Quand la Loi du retour ne s’applique pas à un survivant de la Shoah
Un ancien prêtre catholique polonais pourtant né Juif n’a pu accéder à la citoyenneté israélienne de manière automatique

Derrière le plastique bleu, une teoudat zeout [carte d’identité] toute neuve est posée sur le bureau bien rangé du salon de Romuald Weksler-Waszkinel.
Ce soir de mi-septembre, nous sommes dans une résidence pour personnes âgées du centre de Jérusalem. Weksler-Waszkinel, qui préfère qu’on l’appelle Yaakov, se penche en avant sur sa chaise, prend la carte et nous la remet.
« Je viens de la recevoir aujourd’hui, alors je suis heureux, mais un peu triste quand même » dit-il.
Sa déception ? Recevoir la carte d’identité après avoir traversé un processus de naturalisation qui a duré cinq ans.
Au lieu de lui accorder la citoyenneté automatique en tant que juif, le gouvernement israélien a refusé de lui appliquer les dispositions de la loi du retour, malgré le fait que Yaakov, dont les deux parents étaient juifs, est incontestablement juif selon la halakha [loi juive].
Le gouvernement israélien, cependant, n’a pas agi sans raison en rejetant la demande de Weksler-Waszkinel. Jusqu’à son arrivée en octobre 2009 de sa Pologne natale, il était un prêtre catholique. Et même aujourd’hui, alors qu’il vit à Jérusalem et se dit juif, il croit sans doute encore en Jésus.
« Ils ont appliqué la jurisprudence du Frère Daniel, mais ce n’est pas juste » affirme Weksler-Waszkinel, se référant à une affaire dans laquelle un moine carmélite, Juif polonais à l’origine, s’était vu refuser automatiquement la citoyenneté par l’Etat d’Israël.
Rappel des faits. Oswald Rufeisen, Juif religieux dans sa jeunesse et même sioniste, avait survécu à la Shoah en se cachant dans les forêts et dans un couvent. Plus tard, il décide de se convertir au christianisme et devient moine.
En 1962, son dossier d’immigration passe devant la Cour suprême d’Israël, qui confirme la décision du gouvernement. Celle-ci tranche qu’une personne née juive, mais qui se convertit ou pratique une autre religion, ne doit pas bénéficier d’un accès préférentiel à la citoyenneté israélienne par la Loi du retour.
[Il est à préciser qu’il y a ici un paradoxe puisque cette personne est juive du point de vue de la halakha qui considère que c’est un « Juif pécheur » qui peut revenir à la religion de ses ancêtres sans passer par la conversion].
« Je n’ai rien à voir avec le Frère Daniel » insiste Weksler-Waszkinel. « Je n’ai pas cherché à être baptisé ou à me convertir. On m’a donné à une famille catholique à l’âge de trois mois pendant la guerre. Ils m’ont caché, ils m’ont baptisé et élevé dans la religion catholique. Personne ne m’a demandé ce que je voulais ». Il prend aussi l’exemple de Mgr Lustiger qui, de son côté, a choisi la religion catholique à l’adolescence.

