Pourquoi Israël a accepté l’accord sur les otages et comment le Hamas pourrait tenter d’en profiter
Le vote d'approbation au cabinet a montré que les ministres pensent qu'il n'y a pas de meilleur arrangement et que la guerre reprendra ; Yahya Sinwar pourrait avoir d'autres plans
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Au tout début de la guerre d’Israël contre le Hamas, un responsable israélien avait indiqué aux journalistes que l’armée frapperait le groupe terroriste partout où il se trouverait à Gaza – même si cela devait porter atteinte aux quelques 240 otages retenus en captivité dans la bande. Bien sûr, si Tsahal avait des informations sur un lieu spécifique où les détenus seraient susceptibles de se trouver, ce dernier serait épargné. Mais le cas échéant, les opérations des militaires ne seraient pas limitées par la crainte de blesser par inadvertance les Israéliens se trouvant entre les mains du Hamas.
Avec l’avancée de l’offensive terrestre, certains membres du cabinet de guerre ont toutefois clairement établi que l’approche de la question du sort réservé aux otages avait graduellement changé. Un changement qui a atteint son paroxysme dans la soirée de samedi quand Gadi Eizenkot, qui siège au cabinet de guerre en tant qu’observateur, a dit aux familles, en privé, que la libération de leurs proches était la priorité absolue de cette guerre – avant même de détruire le Hamas – et que le ministre au sein du cabinet de guerre Benny Gantz a estimé, lors d’une conférence de presse, qu’Israël avait potentiellement « des décennies » pour réduire à néant le Hamas mais que l’impératif de la remise en liberté des captifs était « une urgence ».
Ce nouvel état d’esprit a été au cœur de l’accord approuvé par le cabinet israélien, dans la nuit de mardi à mercredi : la guerre sera suspendue pendant quatre jours pour permettre à une cinquantaine d’otages israéliens de retrouver leurs familles et l’arrêt des combats pourra même être prolongé toutes les vingt-quatre heures si le Hamas est encore en mesure de présenter et de remettre en liberté des groupes supplémentaires de dix otages.
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Le fait que les ministres du cabinet aient voté à 35 voix « Pour » – contre 3 « Contre »- en faveur de l’accord finalisé avec le groupe terroriste qui a enlevé et qui détient actuellement la grande majorité des captifs, qui a orchestré et perpétré le massacre qui a fait 1 200 morts dans le sud d’Israël, le 7 octobre, souligne combien les leaders politiques et sécuritaires de l’État juif considèrent l’accord comme potentiellement avantageux.
Évidemment, Israël aurait préféré un accord qui aurait garanti le retour de tous les otages. Mais il a été dit aux ministres qu’aucun accord de ce type ne pourrait être conclu.
Évidemment, une fois encore, Israël aurait préféré que l’armée puisse localiser et sauver elle-même tous les détenus ou un plus grand nombre d’otages tout du moins – sans que cela n’exige la conclusion d’un accord avec les terroristes, sans que cela ne nécessite la libération de prisonniers sécuritaires palestiniens ou une trêve dans les combats. Une option impossible, a-t-il été encore une fois affirmé aux ministres. Seule une otage a été secourue et extraite de la bande de Gaza jusqu’à présent – c’était Orit Megidish, il y a trois semaines, au cours d’une opération à haut-risque, alors même que l’armée avait pris un contrôle plus important de nombreux bastions du Hamas dans le nord de l’enclave côtière (le cas de Nachshon Wachsman, un soldat qui avait été kidnappé par le Hamas en 1994, souligne les difficultés posées par de tels sauvetages. Pour Wachsman, l’État juif savait très précisément où il était retenu en captivité, aux abords de Jérusalem, en Cisjordanie, mais une tentative de secours s’était révélée désastreuse et Wachsman avait été tué par ses geôliers au moment où les commandos tentaient d’entrer et l’officier qui dirigeait l’opération avait, lui aussi, perdu la vie).
L’accord, a-t-il été dit aux ministres, est la seule option actuellement à disposition pour obtenir la libération des otages. Malgré les souffrances de ceux qui resteront en captivité dans la bande de Gaza – des personnes âgées, de nombreux parents – il semble que tous les ministres aient été convaincus que ce pacte avec le diable devait néanmoins se faire.

Un facteur déterminant ayant permis ce soutien quasi-unanime – seul les ministres du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit, d’Itamar Ben Gvir, ont voté en sa défaveur – a été une promesse faite par le Premier ministre. Celle que la guerre reprendrait son cours dès que l’accord aurait été mis en œuvre et que les objectifs poursuivis par la campagne militaire resteraient les mêmes : la destruction des capacités militaires et de gouvernance du groupe terroriste, ainsi que le retour de tous les otages.
