Pour comprendre le terrible coût d’une nouvelle élection, regardez les écoles
Les politiciens israéliens semblent prêts à entraîner le pays vers une nouvelle élection, dans le mépris du préjudice économique porté aux familles des classes populaires
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Ce fut une course folle. Ce gouvernement d’unité désuni est toujours au bord du gouffre depuis qu’il a prêté serment le 17 mai.
Lundi, il doit enfin voter un budget – budget dont les grandes lignes ne sont toujours pas approuvées – ou voter pour se donner encore 100 jours de sursis, via une loi « de compromis » qui n’offre aucun compromis, seulement un délai. C’est encore 100 jours – jusqu’au début du mois de décembre 2020 – sans budget pour le fonctionnement de l’État pour l’année 2020.
Le budget menace le fonctionnement du gouvernement non pas, comme on pouvait s’y attendre, parce que les politiciens ont travaillé d’arrache-pied à la rédaction du budget et, laborieusement mais naturellement, se sont disputés sur les clauses et les politiques et priorités qu’il reflète.
Non, la menace se profile car c’est le seul moyen dont dispose le Premier ministre Benjamin Netanyahu pour convoquer de nouvelles élections – une quatrième campagne électorale en moins de deux ans – sans avoir à céder ses fonctions en novembre 2021 à son rival devenu partenaire redevenu rival Benny Gantz. Netanyahu et Gantz ont tourné en rond depuis des mois, le premier cherchant à se soustraire aux modalités de son accord de coalition, le second essayant de l’y tenir, et le budget a servi de levier principal à ce combat.
Et ce simple fait est une tragédie impardonnable qui devrait jeter le doute sur l’engagement des deux hommes pour le bien public.

Netanyahu est prêt à jouer avec la situation économique de millions de personnes – et, afin de le contenir, Gantz l’est aussi.
Netanyahu a imposé élection après élection au cours des 16 derniers mois, parce qu’aucune ne lui a donné une majorité décisive. Par la même occasion, en tolérant que chaque Knesset, dissoute l’une après l’autre, ne puisse pas voter de budget, il a principalement affaibli les classes populaires d’Israël, les travailleurs ainsi que les classes pauvres et défavorisées – qui représentent pourtant de façon disproportionnée son propre électorat.
Et pour empêcher Netanyahu de rompre leur accord de rotation, Gantz a également tenu le coup, notamment sur le financement des communautés et factions qu’il doit maintenir dans le jeu politique. Les partis Haredi ont désespérément besoin d’un budget. Leurs établissements d’enseignement et organisations caritatives sont dans une situation désastreuse. Ils ont demandé l’adoption d’un budget spécial pour maintenir leurs écoles ouvertes. Mais Gantz pense – et tout le monde à la Knesset est d’accord avec lui – que dès que les partis Haredi auront obtenu de lui ce dont ils ont besoin, ils n’auront plus aucune raison de s’opposer aux pressions de Netanyahu pour de nouvelles élections. L’anticipation que Netanyahu et ses alliés du Shas et de Yahadout HaTorah ne soient absolument pas dignes de confiance a conduit Gantz, politicien néophyte qui a fait campagne sur la base d’une politique plus propre et plus juste, à suivre leurs traces et à faire passer la politique avant les besoins des gens ordinaires.
L’immoralité de base est devenue le socle de la politique israélienne, et rares sont ceux qui envisagent que cela aurait pu en être autrement, que dans les précédents gouvernements menés par le Likud, l’engagement oral du Premier ministre puisse représenter une garantie.
Le problème ne vient pas d’un politicien en particulier – bien qu’à l’évidence, l’homme au sommet de la hiérarchie porte plus de responsabilités que ses subordonnés – mais plutôt une culture systémique du double-jeu et de la duplicité qui va au-delà du déroulement ordinaire impitoyable de la politique. La Knesset a du mal à concevoir des lois ou adopter des budgets, souvent parce que les députés de factions opposées ne se font pas suffisamment confiance pour mener à bien les magouilles et tractations que le processus législatif nécessite.
Dans les moments de division politique profonde et de loyautés conflictuelles, en période de crise où chaque faction tente désespérément de faire porter le chapeau aux autres, il est difficile de produire une réflexion à travers le gouffre béant de l’identité politique. Dans ces moments-là, il faut se tourner vers les petits détails douloureux pour y voir plus clair. C’est dans les détails que l’ampleur de l’abus de confiance devient évidente, et qu’à la veille d’une éventuelle élection, les politiciens, et non leurs détracteurs, doivent au pays un bilan pénible et difficile.

