Pour les clowns médicaux, obtenir un rire n’a jamais représenté un tel enjeu
Alors que tout le pays est traumatisé - et eux le sont aussi - les "Dream Doctors" font de leur mieux pour offrir un moment de joie aux blessés et aux déplacés de la guerre
Le nom de clown habituel d’Iris Lia Sofer est « Olive Emla ». Mais actuellement, elle salue tous ceux qu’elle croise dans les couloirs de l’hôpital Sheba, à proximité de Tel Aviv, en se présentant sous le titre de « cheffe du commandement au nez rouge ».
Les enfants malades et les soldats blessés rient à ce salut lorsqu’elle leur rend visite et qu’elle tente de leur faire oublier, l’espace d’un instant, la guerre menée par Israël à Gaza et leurs souffrances.
Sofer et deux autres clowns médicaux qui travaillent avec elle, David Barashi (« Dush ») et Moshe Twito (« Tito ») expliquent au Times of Israel que les semaines qui se sont écoulées depuis le 7 octobre ne ressemblent en rien à ce qu’ils avaient pu connaître auparavant.
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« Ca fait des décennies que je suis clown médical. J’ai travaillé pendant la pandémie de COVID, pendant des opérations militaires, pendant d’autres guerres – mais là, c’est différent », dit Barashi.
« La société toute entière est traumatisée. Il ne s’agit pas seulement de ceux qui sont soignés ici, il s’agit aussi de tous ceux qui les soignent », ajoute-t-il.
Le Times of Israel a rencontré Barashi et Twito à l’hôpital Hadassah de Jérusalem. Toutefois, comme leurs collègues clowns, ils travaillent également avec les 200 000 Israéliens, selon les estimations, qui ont dû quitter le nord et le sud du pays pour des raisons de sécurité. Ces familles sont principalement logées dans des hôtels ou dans des camps de tentes qui ont été installés à la hâte.
Parmi ceux qui ont quitté le sud, certains n’ont plus de maison où retourner suite aux ravages commis dans leurs communautés par des terroristes du Hamas qui se sont infiltrés sur le sol israélien depuis Gaza, le 7 octobre. Environ 1 400 Israéliens ont été tués dans cette attaque brutale et dans la guerre qui a suivi. Les familles de 222 Israéliens ont été informées que l’un de leur proche avait été pris en otage par le Hamas et par d’autres groupes terroristes, au sein de l’enclave côtière. Environ cent personnes sont encore portées disparues.
Sofer, Barashi et Twito sont membres de Dream Doctors, une organisation à but non-lucratif qui a été fondée en 2002 et qui fait venir des clowns médicaux professionnels dans les hôpitaux israéliens en les formant – de manière à ce qu’ils puissent être en capacité d’accompagner les équipes de soins multidisciplinaires.
« Nous sommes plus de cent et nous ne travaillons pas seulement dans les hôpitaux. En temps normal, nous travaillons dans environ 30 endroits différents dans tout le pays, notamment dans des structures gériatriques ou des écoles. Dans les hôpitaux, nous avons un rôle thérapeutique », explique Sofer.
Dream Doctors envoie aussi des équipes à l’étranger lors de missions humanitaires et l’organisation a mis en place un centre de formation international. Sofer raconte être récemment allée travailler en Moldavie avec des enfants ukrainiens réfugiés.
Alors qu’elle prend une courte pause dans la salle d’attente de l’unité pédiatrique post-chirurgicale de Sheba, elle évoque la manière dont ces clowns biens particuliers approchent leur art.
« Nous utilisons des outils, thérapeutiques et artistiques à la fois, pour interagir avec les enfants et pour les faire entrer dans un monde imaginaire où il n’y a pas de règle, où tout peut arriver. Nous parlons un autre langage que celui qui est utilisé par le personnel soignant, ce qui nous permet d’atteindre des objectifs différents », dit-elle.
Sofer, qui a suivi un double cursus universitaire en théâtre et en psychologie, explique que lorsque les gens – et en particulier les enfants – sont hospitalisés, ils perdent le contrôle de tout. Les médecins, les infirmières et autres leur disent ce qu’ils doivent faire, ce qu’ils doivent porter, ce qu’ils doivent manger… Elle dit interagir avec eux en faisant en sorte de leur permettre de laisser libre cours aux émotions qu’ils ne peuvent pas ou qu’ils ne savent pas exprimer verbalement. Leur tâche, note-t-elle, va bien plus loin que le simple rire d’un enfant.
« Ils doivent suivre les ordres des médecins et ils se sentent seuls et impuissants. Des émotions qui deviennent plus fortes et qui peuvent entraîner un sentiment de colère. J’ai un outil pour que les enfants puissent exprimer leurs sentiments. Ils ne peuvent pas le faire avec des mots, mais ils le font à travers leur échange avec moi, en me regardant refléter ce qu’ils ressentent », précise-t-elle.
