Pour contrer l’ignorance en Allemagne, ‘louez un Juif’
Ce projet au titre accrocheur présente la vie juive au quotidien dans un pays où de nombreux habitants pensent aux Juifs seulement au passé

Rita Haikin, étudiante en troisième cycle vivant à Krefeld, en Allemagne, se « loue ». Lorsqu’on le lui demande, elle se rend dans une école locale en compagnie d’une autre personne juive, amenant avec elle des objets rituels pour rencontrer les élèves et leur présenter les Juifs et le judaïsme.
Pour dissiper un mythe antisémite ancestral, Haikin aime aussi apporter un shofar, une corne de bélier utilisée comme instrument à vent lors des grandes fêtes juives.
« Il y a quelques années, une personne m’a interrogée sur mes cornes », explique-t-elle.
Dans un pays où il n’y a que 200 000 Juifs sur une population totale de 80,6 millions d’individus, il n’est pas rare qu’un Allemand n’ait jamais eu l’occasion de rencontrer un Juif.
Pour les Allemands, les Juifs sont les victimes des crimes contre l’Humanité commis par leur pays au milieu du 20e siècle. Ce souvenir reste là-bas imprimé dans la majorité des esprits, et ce, en dépit du fait que la communauté juive allemande est celle qui se développe le plus rapidement en Europe aujourd’hui.
Il y a déjà eu plusieurs initiatives en vue de contrer une ignorance prévalente. En 2013, il y a eu ainsi « un Juif dans une vitrine » au musée juif de Berlin. Dans le cadre d’une exposition intitulée « Toute la vérité », des Juifs allemands se sont succédés dans une vitrine en verre, chacun pendant deux heures, pour répondre aux questions des visiteurs sur la vie juive, la religion et la culture.
Indépendamment de ses intentions d’enseignement et de partage, le fait d’exhiber un Juif – homme ou femme – dans ce qui a été considéré comme une cage transparente avait suscité à l’époque une vive controverse.
Aujourd’hui, quelques années plus tard, une autre initiative visant à présenter aux Allemands des Juifs contemporains et leur vie crée une polémique similaire, cette fois-ci en raison du nom provocateur de l’opération : « Louez un Juif ».
Cet intitulé s’est voulu accrocheur – mais pas dans son sens littéral. Contrairement à ce qu’il peut paraître, le projet d’éducation n’implique pas la location d’un juif. En fait, l’initiative ne coûte rien. Elle est menée par des adultes bénévoles âgés de 20 à 40 ans et qui se rendent dans des écoles et dans des groupes communautaires de toute l’Allemagne pour présenter des informations de base sur les Juifs et le judaïsme.
Tandis que la notion de « louer » un Juif a entraîné un torrent de réactions sur le Web, selon un post paru sur le blog du Times of Israel et écrit par la co-fondatrice de « Louez un Juif », Wiebke Rasumny, ce nom s’est en fait inspiré du projet diplomatique citoyen « Louez un Américain » qui envoyait des étudiants des Etats-Unis visiter les classes dans les écoles allemandes et qui est en vigueur depuis 2006 sans avoir jamais suscité un tel émoi.
Lancé en 2015, ‘Louez un Juif’ est une initiative de terrain soutenue par l’Académie européenne Janusz Korczak et Nevatim (en association avec l’Agence juive pour Israël), ainsi que l’Alliance pour la Démocratie et la tolérance.
« Nous avons senti qu’il était temps pour les Allemands et en particulier pour les élèves de parler avec les Juifs – et pas seulement de parler à leur sujet », explique Alexander Rasumny, le coordinateur de ‘Louez un Juif’ à Berlin et époux de Wiebke Rasumny.
« Les Juifs et le judaïsme sont au programme des écoles allemandes mais ce travail revient à des gens qui ne sont pas Juifs et qui ne connaissent pas de Juifs qui, eux, pourraient parler des Juifs. Tout passe par les livres, ce qui est une approche très rébarbative », ajoute Rasumny.
« Certaines écoles visitent des musées Juifs mais c’est une interaction avec des objets ‘sans vie’. C’est bien mieux pour les élèves de rencontrer de jeunes gens, ‘en vie’. Le contact direct est le meilleur moyen de contrer les stéréotypes et de donner des premières impressions positives », poursuit-il.
Aujourd’hui, ce sont approximativement 60 Juifs bénévoles du projet ‘Louez un Juif’ (qui interviennent habituellement à deux) qui ont effectué environ 35 visites dans des écoles et dans des groupes communautaires de toute l’Allemagne.
Certains volontaires comme Haikin, 25 ans, ont immigré depuis l’ancienne Union soviétique. D’autres, comme Monty Ott, 25 ans lui aussi et habitant Hanovre, est né et a grandi en Allemagne. Indépendamment de leur milieu et de leur histoire, ils racontent tous leur vie de Juifs vivant dans l’Allemagne d’aujourd’hui lorsqu’ils rencontrent des groupes.

