Pourquoi le gouvernement le plus à droite de l’Histoire a rencontré l’AP à Aqaba
La droite dure a accepté de prendre part à un sommet avec l'Autorité palestinienne - une perspective que la coalition centriste précédente avait refusé d'imaginer
WASHINGTON — Il y a de nombreuses raisons d’émettre des réserves sur le sommet régional qui a réuni, le mois dernier, Israël et l’Autorité palestinienne (AP) à Aqaba, une station balnéaire de Jordanie.
Il n’y a eu, bien entendu, aucune percée diplomatique et les très maigres engagements consentis entre les deux parties en présence de leurs interlocuteurs américains, jordaniens et égyptiens ont été écartés d’un revers de la main et minimisés par les ministres israéliens avant même que l’encre du communiqué conjoint émis à l’issue de la rencontre n’ait eu le temps de sécher.
Et pourtant, le simple fait que de hauts-responsables israéliens et palestiniens aient affiché la volonté de se rencontrer à l’occasion d’un sommet officiel, dans un contexte de vague de violences continues et sans précédent depuis quinze ans, est intrinsèquement remarquable. La portée du communiqué a été modeste mais il a été l’occasion pour les deux parties de réaffirmer les accords précédents qui avaient pu être conclus dans le passé – et notamment les Accords d’Oslo qui devaient ouvrir la voie à l’auto-détermination palestinienne, des accords honnis par le gouvernement actuel.
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Israel et l’AP ont aussi convenu de s’abstenir temporairement de prendre « des mesures unilatérales » auxquelles l’autre partie serait susceptible de s’opposer. Ce qui a compris l’engagement d’Israël de ne pas faire avancer de nouveaux plans de construction dans les implantations pendant quatre mois, et de ne pas procéder à la légalisation d’avant-postes en Cisjordanie pendant six mois.
La rencontre d’Aqaba n’a pas été seulement une conférence sécuritaire réunissant généraux et autres officiers des renseignements – elle a été aussi politique, se déroulant en présence de hauts-responsables israéliens, dont le directeur-général du ministère des Affaires étrangères Ronen Levi et le ministre des Affaires civiles de l’AP, Hussein al-Sheikh.
Un haut-responsable israélien qui s’est confié, cette semaine, au Times of Israel a estimé que la conférence s’était apparentée « à un rassemblement politique » – une catégorisation que le précédent gouvernement, qui était notamment constitué des partis pacifistes Avoda et Meretz, n’aurait jamais osé utiliser.
Les leaders de la précédente coalition au pouvoir en 2021 et 2022 avaient, c’est vrai, téléphoné au président Mahmoud Abbas lors des fêtes et ils l’avaient invité dans leurs habitations mais – inquiets à l’idée d’être qualifiés de gauchistes, par la virulente opposition de droite à l’époque – les officiels avaient pris soin de rapidement préciser que ces rencontres portaient strictement sur des affaires de sécurité, réfutant toute idée qu’elles aient pu être le prélude de négociations politiques.
Alors comment se fait-il que ce nouveau gouvernement, le gouvernement le plus à droite de toute l’Histoire d’Israël, le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, du ministre des Finances Bezalel Smotrich et du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir — qui s’enorgueillissent depuis longtemps de leurs initiatives prises pour marginaliser l’AP, de leur idéologie pro-annexion et de leur opposition stridente à la perspective d’un état palestinien – comment ce gouvernement a-t-il pu accepter non seulement d’assister à une conférence régionale qui a rehaussé le statut de l’AP mais qui a aussi signé un accord qui reconnaît, dans les faits, la nature problématique de l’expansionnisme en Cisjordanie dont ils vantent depuis si longtemps le bien-fondé ?
Les responsables des pays participants ont fait savoir au Times of Israel que suite à l’insistance des États-Unis, Netanyahu avait consenti à envoyer une délégation de premier plan à Aqaba, le 26 février, reconnaissant qu’une désescalade des tensions sur le terrain était aussi dans l’intérêt d’Israël. Les plus de deux mois de violences meurtrières en Cisjordanie, depuis l’établissement de son gouvernement, n’ont pas seulement ébranlé les liens naissants d’Israël avec les États signataires des Accords d’Abraham (les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc) mais ils ont aussi repoussé la possibilité d’une normalisation des relations diplomatiques entre Jérusalem et d’autres pays supplémentaires – et notamment avec l’Arabie saoudite, potentiel partenaire d’alliance très convoité par l’État juif.
Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal Bin Farhan Al-Saud, a déclaré mardi à la BBC que « le gouvernement israélien fait actuellement tout ce qu’il peut pour saper les Accords d’Abraham » et il a mis en garde contre « des violences réelles et graves » qui seraient susceptibles de se répandre dans le Moyen-Orient plus largement si les affrontements entre Israéliens et Palestiniens devaient continuer. Depuis le début de l’année 2023, au moins 70 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie. La majorité d’entre eux étaient des terroristes ou des hommes armés qui ont trouvé la mort dans des heurts ou dans des échanges de coups de feu avec les soldats, mais certains étaient des civils qui avaient seulement eu la malchance d’être là au mauvais moment. Quatorze Israéliens et ressortissants étrangers, dont des enfants, ont perdu la vie lors d’attentats palestiniens au cours de la même période.
Pas de tapis rouge
Ces violences, qui se sont ajoutées aux initiatives prises par Israël pour solidifier sa présence à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, ont d’ores et déjà eu des conséquences sur les relations diplomatiques entretenues par le gouvernement de droite, d’extrême-droite et religieux.
Un responsable américain et un diplomate de longue date au Moyen-Orient avaient ainsi dit, le mois dernier, au Times of Israel que les invitations lancées à Netanyahu concernant deux visites officielles – aux États-Unis et aux Émirats arabes unis – avaient été mises en veilleuse, les deux sources expliquant que les gouvernements des deux pays ressentaient une forte frustration face aux politiques mises en place par le gouvernement vis-à-vis des Palestiniens et qu’ils attendaient de voir ce qu’il se passerait sur le terrain pendant le mois du ramadan, qui est toujours une période de tensions particulièrement accrues entre les Israéliens et les Palestiniens. (Le média d’information Axios, pour sa part, a annoncé que la décision prise par les Émirats arabes unis de revenir sur l’invitation qui avait été transmise à Netanyahu avait été motivée par l’inquiétude de ce que le Premier ministre israélien n’utilise ce déplacement pour faire des déclarations publiques contre l’Iran sur le sol émirati).
L’embrasement de la question palestinienne a aussi entravé les initiatives de développement du Forum du Néguev, qui regroupe les États-Unis, Israël et ses nouveaux et anciens alliés arabes de manière à promouvoir des projets régionaux conjoints. Le Maroc devait accueillir la deuxième édition du forum au mois de mars, mais ce projet a été lui aussi reporté au vu des tensions qui persistent au-delà de la Ligne verte, a noté le diplomate américain.
Les pays du Forum du Néguev – les États-Unis, Israël, l’Égypte, les EAU, Bahreïn et le Maroc – avaient envoyé des groupes de travail qui s’étaient réunis à Abou Dhabi, au mois de janvier, pour discuter des projets conjoints en développement. Mais les progrès réalisés avaient été limités dans un contexte de manque d’enthousiasme et en raison du désir de multiples pays de ralentir les efforts livrés pour renforcer les initiatives entreprises, en particulier de la part de l’Égypte, ont indiqué un diplomate israélien et un diplomate arabe, la semaine dernière.
« J’espère que le Premier ministre Netanyahu comprend l’étendue des répercussions de ses politiques sur les Accords d’Abraham », a dit un autre diplomate vétéran travaillant pour un pays membre du forum au Times of Israel, lundi. « L’inquiétude est réelle sur sa potentielle incapacité à freiner ses partenaires de coalition ».
« Et les États arabes sont également réellement préoccupés à l’idée que les tensions ne se propagent à la mosquée Al-Aqsa pendant le ramadan, ce qui rendra beaucoup plus difficile pour nous de continuer à développer le forum du Neguev », a poursuivi le diplomate qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat.
Ces violences en Cisjordanie perturbent aussi la communication avec l’administration Biden, une communication qu’Israël préfèrerait très largement réserver à la question du nucléaire iranien. Netanyahu a envoyé le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, et le conseiller à la Sécurité nationale Tzachi Hanegbi, à Washington cette semaine pour que les deux hommes puissent s’entretenir avec de hauts-responsables américains sur la possibilité de renforcer la coopération contre l’Iran. Pourtant, les gros titres qui ont suivi leur rencontre avec le secrétaire d’État Antony Blinken se sont résumés aux appels répétés qui ont été lancés par le chef de la diplomatie américaine en faveur d’initiatives israéliennes susceptibles d’apaiser les tensions avec les Palestiniens.
