Quand la Jeunesse hitlérienne passait ses vacances à Long Island
Tout au long des années 1930, 19 camps éparpillés à travers l'Amérique du Nord endoctrinaient la jeunesse à l'idéologie nazie
NEW YORK – Dimanche, des dizaines d’Américains allemands vêtus de costumes folkloriques allemands et qui vivaient à New York dans les années 1930 sont montés à bord du train spécial du Long Island Railroad affrété pour le « Camp Siegfried » et désireux de passer une journée dans la ville bucolique de Yaphank à Long Island.
Mais il n’y avait rien d’innocent dans cette journée à la campagne pour revivre les souvenirs de jeunesse.
Tout au long de la seconde moitié des années 1930, il y avait 19 camps d’été nazis et des retraites de famille éparpillés à travers les États-Unis, de New York à la Californie.
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Parrainés par la Deutsche-Amerikanische Berufsgemeinschaft (DAB), ou le Bund germano-américain, ces camps étaient créés pour endoctriner les enfants et les adultes à l’idéologie nazie.
« Ces camps avaient pratiquement tout ce que les camps de la Jeunesse hitlérienne avaient en Allemagne. Leurs uniformes étaient similaires, jusqu’à la ceinture Sam Brown et les croix gammées sur leurs bras », a déclaré Arnie Bernstein, auteur du livre, « Swastika Nation : Fritz Kuhn and the Rise and Fall of the German-American Bund ».
Les campeurs, âgés de 8 à 18 ans, portaient des uniformes officiels et brandissaient des banderoles officielles de la Jeunesse hitlérienne. La plupart étaient des enfants ou des petits-enfants d’immigrés allemands ou des citoyens naturalisés.
À la barre du Bund, il y avait Fritz Kuhn, un citoyen allemand naturalisé, qui se faisait appeler Bundes Fuhehrer.
Il avait compris que pour son organisation puisse perdurer, il devait s’assurer que les camps semblent être loyaux envers les États-Unis. Dans un film qui dure 25 minutes tourné au Camp Highland dans les Catskills on peut voir un drapeau avec croix gammée aux côtés d’un drapeau américain.
« Il a insisté sur le fait que c’était un groupe américain. En réalité, c’était le noyau dur de l’organisation Hitler », a souligné Bernstein.
Aujourd’hui, le National Archives and Records Administration des Etats Unis abrite un trésor de photos et des images de ces camps.
En outre, le département des archives de New York possède environ 30 000 photos prises par l’Alien Squad, une unité de surveillance du Département de Police de New York, qui a documenté l’activité subversive de ces camps dans les années 1930.
Les photos et les films montrent des jeunes avec leurs bras étendus raides prises en plein Heil Hitler, alignés pour s’entraîner à des exercices de tir.
Pendant l’été, le personnel réveillait les campeurs en plein milieu de la nuit et les emmenaient faire des marches forcées à travers les bois. Ils s’asseyaient autour de feux de joie en chantant « Deutschalnd, Deutschland über alles » et répétaient les mots Ein Volk, Ein Reich, Ein Fuhehrer.
« Les camps d’été, complets avec les uniformes officiels et les bannières de la Jeunesse hitlérienne, pourraient être l’exemple le plus visuel et le plus effrayant des tentatives de la DAB d’inculquer la sympathie nazie chez les enfants germano-américains », a écrit Audrey Amidon, une archiviste au National Archives’ Motion Picture Preservation Lab.
« Même si c’est arrivé il y a plus de 75 ans, il est troublant de voir ses enfants américains portant un drapeau nazi et savoir que cela s’est produit à seulement 150 miles à l’extérieur de la ville de New York ».
Alors que les Nazis fournissaient au Bund germano-américain des matériaux de propagande, ils n’ont pas encouragé activement Kuhn, qu’ils considéraient avec un peu d’embarras, a expliqué Bernstein.
Néanmoins, Kuhn était présent aux Jeux Olympiques de 1936 et pendant qu’il était là, il a rencontré brièvement Adolf Hitler.
