Pour Netanyahu, l’embarras d’hier pourrait devenir la victoire de demain
Les politiciens accusent le Premier ministre d'avoir perdu le contrôle de la situation, mais cela pourrait lui permettre de résoudre son dilemme sur la réforme de l'État
Le vote de la Knesset de mercredi visant à nommer des législateurs pour siéger à la commission de sélection des juges d’Israël a été l’un des plus chargés et des plus bizarres depuis que la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu a accédé au pouvoir il y a six mois.
Les experts ont qualifié l’événement d’échec pour Netanyahu, après qu’au moins quatre membres de la coalition se sont défilés pour placer la députée de l’opposition Karine Elharrar à la commission de sélection des juges, défiant ainsi l’ordre de Netanyahu de torpiller à la fois Elharrar et la députée de son propre parti, Tally Gotliv, afin de déclencher un nouveau vote dans les 30 jours.
Pourtant, le vote à huis-clos de mercredi, au cours duquel Elharrar a été élue et pas Gotliv, pourrait bien l’avoir aidé à sortir d’un étau politique, au moment où il s’efforce d’équilibrer les pressions pour et contre le plan de son gouvernement qui vise à réduire les contrôles judiciaires sur le pouvoir politique.
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Le résultat du vote, ainsi que la réaction de l’opposition, pourraient, en fin de compte, permettre au Premier ministre de proposer suffisamment de changements pour vendre la « réforme » à la rue, mais sur des sujets qui ne sont centraux ni pour l’opposition, ni pour le mouvement de protestation, et qui ne risquent donc pas de provoquer de réactions de masse chez ces derniers.
Bien que la situation ne soit pas de son fait, Netanyahu a pris les cartes qu’on lui a distribuées et a trouvé un moyen de les jouer en sa faveur. Alors que Netanyahu tentait de pousser sa coalition à nommer le député d’Otzma Yehudit Yitzhak Kroizer aux côtés d’Elharrar, il a vite compris, peu avant le vote, que Gotliv refusait de retirer son nom du scrutin, mettant ainsi son plan en péril.
Le nombre de législateurs de la coalition désireux de s’emparer des deux sièges de la commission de sélection des juges était suffisant pour que l’élection de Mme Gotliv puisse devenir une réalité si elle restait sur la liste de vote aux côtés de M. Kroizer. Les partis d’opposition avaient cependant fait savoir qu’ils bloqueraient les négociations sur un compromis pour la réforme du système judiciaire s’ils n’obtenaient pas de représentant, comme c’est habituellement le cas.
Pour obtenir la participation du parti d’extrême droite à la coalition dure, le Likud avait promis un siège à Otzma Yehudit, mais le leader du Likud était incapable de garantir les résultats d’un vote à huis clos.
Dès que Kroizer a accepté d’annuler sa nomination, Netanyahu a demandé à la coalition de faire avorter le vote en rejetant les deux candidates afin de déclencher un sursis de 30 jours. Seulement, pas tout le monde n’a écouté. C’est alors que les leaders de l’opposition lui ont donné la couverture politique dont il avait besoin.
Yair Lapid, de Yesh Atid, et Benny Gantz, de HaMahane HaMamlahti, ont publié une déclaration commune peu après l’élection de Elharrar, indiquant qu’ils arrêtaient les négociations parce que les tentatives de Netanyahu pour retarder le vote violaient une promesse qui leur avait été faite et prouvaient que ce dernier était malhonnête, mais aussi parce que ses agissements avaient rendu impossible la convocation du groupe d’experts et la reprise de ses travaux pour l’instant. (Les législateurs de l’opposition ont pris la parole sur les ondes jeudi pour préciser qu’il ne s’agissait que d’une « pause » jusqu’à la réunion de la commission de sélection des juges).
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, aurait menacé de ne pas convoquer la commission dans sa forme actuelle, car il exige d’abord l’adoption de la législation très controversée visant à remodeler la commission de manière à donner à la coalition un contrôle total sur la sélection des juges.
Lapid et Gantz ont été soumis à des pressions considérables de la part des autres partis de l’opposition et du mouvement de protestation contre la réforme judiciaire, fort de 23 semaines, qui affirment que les négociations n’ont été qu’une feuille de vigne pour masquer l’intention de la coalition de procéder à des changements unilatéraux.
L’opposition ayant interrompu les pourparlers, Netanyahu a saisi l’occasion à deux mains, l’accusant de faire échouer les négociations.
« Aujourd’hui, il est clair que Gantz et Lapid ont cherché par tous les moyens à faire échouer les négociations », a déclaré Netanyahu dans un communiqué vidéo diffusé mercredi soir, sa première déclaration publique depuis le vote.
Netanyahu y affirme que les représentants de l’opposition « ont rejeté toutes les propositions, même les plus modestes » que la coalition avait présentées. « Gantz et Lapid ne veulent pas de vraies négociations », a-t-il accusé. « Je vous promets que contrairement à eux, nous agirons de manière responsable pour notre pays. »
Cette phrase pourrait bien être plus qu’un simple échange de blâmes politiques.