Il reconnaît qu’il y a un problème
Un haut responsable israélien a déclaré lundi au Times of Israel que Netanyahu « reconnaît les conséquences des événements qui ont actuellement lieu à Jérusalem et en Judée-Samarie (le nom biblique de la Cisjordanie), et c’est l’une des raisons qui l’ont motivé à accepter la demande de l’administration Biden de prendre part au sommet d’Aqaba ».
« Ces attentats palestiniens ont eu lieu en l’absence du risque posé par l’élément religieux du ramadan et nous voulons calmer les choses pour éviter un autre genre d’explosion », a expliqué le haut responsable.
Un élément qui avait joué un rôle dans le voyage qui avait été effectué par Netanyahu en Jordanie, à la fin du mois de janvier, dans le cadre de son premier déplacement à l’étranger depuis son retour à la tête du pays.
« Israël reconnaît le rôle spectaculaire que peut jouer la Jordanie que ce soit pour calmer ou pour attiser les tensions, en particulier à Jérusalem », a-t-il poursuivi, faisant référence au rôle d’administrateur tenu par Amman au sein du complexe du mont du Temple.
Deux semaines après le voyage de Netanyahu, l’État juif avait approuvé une série de modestes mesures pour les Palestiniens – une augmentation du pourcentage touché par l’AP sur les revenus collectés au poste-frontière d’Allenby, l’abaissement des taxes imposées par Israël sur le transfert des carburants à Ramallah, l’élargissement de la liste des produits d’importation non-taxés et l’octroi de permis aux Palestiniens pour qu’ils puissent aller prier à la mosquée al-Aqsa si la situation restait calme.
Des initiatives qui sont restées bien peu ambitieuses en comparaison avec celles qui avaient été prises par le gouvernement précédent, qui avait augmenté de plusieurs milliers le nombre de permis de travail en Israël accordés aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie et qui avait approuvé à la même échelle la délivrance de cartes d’identité aux Palestiniens sans papiers. Et pourtant, le simple fait que le nouveau gouvernement de la ligne dure ait accepté d’approuver des mesures pour les Palestiniens, aussi dérisoires soient-elles, est une avancée positive, a estimé un responsable américain.
Ce qui n’était pas dans le communiqué
Un officiel proche du dossier a indiqué qu’Israël avait profité du sommet d’Aqaba pour demander à l’AP de se montrer plus agressive dans la lutte contre le terrorisme dans le nord de la Cisjordanie, où plusieurs groupes armés se sont implantés alors que l’AP est considérée comme de plus en plus illégitime par le public palestinien, et dans un contexte de frustration croissante face au contrôle militaire israélien.
Il a ajouté que l’AP avait convenu que ses forces de sécurité joueraient un rôle plus actif dans le nord de la Cisjordanie, Israël avertissant que si Ramallah devait, en l’occurrence, échouer à agir contre les groupes armés, l’armée israélienne n’aurait d’autre choix que d’intervenir à sa place dans le secteur. Israël avait aussi indiqué que Tsahal ferait de son mieux pour ne pas pénétrer dans la Zone A de la Cisjordanie, qui est contrôlée par l’AP, avant et pendant le ramadan.
L’État juif avait aussi demandé lors du sommet d’Aqaba une condamnation officielle de l’AP des attentats terroristes commis contre des civils et il avait réclamé également de mettre un frein aux incitations qui ne cessent de se multiplier, a continué l’officiel.
Néanmoins, ces deux points – les raids israéliens et les incitations palestiniennes – n’avaient pas été intégrés dans la version finale du communiqué qui ne mentionnait pas non plus, de manière notable, d’engagements autres que celui concernant, du côté d’Israël, l’interruption temporaire des approbations d’implantations.
Après le sommet, Netanyahu n’avait pas manqué de rapidement souligner que cet engagement ne s’apparentait pas à un gel des implantations dans la mesure où l’instance qui autorise les constructions dans les implantations, au sein du ministère de la Défense, ne se réunit qu’une fois par trimestre et qu’elle continuera à le faire comme prévu. Il avait aussi précisé que cet engagement ne concernait pas les plans de construction de presque 10 000 logements dans les implantations qui avaient été approuvés avant le sommet d’Aqaba.