Il a été indiqué aux ministre que les progrès réalisés dans l’incursion terrestre, jusqu’à présent, avaient largement joué dans la décision prise par le Hamas d’accepter l’accord et que la reprise de l’offensive au sol était cruciale s’agissant de la remise en liberté du reste des otages.
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Dans la mesure où même certains des membres les plus extrêmes de la coalition – dont, il faut le noter, le parti Hatzionout HaDatit de Bezalel Smotrich – ont considéré que cet accord valait la peine d’être approuvé, il faut se poser la question : pourquoi le Hamas y a-t-il consenti, pourquoi est-il même allé jusqu’à l’offrir ?
Son objectif stratégique, lorsqu’il a mis au point le massacre du 7 octobre, était de poursuivre ce qui est sa raison d’être – tuer des Juifs et, à terme, détruire l’État d’Israël. Mais il a également pris des otages pour garantir que ses terroristes incarcérés dans les prisons israéliennes seraient libérés. Dans un accord conclu en 2011, il avait marchandé la libération d’un seul captif, le soldat Gilad Shalit, kidnappé en 2006 sur le sol israélien, pour obtenir la remise en liberté de plus d’un millier de détenus, dont plus de 280 purgeaient alors des condamnations à vie. Et pourtant, aujourd’hui, il a accepté de libérer 50 Israéliens contre environ 150 femmes et mineurs palestiniens – aucun n’ayant été reconnu coupable de meurtre par les tribunaux israéliens.
Ce qui pourrait laisser penser que le Hamas a été pressé d’accepter un accord. Mais si tel est le cas, cela ne cadre guère avec les informations signalant que Yahya Sinwar, le chef du groupe terroriste et cerveau de l’assaut du 7 octobre et qui aurait déterminé, semble-t-il, les dispositions de l’accord, serait encore euphorique face au « succès » du massacre du 7 octobre. Il est possible que dans tous les cas, Sinwar est persuadé d’avoir déjoué Israël concernant les termes et la mise en œuvre de l’accord.

De nombreux commentateurs israéliens s’attendent à ce que Sinwar tente d’utiliser la pause pour réorganiser son armée terroriste – qui, dans sa plus grande partie, est restée intacte même si de nombreuses infrastructures du groupe, dans le nord de la bande, ont été détruites par l’armée, ou qu’elles se situent dans des secteurs dont les soldats ont pris le contrôle. Ils laissent entendre qu’il pourrait également utiliser cette trêve pour sortir de l’endroit où il se cache, quel qu’il soit, pour « une photo de victoire » qui redynamiserait ses troupes et démoraliserait Israël.
D’autres estiment que Sinwar est enclin à prévenir l’élargissement imminent de la campagne au sol israélienne dans le sud de Gaza et en particulier à Khan Younès où il se trouverait, avec d’autres leaders du Hamas et où se trouveraient aussi de nombreux otages.
Et donc, spéculent-ils, Sinwar tentera de prolonger la mise en œuvre de cet accord, notamment en demandant une pause plus longue qui sera nécessaire, dira-t-il, pour localiser un plus grand nombre d’otages, plaçant potentiellement les familles de ces derniers dans une trajectoire opposée à celle du gouvernement, tout en tentant de renforcer les pressions internationales en faveur de l’arrêt définitif de l’offensive.
Tamir Heyman, ancien responsable des renseignements militaires, a indiqué mardi qu’il pensait que les pressions internationales sur Israël – et en particulier de la part des États-Unis – auront plutôt tendance à s’alléger en conséquence de cette trêve temporaire, avec de plus grandes quantités d’aide humanitaire qui pénètreront à Gaza et que cette pause pourra être aussi exploitée par Tsahal pour régénérer et réorganiser ses troupes.
La sémantique utilisée autour de l’accord est importante dans ce contexte. L’accord est largement évoqué sous la forme d’un « cessez-le-feu » – et un cessez-le-feu représente, en général, un arrêt dans les combats pour permettre des discussions et, à terme, de mettre fin au conflit. Les leaders politiques israéliens et la décision prise par le gouvernement sur l’accord (lien en hébreu) parlent, pour sa part, de « pause » dans la campagne militaire.
Alors qu’il était interrogé sur l’accord, sur la pause dans la campagne impliquée par ce dernier et sur l’impact potentiel de cette trêve lors de la reprise des hostilités, le contre-amiral Daniel Hagari, porte-parole de Tsahal, a expliqué que des tels accords étaient l’apanage des politiciens tout en disant être convaincu que l’armée pourrait, in fine, poursuivre et atteindre ses objectifs fixés dans le cadre de la guerre.
Pour sa part, Netanyahu aurait déclaré aux ministres, mardi soir, que la question n’était pas de savoir s’il y aurait un élargissement de l’incursion terrestre à Khan Younès, « mais quand » cela aura lieu.
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