« Superflu » mais indispensable
Il y a littéralement des dizaines de milliers de lignes de chiffres dans un projet de budget de l’État, qui couvrent toute la panoplie des dépenses des administrations, programmes et services publics nationaux. Un projet de budget contient tellement de choses, ces chiffres représentent tant de réformes et de réévaluations de politiques, qu’il n’est pas aisé de comprendre à quel point le budget a des conséquences sur la vie des Israéliens ordinaires.
Quels sont donc les dégâts causés à la société israélienne par l’absence d’un budget de fonctionnement de l’État depuis fin 2019 ? Qui souffre et comment ?
Au lieu de se concentrer sur le préjudice direct ou sur ceux immédiatement affectés par le gel des dépenses, tels que les programmes pour les jeunes à risque qui ont dû fermer depuis quelques semaines, il est peut-être plus utile d’examiner un élément dont les répercussions montrent l’ampleur des souffrances infligées au peuple, telles que les subventions pour les garderies après l’école.
Il existe deux types de fonds alloués dans un projet de budget de l’État. Le premier comprend les dépenses obligatoires exigées par la loi. Les allocations aux nouveaux chômeurs, le panier d’intégration pour les nouveaux immigrants, le service public d’assurance maladie pour un nouveau-né – tous sont des droits légaux accordés par les lois qui définissent qui est éligible et combien il doit recevoir. Les agences gouvernementales qui versent ces fonds n’ont pas le loisir de l’arbitraire. Ils ne font qu’exécuter les instructions spécifiques de la loi.

Par exemple, le budget de 1,7 milliard de shekels (500 millions de dollars) du ministère de l’Intégration en 2019 peut sembler significatif, mais très peu de ce budget est réellement disponible pour les fonctionnaires du ministère lorsque l’on supprime les 580 millions de shekels (170 millions de dollars) versés selon la loi en paiements directs obligatoires aux immigrants et encore 1,06 milliard de shekels dédiés au logement (là encore, pour la plupart obligatoires).
Mais il existe un autre type de financement, dit « excédentaire », quand il est inutilisé à la fin de l’année. Ce sont les fonds qu’une administration est libre d’utiliser comme bon lui semble pour des programmes de sa propre conception. Dans ce que l’on appelle parfois les « ministères sociaux », ceux qui s’occupent des individus, notamment les ministères de la santé, de l’éducation, de la protection sociale, de l’Intégration, des personnes âgées et bien d’autres, la majorité de l’utilisation du budget est attribuée par la loi – la majorité, mais pas tout.
Les excédents, ou pour notre propos, les fonds « de liquidité », ne sont ni marginaux ni sans importance – ils ne sont tout simplement pas garantis par la loi. Les allocations chômage sont obligatoires. Mais le programme de formation professionnelle du ministère du Travail et des Affaires sociales, qui vise à réintégrer les chômeurs sur le marché du travail avec des cours d’informatique, des sites d’emploi et des sessions sur les techniques d’entretien d’embauche, est « excédentaire ».
Les budgets de recherche et de développement scientifiques d’Israël sont presque entièrement « excédentaires ».
Le résultat est que lorsqu’aucun budget ne stipule le contraire, les dépenses obligatoires se poursuivent, mais les dépenses des fonds « de liquidité » diminuent ou, dans certains cas, disparaissent.