Netanyahu le funambule
La colère au sein de la coalition face aux résultats du vote et à la réaction de l’opposition a atteint son paroxysme lorsque plusieurs appels ont été lancés à Netanyahu pour qu’il abandonne le gel actuel du projet de réforme.
Le ministre de la Sécurité nationale d’extrême droite, Itamar Ben Gvir, a exhorté Netanyahu et Levin à « soumettre le projet de loi visant à modifier la Commission de sélection des juges à un vote en deuxième et troisième lectures. La réforme, c’est maintenant ».
Le ministre des Finances ultra-nationaliste Bezalel Smotrich, dont le parti HaTzionout HaDatit a joué un rôle actif dans l’élaboration des projets de loi de refonte, a réaffirmé que la coalition était prête à faire adopter des mesures unilatérales.
« Nous souhaitons vivement légiférer par consensus, mais si l’opposition fait échouer les négociations engagées à la résidence du président, nous légiférerons de manière indépendante, conformément au mandat clair que nous avons reçu d’une large majorité de la population israélienne lors des dernières élections », a déclaré Smotrich.
« Les menaces de l’opposition de faire unilatéralement échouer les négociations à la résidence du président révèlent leur vrai visage », a-t-il ajouté. « Nous n’accepterons en aucun cas de bloquer l’essentiel de la réforme ».
Des voix similaires se sont élevées au sein du Likud, notamment de la part du ministre de la Culture et des Sports, Miki Zohar, un fidèle de Netanyahu, qui a déclaré que si les pourparlers étaient gelés, la coalition était désormais tenue de faire passer la refonte.
« Depuis le début, l’opposition est de mauvaise foi aux négociations à la résidence du président, et nous en avons eu la preuve aujourd’hui », a-t-il déclaré.
De l’autre côté de l’équation, Netanyahu a dû faire face à un mouvement de protestation de masse qui dure depuis six mois, à un shekel chancelant qui a réagi fortement à la possibilité de nouvelles instabilités, et à au moins quatre de ses propres députés qui ont rompu les rangs pour voter en faveur d’Elharrar.
Ce dernier facteur, selon les analystes, jette un doute sur la capacité de la coalition à obtenir les votes nécessaires pour adopter les aspects les plus extrêmes de la réforme.
Une voie possible pour l’avenir
Depuis un mois, les plans d’action de Netanyahu sont déduits de fuites provenant de la résidence du président, et se résument à l’adoption d’aspects plus limités et moins conflictuels du plan de réforme. Il s’agit en particulier de lois visant à limiter le contrôle judiciaire des décisions du gouvernement quant à leur « caractère raisonnable » et à permettre au gouvernement de choisir ses propres représentants légaux plutôt que de devoir compter sur le bureau du Procureur général pour plaider en sa faveur.
Ces deux idées ont été proposées et n’ont suscité qu’une réaction modérée au sein de la population, surtout en comparaison du tollé et à la résistance suscités par l’objectif central déclaré de Levin, à savoir donner un avantage structurel au gouvernement dans la commission de sélection des juges et donner à la Knesset le pouvoir de contourner toute décision d’un tribunal d’annuler des projets de loi.
En outre, les négociateurs de la coalition ont affirmé que l’opposition avait accepté en principe ces points relativement moins radicaux à huis clos, bien que Yesh Atid et HaMahane HaMamlahti le nient avec véhémence. L’opposition a insisté sur le fait qu’elle n’accepterait qu’un accord sur un ensemble complet de réformes qui mettrait fin à toutes les questions et à toutes les demandes – ou qu’il n’y aurait pas d’accord du tout.
Il y aurait même eu des rumeurs selon lesquelles Netanyahu envisagerait de dissocier les deux dossiers qui semblent les plus simples pour aller de l’avant, dans l’espoir que l’opposition ne s’oppose pas aussi fermement à lui sur des points qu’elle est prête à concéder en fin de compte.
Une telle voie pourrait permettre à Netanyahu de présenter une victoire mineure à sa base qui réclame une refonte, à un coût moindre pour le grand public. Il devrait pouvoir le faire en disant que c’est l’opposition qui s’est désengagée des pourparlers avec le président, même si elle a agi de la sorte parce qu’elle craignait à juste titre que l’élection d’Elharrar ne soit qu’une victoire à la Pyrrhus pour une commission qui ne fonctionne pas.
Il est probable que les manifestants continueront à descendre dans la rue, accusant Netanyahu de n’avoir coupé que la première tranche selon la tactique législative progressiste du « salami ». Mais il reste à voir si les organisateurs parviendront à rassembler le type de soutien qu’ils ont reçu au plus fort des manifestations en réponse à des actions moins importantes.
Et pour un premier ministre confronté à des investisseurs mondiaux frileux, à des agences de notation effrayées et à la censure diplomatique, le fait de n’adopter que ces questions secondaires offrirait à Netanyahu la possibilité de se tourner vers le monde et de dire « Je vous l’avais bien dit », en prouvant que les changements législatifs qu’il fait adopter ne constituent pas vraiment l’érosion drastique de l’État de droit et l’assaut contre la démocratie qui ont été tant redoutés et âprement critiqués.
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