Pour les 60 000 Israéliens déplacés, les charmes d’Eilat ne suffisent pas
La station balnéaire de la mer Rouge a ouvert ses portes aux personnes évacuées ; le groupe Frères d'armes contribue à l'effort de guerre
EILAT — Il y a un je ne sais quoi de douloureusement familier dans le séjour de Shoshi Hatuel et de ses enfants au Club Med d’Eilat.
Comme des centaines de milliers d’Israéliens, Hatuel, son mari et ses trois enfants venaient chaque année, pour des vacances en famille, dans cette station balnéaire du désert, située sur le rivage de la mer Rouge, qui compte une population permanente d’environ 50 000 personnes et en accueille aujourd’hui 60 000 de plus – des personnes évacuées -.
Evacués à cause de la guerre qui fait rage près de chez eux, à Ofakim, les Hatuel sont hantés par le souvenir de vacances heureuses alors qu’ils pleurent la mort du mari de Shoshi, Avi, le 7 octobre dernier. Il a été abattu devant leur maison, alors qu’il sortait affronter les terroristes sur le point d’entrer, et qui auraient probablement tué sa femme et ses trois enfants s’il ne les avait pas distraits.
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« C’était notre endroit préféré, là où nous aimions nous retrouver en famille », dit tranquillement Shoshi Hatuel, 47 ans, alors que les larmes coulent sur son visage. L’environnement lui est si familier qu’elle parle parfois à ses enfants de leur défunt père au présent, lui demandant de les conduire quelque part, avant de se rappeler qu’elle l’a vu se vider de son sang et mourir, dans leur jardin.
A Eilat, elle partage cette expérience avec de nombreuses personnes, elles aussi évacuées et traumatisées : leur détresse émotionnelle contraste violemment avec l’atmosphère paisible de cette ville, où nombre d’entre elles ont un jour passé des vacances, dans ce qui semble aujourd’hui relever d’une vie antérieure.
Pour Hatuel, revenir à Eilat sans Avi rend son absence encore plus douloureuse, « comme une photo de famille sur laquelle un membre de la famille a été coupé », confie-t-elle au Times of Israel. « Personne ne parle de lui ou de sa bravoure dans les médias. C’est comme s’il n’avait jamais existé », ajoute-t-elle en pleurant doucement.
Hatuel se doutait que le fait de venir à Eilat compliquerait le processus de deuil, raison pour laquelle elle a commencé par refuser la proposition de son beau-frère. Shoshi voulait rester à Beer Sheva, mais elle a fini par céder « parce que je pensais que ce serait bon pour les enfants ».
Quelque 3 000 terroristes originaires de Gaza ont pénétré en Israël le 7 octobre dernier, pour y tuer 1 400 personnes, pour la plupart des civils. Les terroristes ont perpétré d’innombrables atrocités et fait plus de 200 otages. En réaction, Israël a déclaré la guerre au Hamas, s’engageant dans une campagne de frappes aériennes et une incursion terrestre sous un déluge de roquettes tirées par les terroristes depuis Gaza.
Des centaines de roquettes ont été lancées sur la ville d’Ofakim, mais dans la mesure où elle ne se trouve pas dans un rayon de sept kilomètres autour de Gaza, ses habitants n’ont pas droit à un hébergement pris en charge par l’État pendant toute la durée de la guerre. Néanmoins, la municipalité et d’autres autorités ont approuvé l’évacuation dans des cas particuliers, comme celui des Hatuel et d’autres parents au premier degré des dizaines de personnes tuées par des terroristes à Ofakim, le 7 octobre dernier.
Comme des milliers d’autres habitants de la ville, Shoshi Hatuel et ses trois enfants se sont cachés pendant des heures dans une pièce de leur appartement alors que les terroristes parcouraient les rues à la recherche de victimes et que des roquettes volaient au-dessus de leurs têtes. Les Hatuel ont passé 20 heures dans cette pièce. Shoshi a vu son mari, dehors, inconscient, se vider de son sang suite à une blessure par balle. Elle savait qu’il allait mourir, mais elle a dit à ses enfants qu’il était blessé par balle et qu’il saignait. Son plus jeune fils, Yagel, a dit que son père s’en tirerait, alors que sa mère, muette, pleurait.
L’expérience a profondément traumatisé la famille, que le moindre bruit sourd met en alerte, explique Hatuel. Mardi, elle a été prise de tremblements, pendant de longues minutes, suite au déclenchement d’une alerte par un missile lancé sur Israël depuis le Yémen. Le missile a été intercepté en mer sans faire ni blessés ni dégâts.
« Tout m’est revenu, si tant est que ce soit un peu éloigné », dit-elle.
