Quand les juifs d’Ecosse s’approprient un tissu symbole national
Les membres de la communauté juive sont de plus en plus portés sur ce tissu qui incarne l’esprit du clan. Et pour la première fois, les Juifs créent leur propres modèles
GLASGOW — Lors d’une soirée glaciale de l’année 2008, Paul Harris, rédacteur en chef du Jewish Telegraph britannique, et Clive Schmulian, un dentiste écossais, étaient assis l’un à côté de l’autre lors d’un diner organisé par le Jewish National Fund à Glasgow.
Tout en dégustant un volume copieux de whisky écossais, la discussion s’est portée sur le Tartan, ce vêtement de laine pour les femmes formé de lignes décalées et de carreaux dans différents modèles colorés. L’un des plus importants symboles de l’Ecosse. “Pourquoi n’y a-t-il jamais eu un tartan juif ?” s’est interrogé Harris, ce à quoi Schmulian a répondu : « C’est une idée formidable ».
La matinée suivante, les deux hommes ont évoqué une nouvelle fois cette idée et, très vite, Schmulian a embauché Slanj Kilts pour créer le premier tartan juif écossais, qui sera connu sous le nom de Tartan Shalom.
L’entreprise a fourni trois maquettes de création à Shmulian. Elles ont été publiées sur le site Internet du Jewish Telegraph, et la communauté juive écossaise a ensuite voté en ligne pour désigner son tartan préféré.
“Cette démarche a frappé les imaginations”, explique Harris. « On a eu des milliers de votes. Nos lecteurs ont choisi le tartan qui a été ultérieurement inscrit [au Registre écossais des Tartans] et il a été décliné en kippas, en foulards et en cravates. C’est un beau tartan ».
Le tissu présente des teintes de bleu, du blanc et une touche de noir. Le bleu rappelle les drapeaux écossais et israélien, selon Brian Halley, copropriétaire de Slanj, qui a qualifié les modèles de ‘subtils’ et de ‘masculins’.
C’est le premier tartan religieux jamais créé par Slanj.
“Clive était vraiment inquiet de ne pas mélanger à la fois du lin et de la laine”, se souvient Halley, en référence à l’interdiction juive connue sous le nom de shatnez.
Presque au même moment, le seul rabbin écossais né en Ecosse, Mendel Jacobs, a eu une idée similaire. Il a commencé à créer son propre tartan avec pour objectif d’offrir à ses fidèles moins religieux un moyen d’afficher leur fierté d’être Juifs.
“Ils peuvent ne pas porter la kippa mais ils porteront un tartan”, s’exclame Jacobs en expliquant les motivations qui ont mené à la création de ce tartan. « Cela leur permet de créer un lien entre leur héritage juif, leurs ancêtres et leur fierté avec la fierté d’être écossais ».
Selon le recensement le plus récent, il y a environ 5 800 Juifs en Ecosse. Très longtemps, ses résidents juifs ont chaleureusement vanté l’Ecosse, en affirmant que ce pays est le seul en Europe où aucun Juif n’a été assassiné pour sa religion. Aujourd’hui, huit synagogues sont réparties dans quatre villes écossaises.
Le tartan juif de Jacob a été créé par Lochcarron Weavers. Il est cousu de rouge profond pour le vin du Shabbat, d’argent, ce qui représente les ornements d’un rouleau de Torah ; de bleu et de blanc, reflétant les drapeaux écossais et israélien, et d’or pour l’Arche d’Alliance.
Jacobs a demandé à Lochcarron Weavers de fabriquer des kilts standards et des vêtements pour femmes mais aussi des kippas, des talits et d’autres déclinaisons propres à la tradition juive.
Les produits sont disponibles dans des magasins ‘select’ de l’Ecosse et du Royaume Uni, au Jewish Museum de New York et sur Internet à l’adresse : jewishtartan.com.
Jacobs a reçu des commandes en provenance de 15 pays.

Un passé tissé à la main
Les tartans ont été créés dès le septième siècle, selon Kirsty Franey, responsable de la création et du développement des produits à Kinloch Anderson, une entreprise de création de tartans d’Edinburgh.
Ils ont d’abord été connus sous leur nom gaëlique, “breacen,” ce qui signifie ‘à damiers’ ou ‘bigarrés ». Le mot tartan lui-même provient du mot français tartaine, qui se réfère à un type particulier d’habits à carreaux.
Les tartans sont apparus dans les hautes terres d’Ecosse, indique Deirdre Kinloch Anderson, propriétaire de l’entreprise.
