemblement, affirmant qu’elles n’accepteraient aucun trouble à l’ordre public.
Les responsables israéliens considèrent que la vaste majorité des 40 000 migrants africains environ sont venus pour trouver un emploi, affirmant que le pays n’a pas d’obligation légale de les conserver en son sein. Les responsables Israéliens les qualifient régulièrement « d’infiltrés ».
Les Africains, qui sont presque tous originaires de l’Erythrée, une dictature, et du Soudan, un pays ravagé par la guerre, affirment avoir fui leurs pays respectifs pour sauver leurs vies et être en danger s’ils devaient retourner dans leur pays d’origine. La vaste majorité d’entre eux est arrivée entre 2006 et 2012.
Les migrants ayant déposé une demande d’asile ne pourront être expulsés avant le traitement de leur dossier. Les femmes et les enfants ne sont pas, pour le moment, sous la menace d’une expulsion.
Ces dernières semaines, des groupes d’Israéliens – pilotes, médecins, auteurs, anciens ambassadeurs, survivants de la Shoah – ont appelé le Premier ministre Benjamin Netanyahu à mettre un terme au plan d’expulsion, avertissant qu’il n’était pas éthique et qu’il causait de graves préjudices à l’image israélienne en tant que pays « lumière entre les nations ».
Certains groupes juifs américains ont également vivement recommandé à l’Etat juif de réfléchir à cette initiative. Et même Yad Vashem, le mémorial officiel israélien de l’Holocauste, a fait connaître son point de vue. Tout en rejetant toute comparaison entre la situation critique vécue par les migrants et les victimes de la Shoah, le musée a indiqué que le problème était toutefois « un défi national et international qui exige de l’empathie, de la compassion et de la miséricorde ».
Netanyahu a indiqué au début du mois que « les réfugiés authentiques et leurs familles resteront en Israël. Nous n’avons aucune obligation de permettre à des migrants économiques clandestins, qui ne sont pas des réfugiés, de rester ici ».
Un sondage récent réalisé par l’Institut israélien de la démocratie a révélé que les deux-tiers du public juif approuvait les expulsions prévues. Le meilleur espoir des migrants pourrait être le manque de préparation gouvernemental. Les autorités sont sceptiques concernant leur capacité à gérer les 15 000 à 20 000 personnes qui pourraient être emprisonnées. Il y a approximativement 500 lits disponibles à la prison Saharonim, la seule qui puisse accepter des demandeurs d’asile refusant l’expulsion.
En 2012, un mouvement de protestation anti-migrants à Tel Aviv avait attiré environ 1000 participants et avait dégénéré en violences alors que les manifestants s’en prenaient à des boutiques appartenant à des Africains.
L’événement de solidarité de samedi a été initié par les habitants israéliens de Neve Shaanan mais les organisateurs avaient fait savoir qu’ils espéraient que des Israéliens de tout le pays viendraient afficher leur soutien.
Mercredi, des centaines de demandeurs d’asile d’un centre de détention du sud d’Israël ont lancé une grève de la faim illimitée après le transfert de certains d’entre eux vers une prison du désert du Negev parce qu’ils avaient refusé un départ volontaire de l’Etat juif.
L’équipe du Times of Israel et l’AFP ont contribué à cet article.