Dans le cas d’Haikin, cela a récemment signifié expliquer à une classe de troisième d’Essen, composée aux deux-tiers d’immigrants – que lors de son mariage à venir, elle épousera son fiancé sous une ‘huppah’ – ou dais nuptial traditionnel de cérémonie.
‘Les élèves ont dressé des parallèles entre alimentation halal et casher, et entre la prière juive de Sh’ma et la Shahada.’
Selon Haikin, étudiante en maîtrise de psychologie organisationnelle industrielle (elle a rencontré son futur époux au Hillel à l’université), les musulmans se sont particulièrement intéressés à ce qu’elle a présenté en compagnie de son partenaire de ‘Louez un Juif’. Les élèves ont dressé des parallèles entre alimentation halal et casher, et entre la prière juive de Shma et la Shahada, la profession de foi islamique.
« Un petit musulman en particulier a posé de nombreuses questions. C’était vraiment bien parce que l’enseignant a déclaré qu’il ne se sentait jamais très à l’aise pour parler de la religion à l’école », dit-elle.
En comparaison, Ott et sa partenaire bénévole Mascha Schmerling se sont rendus dans une classe de troisième dans un collège technique de Solingen en compagnie de plusieurs étudiants nés à l’étranger.
Même si, selon Rasumny, Israël ne figure pas formellement sur l’agenda des présentations de ‘Louez un Juif’ parce que l’initiative se concentre sur l’expérience juive en Allemagne, le sujet de l’état Juif survient inévitablement – comme cela a été le cas à Solingen.
« Les élèves ont demandé ce qu’Israël représentait aux yeux des Juifs allemands. Certaines des questions étaient critiques et je ne voulais vraiment pas qu’elles deviennent politiques », indique Ott, qui s’est récemment rendu en terre sainte à l’occasion d’un voyage organisé par Taglit.
‘J’ai dit aux enfants qu’Israël, c’est une assurance-vie pour les Juifs allemands’
« Alors j’ai dit aux enfants qu’Israël, c’est une assurance-vie pour les Juifs allemands. Ils pouvaient comprendre ça à cause de l’Holocauste et de l’éducation sur l’anti-racisme qu’ils reçoivent dans les écoles », ajoute-t-il.
Ott, étudiant en doctorat, actif au sein de la communauté du mouvement réformé et assistant d’un membre du Parlement fédéral, a aussi expliqué pourquoi il adorait personnellement être en Israël, pays dans lequel il s’est rendu à quatre reprises.
Ott a pris, en toute conscience, la décision de porter sa kippa ouvertement dans la rue suite aux manifestations anti-israéliennes de l’été 2014 (attisées par la guerre de Gaza), ce qui lui avait valu des réactions haineuses.

« J’explique aux enfants que lorsque je marche dans les rues de Tel Aviv, je porte ma kippa et c’est totalement normal. Cela fait simplement partie de mon identité et je peux vivre normalement. Les Juifs ne sont pas considérés comme une part ‘normale’ de la société allemande », explique-t-il.
Selon Rasumny, 33 ans, les élèves qui assistent aux rencontres avec les Juifs « loués » n’ont pas de préjugés nombreux ou d’idées fausses sur les Juifs contemporains.
« Il y a un manque global de connaissances sur le judaïsme et l’histoire juive, en particulier sur l’histoire postérieure à la deuxième guerre mondiale, dans la société allemande », estime-t-il.

‘Louez un Juif’ envoie également des bénévoles parler à des groupes d’adultes dans les églises, dans des cours d’éducation et dans des événements communautaires.
Parfois, ces groupes demandent des interventions sur des sujets très spécifiques. Par exemple, un groupe pour adultes a voulu entendre s’exprimer des Israéliens vivant à Berlin (leur nombre est estimé à 15 000) et un groupe chrétien issu de la communauté LGBT a réclamé une présentation sur le sujet du judaïsme et de l’homosexualité.
Rasumny indique être heureux de la réponse reçue par l’initiative, que ce soit en termes de bénévoles mobilisés et en volume de demandes d’intervention.
Jusqu’à présent, l’arrivée de presque un million de réfugiés venus essentiellement du Moyen orient en Allemagne n’a pas eu de conséquences sur les expériences des volontaires du projet ‘Louez un Juif’. Rasumny explique que les bénévoles n’ont rencontré que peu d’enfants réfugiés dans les écoles allemandes et que ces derniers n’ont pas amené avec eux de préjugés négatifs sur les Juifs au sein des salles de classe.
« Ils se sont montrés attentifs, concentrés », dit Rasumny.
Pour sa part, Haikin se réjouit de pouvoir parler directement à des enfants issus des nouvelles communautés d’immigrants.
« Je pense qu’il est particulièrement important que les enfants musulmans et immigrants puissent rencontrer des Juifs de façon positive, parce que nous ne savons pas ce à quoi ils sont exposés chez eux au sujet des Juifs », dit-elle.
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