La famille mène une vie pieuse. Mais juste après le meurtre d’Avi Hatuel, Shoshi a brièvement perdu la foi, confie-t-elle. « J’ai eu du mal à comprendre pourquoi nous avions été punis de cette façon en nous enlevant Avi, qui était un mari et un père idéal. Puis j’ai réalisé que Dieu l’avait envoyé pour nous sauver. Il s’est comporté en héros. »
Les hôtels d’Eilat ont ouvert leurs portes aux personnes évacuées. Pour certains, le séjour est pris en charge par l’État. Pour ceux qui viennent de zones touchées par les combats mais qui ne sont pas officiellement reconnus comme évacués, la plupart des hôtels d’Eilat proposent un tarif réduit, généralement pour une semaine. Des milliers d’habitants de Kiryat Shmona, dans le nord du pays, sont arrivés après avoir été évacués en raison des escarmouches entre l’armée israélienne et le Hezbollah, le long de la frontière avec le Liban.
Au Abraham Eilat, célèbre auberge de jeunesse et hôtel plutôt bon marché, 12 familles séjournent gracieusement, aux frais de l’hôtel, explique Omer Armoza, qui dirige l’établissement d’Eilat de la chaîne Abraham Travel, qui compte quatre maisons d’hôtes en Israël.
Lorsqu’elle s’est enquise que certains clients avaient faim, l’auberge, qui ne sert normalement que le petit-déjeuner, a commencé à proposer d’autres repas.
Bénévoles et membres du personnel du mouvement de jeunesse divertissent les enfants eux aussi évacués, dans différents hôtels. La municipalité d’Eilat et celle de Sderot, ville d’environ 27 000 habitants qui a été évacuée, proposent des soins de santé mentale aux personnes évacuées.
Dans l’aéroport désaffecté d’Eilat, manifestants antigouvernementaux du mouvement Frères d’armes – qui a apporté de l’aide aux personnes évacuées dès le début des combats – et bénévoles distribuent des provisions, notamment des couches, du lait maternel, des jouets et des produits d’hygiène, dans un point de distribution qui ressemble à un grand magasin où tous les produits sont gratuits.
Nofar Baruchi, mère de quatre enfants originaire de Beit Hagedi, village près de Netivot, devait se rendre à Eilat dans quelques semaines pour des vacances, comme elle le fait souvent avec ses proches. Mais sa communauté est sous le feu des roquettes et elle est venue à Eilat sans son mari, réserviste, comme des centaines de milliers d’Israéliens.
« Nous venions ici faire du shopping », dit-elle à propos d’Eilat, zone franche où de nombreux Israéliens achètent des appareils électroménagers et des vêtements hors taxes. « Mais aujourd’hui, je m’inquiète pour lui et notre maison, et au lieu de faire du shopping, je cherche des vêtements de bébé usagés parce que j’ai un accès limité à une machine à laver. »
L’aide est essentielle – elle permet à certains évacués d’économiser jusqu’à 200 shekels par jour -, mais les personnes déplacées n’aspirent qu’à rentrer chez elles.
Erez et Yasmin Elmasi, la cinquantaine, évacués de Tzohar, consultent leur portable pour voir en direct les images des caméras de sécurité de leur domicile chaque fois qu’ils reçoivent une alerte de roquette à proximité de leur moshav, situé à environ sept kilomètres de Gaza. Ils n’ont pas d’abri parce qu’ils n’ont pas les moyens d’en construire un – c’est une dépense d’environ 50 000 dollars – et le gouvernement refuse de le financer.
« Quand les roquettes arrivent, nous sortons les regarder. C’est mieux que de rester à l’intérieur parce que de cette façon, vous pouvez au moins voir ce qui va arriver », confie Erez Elmasi au Times of Israël alors qu’il se promène avec sa femme à Eilat.
Sur la plage, Limor et Shula Abergil, une mère et sa fille, originaires de Netivot, tentent de calmer le frère de Limor, Shai, âgé d’une quarantaine d’années et atteint du syndrome de Down. La famille séjourne à Eilat depuis le 10 octobre, et même si elle paie moitié prix, elle ne pourra pas financièrement rester ici indéfiniment.
Leur immeuble, à Netivot, dans lequel trois personnes sont mortes, le 7 octobre dernier, touchées par une de ces nombreuses roquettes, dispose d’un abri anti-aérien fonctionnel. Mais lorsqu’une alarme se déclenche, les Abergil peinent à rejoindre l’abri à temps, explique Limor.
« Shai s’énerve, pris de panique. Nous ne pouvons pas le conduire au refuge à temps, ce qui signifie que, concrètement, nous vivons sans abri », explique Limor, qui s’occupe également de sa fille de 12 ans, Shula.
La routine est la clé de la santé mentale de Shai et, en son absence, « il se noie dans l’incertitude et la peur. Il ne va pas bien », dit-elle. Les services sociaux organisent des activités presque tous les jours auxquelles il peut participer pendant une ou deux heures, « mais il a besoin d’un cadre, et nous ne pouvons pas le lui donner dans l’immédiat ».
Eilat est magnifique, « et l’hospitalité dont on a fait preuve envers nous est vraiment surprenante », ajoute Limor en regardant les reflets du coucher de soleil dans les eaux calmes de la mer Rouge. « Mais nous sommes coincés ici et ce ne sont pas des vacances. J’échangerais volontiers tout ça contre notre maison de Netivot. »
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