Pour les juifs messianiques de Jérusalem, l’assassinat de Yaron Lischinsky touche une corde sensible
Marginalisés en Israël, les adeptes de ce mouvement controversé défendent la sainteté de la Bible et de l'Évangile chrétien, tout en soulignant l’identité juive de Jésus
Dimanche, le pasteur Chad Holland est monté sur scène lors de l’office hebdomadaire de la congrégation messianique King of Kings à Jérusalem, devant un public conquis. Depuis près d’une heure, quelque 150 fidèles anglophones s’étaient réunis dans un ancien cinéma du centre-ville, chantant, lisant des passages de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament, et récitant des prières dans une atmosphère intense.
Mais le ton s’est alourdi lorsque Holland a évoqué la semaine éprouvante que venait de traverser la communauté.
« Nous avons subi une perte immense dans notre famille cette semaine », a-t-il déclaré, évoquant les assassinats de Yaron Lischinsky et de Sarah Milgrim, tués le 21 mai dans un attentat antisémite au Capital Jewish Museum de Washington, où ils travaillaient comme employés de l’ambassade d’Israël.
La famille Lischinsky est affiliée à la congrégation hébréophone Mele’h Hamela’him, qui fait partie du réseau King of Kings. Elle se réunit le vendredi après-midi dans le même bâtiment que le groupe anglophone dirigé par Holland.
« Yaron a grandi ici », a précisé le pasteur, tandis que des photos du jeune couple apparaissaient sur l’écran derrière lui. « Il était israélien. Il a servi trois ans dans Tsahal. Son père, Daniel, et le reste de sa famille font partie de l’une de nos congrégations King of Kings. Il appartenait à notre groupe de jeunes adultes. »
Les Juifs pour Jésus maintiennent la sainteté de la Bible et de l’Évangile, mais insistent sur l’identité juive de Jésus, qu’ils appellent par son nom hébreu, Yeshoua. Si nombre d’entre eux se considèrent comme faisant partie du peuple juif, leur mouvement est rejeté par l’ensemble des courants du judaïsme traditionnel, la foi en Jésus étant jugée incompatible avec les fondements du judaïsme.

La cérémonie de dimanche a débuté par une demi-heure de chants. Trois chanteurs, accompagnés d’un clavier, de guitares, d’un saxophone et d’une batterie, ont interprété des hymnes religieux, principalement en anglais, mais également en hébreu et en arabe. La majorité de l’assemblée s’est levée pour chanter, les bras levés dans un geste de prière et de louange.
« Tout au long de ma vie, en toute saison, Tu es toujours Dieu, j’ai une raison de chanter », disait l’un de ces chants. « Ze mi she’ata, ze mi she’ata (c’est qui Tu es). »
L’office comprenait également une « lecture de la parasha », avec des versets tirés des livres des Nombres et d’Osée – textes correspondant à la lecture de la Torah et de la haftara dans les synagogues pour le prochain Shabbat. Des passages de l’épître aux Romains ont également été lus, le Nouveau Testament étant désigné par son nom hébreu, HaBrit HaHadasha.

Dans son sermon, Holland a critiqué ceux qui ont présenté Lischinsky comme un chrétien.
« Soyons clairs, nous avons perdu avec Sarah et Yaron, deux croyants juifs », a-t-il déclaré. « Il n’y a rien de plus juif que de reconnaître son messie juif. »
Une « communauté productrice de disciples »
Le judaïsme messianique est mal vu par de nombreux Juifs, et peut-être plus encore en Israël, après des siècles de persécutions menées au nom de Jésus.
À la suite d’une longue et sanglante histoire de conversions forcées au christianisme, Israël demeure également très méfiant vis-à-vis du prosélytisme. La loi israélienne interdit expressément d’offrir de l’argent ou des cadeaux pour encourager une conversion religieuse, ainsi que de faire du prosélytisme auprès de mineurs. En mars 2023, une proposition de loi visant à interdire totalement le prosélytisme, portée par des membres ultra-orthodoxes de la coalition, a été finalement bloquée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu.

Pourtant, de nombreuses congrégations messianiques semblent encourager le prosélytisme dans leur communication.
Le réseau Fellowship of Israel-Related Ministries (FIRM), dont font partie les congrégations anglophone King of Kings et hébraïsante Mele’h Hamela’him à Jérusalem, affirme vouloir « donner aux ministères locaux les moyens de transformer des vies en Israël grâce à l’amour de Jésus ».
« Nous soutenons un réseau de près de 70 ministères et organisations en Israël qui partagent une passion pour faire connaître l’Évangile aux Israéliens », peut-on lire sur leur site.
King of Kings se définit en ligne comme une « communauté de disciples irrésistible, centrée sur le Messie et guidée par l’Esprit, qui révèle le vrai visage de Yeshoua (Jésus) à Israël et aux nations ».