Les modèles de tartan, à l’origine, étaient un symbole d’appartenance à une famille ou à un clan écossais particulier et il n’y avait qu’un nombre limité de modèles.
L’appartenance ou la non-appartenance au clan définissait alors le système social de l’Ecosse, où le lien essentiel était l’affinité développée entre le ‘chef’ et les membres du clan, a écrit Anderson dans un document d’information de l’entreprise.
Dans les années 1800, les tartans ont gagné en popularité lorsque la reine Victoria a visité l’Ecosse et qu’elle a acheté le château de Balmoral après être tombée amoureuse du pays. A sa demande, son mari, le Prince Albert, a alors conçu pour la reine Victoria un tartan personnel qui existe encore aujourd’hui.
C’est Kinloch Anderson qui produit et détient ce tissu royal, ainsi que ceux du Duc d’Edinburgh et du Prince de Galles.
Les tissus utilisés pour les tartans sont très communément associés aux kilts, “un vêtement de base qui n’exige ni coupe ni remplacement fréquent », selon un article paru sur Scottish-history.com. Les kilts sont portés par les hommes.
Les kilts mesurent environ deux mètres de large et quatre à six mètres de long, et sont à plis creux ou simplement plissés. On les porte avec le rebord inférieur qui ne tombe pas plus bas que le genou et ils tiennent par une ceinture à boucle.
Franey dit qu’aujourd’hui, de plus en plus de tartans sont fabriqués et enregistrés.
“Nous pensons que le tartan est un cadeau que l’Ecosse a donné au monde”, dit Franey. “Aujourd’hui, n’importe qui peut créer son propre tartan familial”.
Pour créer un tartan qui deviendra l’emblème d’une famille ou d’une entreprise, Franey tente tout d’abord de déterminer l’héritage individuel de son client et le lien émotionnel qui le relie à l’Ecosse.
“Nous voulons que chaque tartan reflète l’éthique et la marque de l’entreprise ou de la personne, mais nous voulons faire également une belle création dotée d’une histoire riche”, explique-t-elle, notant que chaque couleur et chaque modèle de tartan possède son propre récit.
Franey a récemment créé des tartans pour le prince du Bahreïn, et a créé le tartan ‘Panda chinois’ pour le zoo d’Edinburgh. Elle a également imaginé le tartan de Joe Goldblatt, originaire de Dallas. La famille Goldblatt est la seule famille juive à avoir fait enregistrer son tartan écossais.
Tisser une histoire
Goldblatt a commencé à créer son tartan familial en 2014 alors qu’il était en convalescence, après avoir subi une opération chirurgicale lourde.
Goldblatt avait déménagé en Ecosse en 207, quittant Dallas, au Texas, pour prendre ses fonctions d’enseignant à l’université Queen Margaret.
Le tartan de l’université comporte une part prédominante de bleu, ce qui explique que Goldblatt se soit appuyé sur cette couleur.
Pour déterminer quelles autres teintes il serait amené à utiliser, l’Américain a dû réfléchir à ce qui l’avait amené en Ecosse et à ce qu’il appréciait le plus dans le pays.
Et ce qu’il aimait le plus en Ecosse, c’était Robert Burns (1759-1796), auteur de “Auld Lang Syne.” Burns est né à Ayrshire, Scotland, où pousse le chardon pourpre, la fleur nationale de l’Ecosse. Son tartan a donc comporté la couleur pourpre.
Enfin, Kinloch Anderson s’est inspiré de son héritage juif à travers son nom de famille, ajoutant des fils dorés à son blason.
Kinloch Anderson a fourni à Goldblatt huit créations pourpre, bleue et dorée, qui ont été soumises au vote familial. La sélection finale a eu lieu à l’occasion de la fête de Hanoukka en 2014.
Kinloch Anderson a fabriqué suffisamment de tissu pour Goldblatt, son épouse, leurs trois fils et belles-filles, leurs petits-enfants et d’éventuels autres petits-enfants et arrière-petits enfants à venir.
Pour sa part, Goldblatt a commandé des kilts, des gilets, des cravates et des châles. Son petit-fils Hemish recevra son premier kilt familial dans deux ans, lorsqu’il aura atteint l’âge de 3 ans.
Goldblatt explique qu’il porte son tartan pour les mariages et lors d’événements civiques, ainsi que dans les bar mitzvahs et dans les bat mitzvahs, même s’il y en a très peu à Édimbourg. La ville de 480 000 habitants ne compte en effet qu’environ 1 000 Juifs.
Pour Goldblatt, le tartan est “le moyen le plus créatif et le plus authentique de tisser notre famille dans la longue histoire de cette formidable nation écossaise”.
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