« C’était [une rencontre] standard, poignée de main et sourire. À la fin Hitler a dit : ‘poursuivez la lutte’, c’était une remarque désinvolte que Kuhn a pris comme une bénédiction », a relaté Bernstein.
Les camps d’été étaient la manière de Kuhn de mettre en œuvre cette ‘bénédiction’. Il y avait le camp Will and Might [volonté et Pouvoir] à Griggstown à New York et le Camp Hindenburg à Grafton dans le Wisconsin. Il y avait le Camp Deutsch Host [hôte allemand] à Sellersville en Pennsylvanie et le Camp Sutter près de Los Angeles.
Et bien sûr, il y avait Camp Siegfried à Long Island.
Ce Camp Siegfried a pris racine à Yaphank, qui était plus connu pour ses canards et ses pommes de terre fermes, mais le choix de cet endroit ne surprend pas Steven Klipstein, un professeur d’anglais au Suffolk County Community College.
« L’antisémitisme était à son apogée absolue à cette époque. Les Juifs étaient exclus, agressés et sur la défensive. Le Comté de Suffolk était au centre de la politique de droite à l’époque », a analysé Klipstein qui a organisé l’exposition 2011 « Good Stepping on Long Island : Camp Siegfried » [« Un pas dans Long Island : le camp Siegfried » ].
Le camp Siegfried avait une salle, un lac pour la baignade et au centre un grand podium blanc d’où Kuhn et ses acolytes prononçaient des discours grandiloquents, décrit Klipstein.
Occasionnellement, des chemises noires de Lindenhurst rejoignaient le public.
Au début, les habitants considéraient le camp comme un lieu où les gens d’origine allemande se réunissaient. Ils étaient plus préoccupés par l’état du trafic, les boissons alcoolisées et une perturbation générale de la paix, a expliqué Barbara Russell, une historienne de la ville de Brookhaven.
« Lorsque le drapeau nazi et le drapeau américain ont commencé à flotter ensemble et que le camp a pris un aspect plus militaire, les soupçons ont surgi en même temps que la propagande du Bund. Le premier amendement sur la liberté d’expression a rapidement évolué en des discours sur l’antisémitisme, ce qui a poussé la communauté de Long Island à répondre », a poursuivi Russell.
Les villes en dehors de la ville de New York ont également commencé à se rebeller. A Southbury, les résidents du Connecticut ont réussi à repousser la tentative du Bund à ouvrir un camp, a indiqué Bernstein. Les photos de l’époque montrent des manifestants portant des pancartes disant : « Old Glory est notre drapeau. Southbury ne veut pas de la croix gammée » et « Les Américains unis montrent le chemin. Pas de camps nazis ».
En 1939, Kuhn du Bund germano-américain a organisé un rassemblement pro-nazi au Madison Square Garden.
« Vous avez eu 20 000 personnes à l’intérieur qui écoutaient et 100 000 personnes à l’extérieur qui voulaient le tuer », a déclaré Bernstein.
Le rassemblement a été le début de la fin pour le Bund et Kuhn. Le maire Fiorello LaGuardia de New York, furieux, a appelé le procureur Thomas Dewey. Ils ont décidé d’avoir Kuhn de la même manière que les autorités fédérales ont eu Al Capone : avec les impôts. L’enquête qui a suivi a révélé que Kuhn avait utilisé 14 000 dollars des fonds du Bund pour entretenir ses nombreuses maîtresses.
En 1939, Kuhn a été accusé de fraude fiscale et de détournement de fonds. Il a été condamné à deux ans et demi à trois ans de prison. Pendant ce temps, le FBI a perquisitionné les camps et ont saisi des films et d’autres documents, et a mis fin aux camps en raison de leurs activités subversives.
Kuhn a été dépouillé de sa citoyenneté américaine pendant son emprisonnement. Après sa libération, les autorités l’ont ré-arrêté car il était considéré comme un étranger ennemi. Il a été envoyé dans un camp d’internement et, finalement expulsé vers Munich, en Allemagne en 1945 où il mourut seul.
« Après son arrestation, le Bund s’est étouffé comme un poisson hors de l’eau, puis est arrivé [l’attaque de] Pearl Harbor et ce fut la fin », a conclu Bernstein.
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