Ulla Nuoraho, pasteure de la congrégation, originaire de Finlande et vivant à Jérusalem depuis 27 ans, a confié au Times of Israel que la congrégation ne cherche pas activement à convaincre autrui de changer de foi.
« Nous ne faisons pas vraiment d’évangélisation au sens propre », a-t-elle déclaré. « Nous rencontrons des gens, et s’ils sont ouverts, s’ils posent des questions, nous y répondons. Mais ce n’est pas notre vocation de sortir prêcher dans les rues. »
Pendant l’office dominical, les fidèles ont également été invités à faire un don, en ligne, par des paniers circulant dans la salle, ou dans des boîtes prévues à cet effet sur les murs. Pendant ce temps, le pasteur Mike Mott a prononcé un court sermon sur la dîme, un commandement biblique.
Il a affirmé qu’au cours de la guerre entre Israël et le Hamas, la congrégation avait récolté et reversé des millions de shekels à des œuvres caritatives, notamment à des soldats de Tsahal. Une courte vidéo a été projetée, montrant des membres de la communauté interagissant avec des soldats ayant bénéficié de leur soutien.

Interrogé à son tour, le pasteur principal de la congrégation hébréophone Mele’h Hamela’him, Oded Shimoni, a tenu à dissiper les malentendus sur les intentions de sa communauté.
« Permettez-moi de dissiper un mythe : nous ne faisons pas de prosélytisme », a-t-il déclaré. « Pas dans le sens où nous chercherions à convaincre les gens de changer de croyances, à l’aide d’argent ou d’autres incitations. »
« Nous faisons beaucoup de dons, c’est vrai, mais il s’agit d’aide humanitaire destinée aux plus démunis, et non d’un levier pour convertir », a-t-il insisté. « Je veux que ce soit parfaitement clair. »
Selon lui, la foi repose sur une démarche intérieure. « La relation personnelle avec Dieu passe par une conviction personnelle. »
« Nous ne pouvons partager que ce que nous avons vécu », a-t-il ajouté. « Nous en parlons dans nos échanges avec nos voisins, nos amis, nos collègues. Les portes sont ouvertes à ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur notre foi, mais nous ne sommes pas dans une démarche de conquête. »

Yaron se posait de « profondes questions sur la vie, la foi, Dieu »
Oded Shimoni s’est entretenu avec le Times of Israel quelques heures après les funérailles de Yaron Lischinsky, célébrées le 25 mai. (Celles de Sarah Milgrim ont eu lieu deux jours plus tard, à la congrégation Beth Torah d’Overland Park, dans le Kansas.)
« Je connais son père Daniel depuis 37 ans », a-t-il confié. « Yaron est né en Israël. Sa famille a déménagé en Allemagne quand il était bébé. Et dès leur retour, alors qu’il avait 16 ans, il a commencé à fréquenter régulièrement notre congrégation. »
« J’ai eu le privilège de mieux le connaître lorsqu’il a entamé ses études supérieures. Il se posait des questions profondes sur la vie, la foi, Dieu, et sur la façon de servir à la fois Dieu et le pays. »
Aujourd’hui âgé de 61 ans, Shimoni précise que lui et son épouse sont tous deux issus de familles juives israéliennes. Il dit avoir trouvé la foi messianique à la suite d’un long cheminement personnel dans sa vingtaine, après son service militaire.
Il émet toutefois une réserve sur l’expression « Juif messianique », estimant que le terme « messianisme » est de plus en plus associé, en Israël, à la mouvance religieuse nationaliste d’extrême droite.
« Je suis un Juif qui croit au Messie juif, Yeshoua », résume-t-il.
Selon le pasteur, il est difficile de connaître le nombre de juifs messianiques qui vivent en Israël, en raison des stigmates qui pèsent encore sur ce courant.
« J’ai vu des estimations allant de 15 000 à 85 000 », dit-il. « En raison des pressions religieuses, beaucoup préfèrent rester discrets. Il existe de nombreuses petites congrégations qui passent complètement sous le radar public. »

La congrégation Mele’h Hamela’him compte, selon lui, entre 100 et 150 membres. La majorité sont des Israéliens ou des nouveaux immigrants nés juifs, dont beaucoup ont servi dans l’armée.
Malgré les résistances, Shimoni estime que la reconnaissance de sa communauté a progressé au fil du temps.
« Quand je suis devenu disciple de Yeshoua, il y a 40 ans, les croyants n’avaient pas le droit d’entrer dans certaines unités sensibles de Tsahal. Aujourd’hui, même si certains milieux continuent de ne pas nous considérer comme Juifs, de nombreuses personnes reconnaissent que la société israélienne est faite de groupes et de croyances variés, et que nous sommes des citoyens fidèles de ce pays. »
« Les Juifs messianiques, dans leur ensemble, se considèrent comme partie intégrante de la nation », conclut-il. « Nous servons l’État. Certains des nôtres sont tombés pendant la guerre récente. C’est une réalité nuancée, mais bien réelle. »
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