Pourquoi un militant britannique athée a décidé de devenir juif ?
Victime de racisme suite à la publication de son livre flamboyant contestataire de la gauche, Nick Cohen a pris le pari de devenir ce que ses ennemis pensent qu’il est
Londres – Bien qu’il ne soit pas Juif, Nick Cohen, un des journalistes les plus connus de Grande-Bretagne, n’a jamais eu de problème avec son nom de famille. Pour lui, Il faisait partie des meubles.
De son côté paternel, la famille avait abandonné leur religion, donc il n’était pas juif, « d’autant plus que ma mère et ma grand-mère n’étaient pas juives non plus, ainsi selon les principes du judaïsme orthodoxe de la filiation matrilinéaire, il était impossible pour moi d’être juif », dit Cohen.
Mais en 2007, Cohen écrit un livre, « Qu’est-ce qui reste ? », un conte provocateur plein d’esprit sur le fait que les libéraux britanniques se sont égarés. Selon Cohen, « l’enfer se déchaîna » à la suite de la publication de ce livre.
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« Le livre tentait de répondre à une question qui n’est pas souvent posée », dit-il.
« Si je devais vous montrer un article de journal défendant un mouvement misogyne, homophobe, antisémite, ou désireux de tuer tout musulman qui décide de son plein gré de changer de foi ou de la renier, et que vous vous demandez de quel courant ce journal est, vous vous diriez de toute évidence qu’il est de gauche. »
« Le livre tente de savoir pourquoi la gauche s’inscrit dans la pensée ultra-obscurantiste et fasciste des mouvements d’extrême-droite, dit Cohen »
« Le livre tente de savoir pourquoi la gauche s’inscrit dans la pensée ultra-obscurantiste et fasciste des mouvements d’extrême-droite, dit Cohen»
Parmi les cris d’indignation de la gauche qui ont accueilli son livre, Cohen a commencé à détecter un nombre croissant de personnes disant : « Oh, il le dit seulement parce qu’il est sioniste. » Cohen est ainsi accusé de tendre vers le « militarisme, l’impérialisme libéral et néoconservateur de droite ».
Mais Cohen n’est rien de tout cela.
Il a, il est vrai, pratiquement renoncé à la gauche – par désespoir, dit-il, il a commencé à embrasser les mouvements qu’il aurait autrefois dénoncé comme raciste, impérialiste et fasciste.
Mais Cohen, un homme maigre et longiligne de 55 ans, a créé d’autant plus la polémique avec son dernier article dans les colonnes du journal The Observer, une revue britannique du dimanche de gauche, appartenant au journal The Guardian.
Dans « Pourquoi je suis devenu juif et pourquoi vous devriez aussi », Cohen explique qu’il était vain de continuer à prétendre qu’il n’était pas juif alors qu’il était contredit dans ses opinions, surtout lorsque « l’antisémitisme est tellement répandu dans l’extrême gauche qu’il menace maintenant d’empoisonner le Parti travailliste« .
Ses premières tentatives pour prouver qu’il n’était pas juif étaient « déshonorantes », dit Cohen.
« J’étais comme un Noir qui essaie de passer pour un Blanc ou un Allemand tentant de convaincre la Gestapo qu’il y a erreur dans la paperasse. »
« J’étais comme un Noir qui essaie de passer pour un Blanc ou un Allemand tentant de convaincre la Gestapo qu’il y a erreur dans la paperasse. »] dit Cohen.
Au lieu de cela, dit-il, il a décidé de relever le défi.
« Le racisme change votre perception du monde et de vous-même. Vous devenez ce que vos ennemis disent que vous êtes. Et à moins de vouloir me faire honte à moi-même, je devais devenir un juif. Un juif un peu bizarre, certes, un militant athée qui a dû appeler un ami pour demander ce que « Mazal Tov » pouvait bien signifiait. Mais un juif quand même », dit Cohen.
Donc, intellectuellement- et d’aucune autre manière – Nick Cohen a commencé à se définir comme juif.
Sa colonne dans l’Observer a suscité des centaines de commentaires – beaucoup d’entre eux ont été retirés par les modérateurs du journal, mais compte tenu de ce qui a été publié, on ne peut pas spéculer au vitriol ce que nous ne voyons pas.
Un Cohen légèrement fatigué, qui affirme ne jamais tenir compte des commentaires attenant à ses articles et admet que la violence dont il est victime coïncide avec la prévalence de l’Internet.
« L’Internet permet d’héberger tout type de fanatique, des agresseurs d’enfants aux antisémites, des racistes anti-Noirs aux islamophobes. Il y a tellement de matières que vous pouvez vivre dans un monde qui confirme totalement vos croyances. Vous êtes rarement confronté à des faits. Avant le Web, on allumait la télévision pour voir les informations, et il y avait toutes sortes de sujets qui ne nous plaisaient pas. Maintenant, vous pouvez vivre dans une bulle, entendre ce que vous voulez entendre, et voir vos préjugés confirmés et vos ennemis dénoncés », dit Cohen.
Les Juifs, dit Cohen, ne sont pas pris au sérieux quand ils parlent d’antisémitisme, mais sont « juste rejetés » d’une manière qui ne serait jamais tolérée s’il y avait des plaintes d’autres sortes de racisme. A la place, dit-il, « il existe la formulation : « il n’y a pas d’antisémitisme », vous dites seulement ça pour protéger Israël. »
D’après Cohen, ni la droite ni la gauche ne prennent le racisme au sérieux et ceux qui le font donnent toujours l’impression d’avoir un motif caché. »
« L’antisémitisme fait partie d’une trahison plus large, un abandon des valeurs anti fascistes»
Lorsque j’aborde le sujet de la privation des droits essentiels des juifs pour la gauche, Nick Cohen m’affirme que les choses sont pires que cela.