Laissés pour compte
Cette distinction nous amène à parler des tzaharonim du pays, ou programmes de garderie après l’école.
Personne ne conteste l’importance de ce programme. La plupart des classes populaires actives israéliennes occupent des emplois qui durent jusqu’à 15 ou 16 heures. Presque toutes les écoles israéliennes ne fonctionnent que jusqu’à 13 ou 14 heures. Cet écart pourrait faire des ravages dans la vie des familles avec de jeunes écoliers dont on ne peut envisager qu’ils attendent seuls à la maison le retour de leurs parents après le travail dans l’après-midi.
La solution : un programme national de garderie après l’école, dans les murs de l’école, qui veille sur les enfants pendant trois heures, leur offre un repas chaud et propose un programme éducatif ou sportif. À la fin du programme, chaque jour, des bus scolaires reconduisent les enfants à leur domicile, où ils arrivent vers 16 h 30.
Comme tout parent qui travaille peut en témoigner, le programme est une condition sine qua non pour pouvoir travailler.
Mais c’est cher. Un rapport publié en 2017 par le Centre de recherche et d’information de la Knesset estimait le coût moyen par enfant à environ 1 000 shekels (294 dollars) par mois. Le revenu médian des ménages cette année-là était d’environ 16 000 shekels (4 700 $) par mois. Sur la base de trois enfants par famille (le taux de fécondité en Israël est d’environ 3,1 enfants par femme), cela représente environ 19 % du revenu du ménage – juste pour trois heures de garde après l’école.

La réalité est évidemment encore plus difficile. Les familles récentes avec de jeunes enfants ont tendance à gagner moins que la moyenne.
Pour compenser ces frais et maintenir les parents sur le marché du travail, le ministère de l’Éducation a utilisé une partie de son budget de liquidité pour subventionner ces programmes parascolaires, ce qui a fait baisser les coûts pour les parents, parfois jusqu’à 90 % dans certains endroits.
Jusqu’au printemps dernier, lorsque l’absence chronique d’un nouveau budget de l’État a conduit à l’assèchement du budget de liquidité du ministère et a contraint certains endroits à mettre fin aux subventions.
Ce même budget a également financé des centres aérés lors des fermetures pour les vacances scolaires, comme pour les vacances de Hanoukka et de Pessah, lorsque les écoles ferment pour environ deux semaines mais pas les lieux de travail.
Ces centres aérés n’ont pas du tout fonctionné en 2020. Les enfants ont accompagné leurs parents au travail ou sont restés seuls à la maison sans surveillance.
L’absence de budget de l’État a laissé les parents qui travaillent – en particulier ceux à faible revenu – sans solution immédiate face à ce problème. Les grands-parents sont intervenus. La pandémie de coronavirus a « aidé » – ironie amère –, dans le sens où elle a détruit précisément, de façon disproportionnée, ces emplois qui rendent ce programme parascolaire une nécessité vitale pour les travailleurs.

Il est important de s’attarder sur ce point. L’absence de budget de l’État a nui avant tout aux plus vulnérables d’entre nous.
Le Bureau central des statistiques d’Israël tient à jour un « indice socio-économique » de la population israélienne en fonction de son lieu de résidence. L’indice divise le pays en plus de 1 600 zones géographiques, classées selon les revenus et d’autres mesures de pouvoir économique. Chaque région est placée dans un « cluster » socio-économique, une hiérarchie de 10 « clusters » où 1 représente les régions les plus pauvres et 10 les plus riches. Les habitants des communautés du cluster 10 gagnent en moyenne neuf fois plus que ceux des communautés du cluster 1.
Les subventions pour les garderies après l’école n’étaient versées qu’aux écoles des clusters 1 à 3.
Ce qui signifie que le gel de ces subventions ne nuit pas aux classes moyennes actives ni aux riches, lesquels payaient déjà plein pot ou presque pour ces programmes parascolaires, mais plombe encore davantage les classes de travailleurs populaires misérables qui n’auraient pas pu – et ne peuvent toujours pas – les payer.
De même, lorsque les centres aérés n’ont pas fonctionné, les employés en cols blancs travaillant dans des bureaux confortables ont embarqué leurs enfants au travail, les ont assis dans un coin et leur ont donné un iPad. Seuls les parents qui ne pouvaient pas emmener leurs enfants au travail, dans une usine ou dans un restaurant, ont été mis en difficultés.
Un grand nombre de familles israéliennes pauvres essaient de faire face à l’effondrement des petites entreprises et l’évaporation des emplois non-qualifiés dus à la pandémie. Mais la crise des tzaharonim avait commencé avant la pandémie. L’impasse budgétaire n’a rien à voir avec le coronavirus. Aucun acte de Dieu ou de la nature n’a mis les travailleurs les plus pauvres du pays à genoux, les forçant à lutter pour conserver leur emploi parce que les programmes de garderie pour les jeunes enfants ont perdu leurs subventions.
C’est l’ouvrage des politiciens israéliens, et leur responsabilité à eux-seuls.