Weksler-Waszkinel, qui a aujourd’hui 71 ans, ne sait pas grand-chose sur sa naissance et sur les premiers mois de sa vie. Ce qu’il sait, il l’a reconstitué à partir d’éléments qu’il a rassemblés sur ses parents. Avec de la famille qu’il a rencontrée à Netanya lors de sa première visite en Israël en 1992. Un voyage qu’il considère comme « décisif ».
« Je ne connais pas exactement ma date de naissance, mais quelqu’un que j’ai rencontré en Israël et qui connaissait ma famille, se rappelle que ma mère Batia était enceinte à la fin de 1942 ; l’hypothèse, c’est que je suis né au début 1943 » assure-t-il.
Comme cela a été montré dans le documentaire Torn [Déchiré] réalisé en 2011 par Ronit Kertsner, Weksler-Waszkinel a seulement appris à 35 ans qu’il était juif. A cette époque, il était déjà prêtre et professeur de philosophie à l’Université catholique de Lublin en Pologne.
Même s’il ne le savait pas, d’autres personnes avaient, elles, soupçonné qu’il n’avait pas toujours été catholique.
« Je me souviens que lorsque j’étais enfant, les gens me traitaient parfois de ‘Sale Juif’ ou de ‘Youpin’ et quand je l’ai dit à ma mère [adoptive], elle m’a affirmé qu’il s’agissait de gens en état d’ébriété et qu’il ne fallait pas les écouter. »
En parlant avec sa famille de Netanya, il a découvert qu’il était le fils de Yaakov et de Batia Weksler, à Swieciany, un shtetl [bourgade juive] situé près de Vilna en Lituanie. Il a également pu apprendre que Batia avait été une ardente sioniste et qu’elle avait eu un autre fils avec Yaakov, Shmuel, son frère aîné.
Le 4 avril 1943, Yaakov, Batia et leur fils Shmuel de trois ans ont été transportés vers Vilna. De là, Batia et Shmuel ont été déportés à Sobibor, et Yaakov à Stutthof. Ils ont tous été assassinés dans les camps.
Le bébé a été laissé à la garde d’une famille polonaise locale qui ne savait rien du destin de sa famille juive, jusqu’à ce que leur fils adoptif atteigne presque l’âge de 50 ans.
« Mon premier souvenir est celui de ma famille polonaise partant en Prusse pour fuir les Soviétiques » raconte Weksler-Waskinel. La famille s’installe dans la ville de Paslek. Son enfance ressemble à celle de ses pairs. Outre quelques différences.
« Je n’étais pas un enfant de très bonne santé, et en plus je bégayais. J’avais peur de tout, des oies, des coqs, des vaches et surtout des souris. Quand je jouais avec d’autres enfants et qu’un avion apparaissait dans le ciel, je tombais par terre à sa vue » écrit-il dans ses souvenirs.
Weksler-Waszkinel a réfléchi à s’installer en Israël après sa visite de 1992, mais il a finalement décidé de retourner en Pologne. En grande partie parce qu’il pensait qu’en tant que juif, il pourrait soutenir sur place toutes les initiatives visant à améliorer les relations entre Catholiques et Juifs. Le prêtre avait aussi des relations… son ancien professeur, avec qui il est resté proche, s’appelait Karol Wojtyla alias Jean-Paul II…
« Je me suis dit que je pouvais faire beaucoup de bien en tant que juif en Pologne » explique-t-il.
Finalement, l’attraction d’Israël et de la vie juive étaient trop fortes. Weksler-Waszkinel choisit donc de renoncer à la prêtrise et surtout à son poste de professeur. En 2009, il déménage au kibboutz Sdé Eliyahu, près de la frontière jordanienne, se met à étudier l’hébreu, à célébrer les fêtes juives pour la première fois, et à apprendre à prier comme un Juif.
Au cours des quatre dernières années, il a vécu à Jérusalem tout en travaillant à temps plein aux archives de Yad Vashem. Il continue de prier, mais pas en hébreu, une langue qu’il ne maîtrise pas encore.
L’ancien prêtre se rend dans plusieurs synagogues locales. Celle qu’il affectionne le plus demeure la Grande Synagogue de Jérusalem pour sa chorale. Quand il s’y rend, il apporte avec lui son sidour [livre de prières juif] avec la traduction polonaise.
Il passe souvent Shabbat et les jours de fête avec des amis qui parlent polonais. Des amis qu’il a rencontrés dans son quartier.
« Je connais beaucoup de gens ici. Et beaucoup qui m’ont tendu la main par téléphone ou par e-mail après avoir vu Torn ».
Est-il un Juif pratiquant ? Il dit par exemple ne pas mettre le talith [châle de prières] et les téfilines [phylactères] : « Il s’agit de changer de l’intérieur, pas de l’extérieur. Je ne peux faire que des choses qui viennent de l’intérieur » explique t-il.

Weksler-Waszkinel, qui se considère comme profondément juif, n’est pas troublé par la dissonance théologique inhérente au fait qu’il ait gardé sa foi en Jésus. Dans son petit appartement, on ne remarque d’ailleurs aucune croix sur les
murs ; juste une photo de Jean-Paul II à côté d’une Menorah [chandelier].
« Pourquoi devrais-je tirer un trait sur toute ma vie ? Et comment puis-je sortir du christianisme si je n’ai jamais consciemment pris la décision d’y entrer ? » s’interroge-t-il. Avant de préciser que « le judaïsme a eu de nombreuses figures de messies », et qu’au moment de la révolte de Bar Kokhba, « même Rabbi Akiva pensait qu’il était le messie ! ».
Malgré sa déception que sa propre citoyenneté ne soit pas fondée sur le fait d’être juif, Weksler-Waszkinel ne regrette pas d’être venu en Israël [il est donc pleinement citoyen mais a le même
« statut » qu’un non-Juif ayant pu accéder à une demande d’immigration en Israël].
« Je suis venu ici avec tout mon coeur et avec tout mon amour pour Israël. Bien sûr, je suis à la bonne place » dit-il. Mais il considère quand même que le gouvernement israélien l’a écarté, lui, le survivant de la Shoah.
« Mes parents sont morts parce qu’ils étaient juifs, et moi je suis le seul rescapé. Donc qu’ai-je fait de mal pour ne pas mériter d’être considéré comme
juif ? »
Aurèle Medioni a contribué à la rédaction de cet article.
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