« Il n’y a pas que l’antisémitisme. Lorsque [l’extrême gauche] rejoint jusqu’à défendre l’extrême-droite islamique, comme le leader du Parti travailliste [Jeremy Corbyn] le fait, non seulement il abandonne les Juifs, mais aussi les musulmans libéraux, les musulmans de gauche, les anciens musulmans, qui espèrent trouver en la gauche britannique un soutien dans leur lutte mais en plus, ils découvrent qu’ils sont les oppresseurs ou qu’ils défendent les oppresseurs ou qu’on les ignore comme s’ils n’existaient pas. L’antisémitisme fait partie d’une trahison plus large, un abandon des valeurs antifascistes ».
Pour la gauche, dit Cohen, toute personne qui fait valoir l’antisémitisme « est enclin à être qualifié de sioniste » – ce sera plus lent pour un John Smith qu’un Nick Cohen, mais néanmoins le résultat sera le même.
Israël, dit-il, « est devenu un énorme démon surnaturel pour la gauche. Toute personne qui est en désaccord avec l’orthodoxie de gauche incarne, en quelque sorte, le diable. Tout comme les Juifs dans l’Europe médiévale, Israël a des pouvoirs surnaturels, et est tenu responsable de chaque conflit au Moyen-Orient. Si les bombardiers se sont fait sautés à Bruxelles et à Paris, c’est à cause de l’occupation israélienne. Et c’est une critique qui est complètement irrationnelle mais qui est devenue respectable ».
« Tout comme le Juif en Europe médiévale, Israël a des pouvoirs surnaturels, et est tenu responsable de chaque conflit au Moyen-Orient».
Dans les milieux européens de gauche, Cohen dit, il est devenu tout à fait « normal » de dire que l’Etat islamique n’aurait pas attaqué les villes européennes si Israël n’occupait pas la Cisjordanie.
« Mais c’est passer à côté d’un mouvement mondial psychopathe. Ils ne disent pas, nous sommes engagés dans une manifestation raisonnable, même si elle est regrettablement sanglante, contre les colonies israéliennes à Hébron. Ils ne disent pas ça. Ils disent, nous voulons créer un califat mondial, nous voulons convertir tout le monde à l’islam, puis il y aura un paradis sur terre. Voilà ce qu’ils disent, mais personne ne les écoute », dit Cohen.
Cohen nie être une voix isolée, mais me rappelle, pensif, l’aphorisme qui prétend que « la droite cherche les convertis, la gauche cherche les traîtres. »
Dans la fureur qui a suivi la publication de « Qu’est-ce qui reste ? », il a été renvoyé par le magazine de gauche, The New Statesman, et l’Union nationale des journalistes l’a poursuivi en justice sous le nom de Cohen. A la suite de cela, le journal d’extrême droite, The Spectator, le prit comme un chroniqueur et lui a permis d’écrire, dit-il, tout ce qu’il souhaite.
Il n’a pas été la première personne à être « purgée » par le New Statesman : vers la fin de ses fonctions au sein du journal, Cohen examinait attentivement chaque mot qu’il écrivait et se demandait sans cesse s’il pouvait se permettre de l’écrire.
« Fraser Nelson [le rédacteur en chef du Spectator] n’en avait rien à faire de ce que j’écrivais » – mais, bien que Cohen ne le dise pas, le fait qu’il exprime son opinion tranchante dans un journal de droite confirme tous les préjugés que l’extrême gauche a sur lui.
Cohen déplore l’instinct tribal de la gauche consistant à rejeter quiconque s’opposant à leur système de croyance.
« Je pense qu’il est mature de réévaluer ses opinions, je ne regrette pas. L’extrême gauche, dit-il, est comme un miroir déformant du courant dominant libéral », et ce qu’il pense du dirigeant travailliste, Jeremy Corbyn, est qu’il est justement un produit de cette distorsion, un homme qui n’a pas examiné ou remis en question son point de vue en 40 ans de politique. Corbyn, dit Cohen, n’a ni la capacité ni l’intelligence d’éradiquer l’antisémitisme au sein du Parti travailliste d’aujourd’hui.
« C’est comme demander à Nick Griffin de débarrasser le Parti national britannique du racisme. Il [Corbyn] ne peut tout simplement pas le faire », dit-il.
Pendant un certain temps, Cohen raconte, qu’il ne se présentait pas en tant que juif lorsqu’il donnait son point de vue sur l’antisémitisme et Israël (où il a été, une fois, quand il était adolescent, mais il n’exclut pas une deuxième visite).
« Puis je me suis dit, attends, tout d’abord, ton interlocuteur va avoir beaucoup de mal à vérifier si tu es Juif. Vérifier que quelqu’un est Juif n’a pas bonne presse. Et tu auras encore plus d’ennuis si tu nies l’être, parce que soit tu cèdes au racisme soit tu essaies d’obtenir une carte ‘sortie-de-prison' », dit-il.
Il est peu probable de voir Nick Cohen dans une synagogue de sitôt. Mais son sobre bon sens propose un contraste enthousiaste, pour les juifs britanniques, aux éternelles histoires d’antisémitisme dans la vie courante, un sujet « récurrent » de la vie de tous les jours.
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