Sofer transporte avec elle une petite sacoche en plastique. Son sac à malice, pour ainsi dire. Elle en sort une tapette à mouche qu’elle agite autour d’elle, disant aux enfants qu’elle peut l’utiliser contre tous ceux qui l’ennuieront.
Elle a aussi un petit jouet en plastique – d’où une balle magique bondit dans les airs lorsqu’elle appuie dessus.
« Je dis aux enfants : ‘Écoutez, vous ne pouvez pas me surprendre. Vous n’avez pas le droit de m’énerver parce que moi, je peux perdre le contrôle.’ C’est toujours le moment où ils tentent de m’effrayer, à dessein. J’appuie sur le jouet et la balle surgit », raconte-t-elle.
« Et là, je crie : ‘Oh mon Dieu ! Je n’ai pas vraiment eu peur. C’était une coïncidence mais maintenant, tout ira bien. Je vais être forte’. En fait, je parle pour eux », explique-t-elle.
Elle a aussi des accessoires pour distraire les enfants lors des examens douloureux ou quand le personnel médical ne souhaite pas qu’ils regardent ce qui est en train de se passer. Elle a une machine qui fait du bruit, des bulles et même de faux excréments. Elle s’assure toujours d’avoir avec elle son ukulélé afin de pouvoir entonner une chanson ridicule quand le besoin s’en fait ressentir.
En présence de la journaliste que je suis, à l’hôpital Sheba, elle chante ainsi un air enjoué pour Tal, sept ans, qui se rétablit suite à une intervention chirurgicale et qui fait des expériences scientifiques avec un éducateur de l’hôpital. Sofer a placé sur son nez une paire de lunettes en 3D et elle prétend ne pas voir l’enfant, se heurtant aux murs. Ce qui fait éclater de rire Tal et tous ceux qui se trouvent dans la pièce.
Sofer dit qu’elle parle avec les jeunes patients de la guerre – mais « avec des termes différents », explique-t-elle. Elle salue les malades en se présentant sous le nom de « cheffe du Commandement du nez rouge » et elle leur montre ses grades sur des blasons cousus sur son costume coloré et éclectique.
Sofer a été sollicitée pour rendre visite à un soldat blessé à Sheba et, à son arrivée, les parents des autres militaires lui ont demandé de venir voir aussi leurs fils.
Travailler avec les soldats, est-ce si différent du travail avec les enfants ?… A cette question, elle répond que les bases sont les mêmes et que l’objectif est toujours de parvenir à toucher le cœur et l’esprit du patient.
« Nous disons toujours que les adultes sont des enfants en plus grands », plaisante-t-elle.
Avec les soldats, Sofer se concentre sur l’humour, la légèreté. Elle se présente comme étant leur chirurgienne en leur disant que leur opération s’est bien passée, mais qu’ils reste encore certaines choses à remettre en place.
« Ils rient toujours à ce moment-là. Je leur demande également s’ils vont bien et s’ils sont disponibles parce que je suis célibataire », dit-elle.
Elle raconte aussi des histoires drôles qui permettent, l’espace d’un instant, d’emmener l’esprit des soldats loin de leur chambre d’hôpital.
L’organisation Dream Doctors est aussi là pour les soignants. Les clowns les étreignent et les encouragent quand ils traversent les différents départements.
A l’hôpital pédiatrique de Safra, à Sheba, Dream Doctors a organisé un « mariage » surprise pour une infirmière, Maya, et pour son fiancé Tal. A cause de la guerre, le couple a dû annuler le mariage qu’il avait prévu dans les moindres détails et qu’il attendait depuis longtemps. Les fiancés n’étaient guère d’humeur à se réjouir mais le mariage des clowns – avec sa houppa et le voile de mariée – leur a redonné le sourire.
A Hadassah, Barashi admet que c’est très difficile de faire rire et d’aider les patients à se rétablir actuellement.
Sofer elle-même a connu des moments de désespoir et elle a eu le sentiment qu’elle ne parviendrait pas à continuer la mission qui est la sienne auprès des malades.
« J’avais l’estomac noué mais j’ai encore ressenti le besoin d’être là pour les autres. Je suis venue à l’hôpital au lendemain de la déclaration de guerre. J’étais encore habillée en civil et je hurlais. J’étais vraiment stressée, j’avais des attaques de panique », déclare-t-elle.
« Mais quand j’ai changé de vêtements, que je suis devenue ‘Olive’, tout a changé. Elle est un personnage totalement différent. Elle fait pour moi ce que je fais pour les autres. Elle guérit mon âme », dit-elle.
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