Absent aussi du communiqué, l’engagement pris par Israël de remettre les dizaines de millions de dollars de revenus fiscaux que l’État juif s’était abstenu de verser à l’AP pour répondre à la pratique controversée des allocations remises par Ramallah aux terroristes condamnés et aux familles des attaquants palestiniens.
Toutefois, Al-Sheikh a fait savoir au Times of Israel que Jérusalem avait déjà accepté de remettre ces fonds avant le sommet d’Aqaba – mais que l’État juif n’avait alors pas donné suite. Hanegbi a démenti avoir pris un tel engagement, affirmant que la question devait être discutée lors d’une réunion de suivi que les deux parties tentent actuellement d’organiser à Sharm el-Sheikh, en Égypte, en date du 17 mars.
Al-Sheikh a ajouté que sans promesse de la part des États-Unis, de la Jordanie et de l’Égypte que les trois pays feraient assumer à Israël la responsabilité des engagements pris par l’État juif à Aqaba, l’AP ne viendrait pas à Sharm el-Sheikh – et le raid meurtrier de l’armée israélienne qui a eu lieu lundi à Jénine devrait encore compliquer les efforts livrés pour garantir que Ramallah continuera à coopérer.
L’AP avait été critiquée, sur les territoires palestiniens, pour sa présence à Aqaba dans un contexte de raids militaires israéliens dans les villes palestiniennes. Al-Sheikh a défendu sa participation au sommet, disant devant les caméras de Palestine TV, la semaine dernière : « Qu’avons-nous perdu ? Je veux qu’on me dise ce que nous avons perdu. Avons-nous fait des concessions sur des positionnements importants pour nous ?… La coopération sécuritaire avec Israël a-t-elle été de retour ? »
Il a critiqué les manifestations des Palestiniens contre le sommet, affirmant qu’un refus de venir à Aqaba n’aurait pas arrêté les opérations militaires israéliennes. Il a déclaré que le sommet avait été une réussite significative pour l’AP dans la mesure où Israël avait rejeté, depuis des années, toute possibilité d’assister à une conférence politique de ce genre.
Garder juste mesure
Un responsable américain a lui aussi convenu que la présence d’Israël au sommet avait été « une victoire » aux yeux de l’administration Biden. « Le précédent gouvernement refusait de faire quoi que ce soit de politique, et nous avions vraiment dû nous battre pour obtenir seulement des coups de téléphone. Obtenir des deux parties qu’elles se tiennent dans la même pièce a donc été un progrès ».
L’officiel américain a aussi fait part de sa surprise et de sa satisfaction concernant certains éléments qu’Israël a accepté d’inclure dans le communiqué émis à Aqaba, avec notamment son engagement « à l’égard de tous les accords précédents » ainsi que la reconnaissance du rôle « de tutelle » tenu par la Jordanie à Jérusalem. Israël n’avait jamais accepté, jusqu’à présent, d’inscrire ce point sur un document, se reposant sur son traité de paix conclu avec la Jordanie pour simplement reconnaître « le rôle particulier » tenu par le royaume hachémite dans les sanctuaires musulmans de Jérusalem.
Un responsable israélien a révélé que la décision prise par la délégation israélienne de signer un document qui comprenait la mention de la « tutelle » jordanienne avait été une négligence.
Respecter les dispositions stipulées dans ce document s’est d’ores et déjà avéré être très difficile pour Jérusalem, et la Treizième chaîne a signalé que le bureau de Netanyahu avait organisé une réunion informelle, dimanche, pour évoquer la légalisation de l’avant-poste d’Evyatar, malgré son engagement à s’abstenir de légaliser les communautés illégales pendant six mois.
L’administration Biden avait probablement anticipé de tels développements – et c’est la raison pour laquelle l’ambassadeur américain aux États-Unis, Tom Nides, a pris soin de minimiser les attentes sur ce qui est susceptible d’émerger de ces rencontres.
« Ne nous laissons pas emporter », a-t-il indiqué la semaine dernière. « Ce ne sont pas les accords de Camp David. Ce n’est pas la paix au Moyen-Orient. Ce sont de petits pas qui sont réalisés pour tenter d’éviter des actions qui seraient préjudiciables pour les États-Unis, pour Israël et pour les Palestiniens ».
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