Quand un fils ne peut admettre les crimes de son père
Dans le film « Un héritage nazi », l'amour d'un fils est éprouvé par les preuves accablantes de la participation du père à des meurtres de masse

New York (JTA) – Difficile de ne pas s’émouvoir en regardant « Un héritage nazi : Ce que nos pères ont fait ».
Mais contrairement aux nombreux documentaires sur l’Holocauste, ces sentiments ne sont pas une immense tristesse, c’est plus de l’exaspération et de la colère.
Dans le film, dont la première aura lieu ce mois-ci au Tribeca Film Festival de New York, l’avocat juif britannique Philippe Sands raconte l’histoire de deux hommes, tous deux enfants de nazis de haut rang.
Niklas Frank est le fils de Hans Frank, avocat d’Hitler et gouverneur général de la Pologne occupée. Frank (le père) a été pendu en 1946 après avoir été reconnu coupable au procès de Nuremberg pour complicité dans l’assassinat de 3 millions de Juifs de Pologne.
Horst von Wachter est le fils d’Otto von Wachter, un Autrichien qui était gouverneur nazi de la Galice (aujourd’hui Lviv, Ukraine) et est mort en 1949, alors qu’il se cachait sous la protection du Vatican.
Frank, auteur et journaliste, est connu en Allemagne pour son best-seller controversé de 1987 ‘Le Père : un règlement de comptes », qui détaille son dégoût pour l’homme qui devint célèbre sous le nom de « Boucher de Pologne ». Dans son portefeuille, Frank conserve une photo du cadavre de son père prise juste après sa pendaison.

En revanche, Wachter tient son propre père en haute estime, refusant de reconnaître son rôle dans l’assassinat de masse des Juifs, alors même que Sands lui présente des preuves de plus en plus claires et troublantes.
Sands, dont le grand-père vivait dans la zone commandée par Wachter et Frank, et qui a perdu la majorité de sa famille pendant l’Holocauste, raconte l’histoire de l’amour d’un fils pour son père qui entre en collision avec les faits immuables de l’Histoire.
Frank et Wachter – qui se connaissaient enfants et sont restés amis depuis – sont tous deux nés en 1939. Wachter décrit une enfance idyllique brisée par la défaite de l’Allemagne en 1945. Chez lui, il montre à Sands un album photo de famille qui mêle des clichés de sorties en famille à des photos de son père et de ses collègues nazis – dont Heinrich Himmler, le commandant militaire SS. Sous une autre photo, il est griffonné « AH » – pour Adolf Hitler.
« J’étais transporté 70 ans en arrière, dans le cœur d’un régime épouvantable, mais Horst regardait ces images avec un œil différent du mien», raconte Sands. « Je vois un homme qui a probablement été responsable de la mort de dizaines de milliers de Juifs et de Polonais. Horst regarde les mêmes photographies et voit un père bien-aimé jouer avec des enfants et il pense à la vie de famille. »
En revanche, les souvenirs qu’a Frank de ses parents sont souvent amers. Leur mariage fut sans amour et son père voulait divorcer. Mais la mère de Frank a fait appel à Hitler, qui a interdit le divorce jusqu’après la guerre. Hans Frank a obéi.
« Mon père aimait Hitler plus que sa famille », lance Frank.
Frank se rappelle avoir visité enfant le ghetto de Cracovie avec sa mère qui allait y « faire du shopping » de fourrures, parce qu’elle savait que les Juifs ne pouvaient refuser le prix qu’elle déciderait. Frank est impitoyable sur son père.
« Mon père a vraiment mérité de mourir sur la potence. »
Le film entremêle des entretiens avec Frank et Wachter à des vidéos et des photos de la guerre. Certains des documents d’archives sont étonnants, y compris des images d’Hitler et d’autres dignitaires nazis. Sands se rend avec Frank à la cellule de Nuremberg où son père était détenu jusqu’à son exécution. Les trois hommes visitent les vestiges de la synagogue où la famille Sands a probablement passé son dernier Shabbat, avant que les nazis ne la réduise en poussière sous le commandement du père de Wachter.
Tout au long du film, Wachter ne peut se résoudre à reconnaître les crimes de son père, offrant une excuse après l’autre et en se fondant sur de vagues généralités pour réfuter la preuve de sa responsabilité dans la mort de dizaines de milliers de Juifs.
Pour nous, les faits sont irréfutables. Otto von Wachter a créé le ghetto juif de Lviv, alors Lemberg. Il a dirigé le transport qui a envoyé les Juifs dans des camps de concentration. Il a refusé l’offre de Himmler de retourner à Vienne, sa ville natale, choisissant de rester sur place et de faire consciencieusement son travail.
Pour Wachter, tout cela ne suffit pas à ébranler sa conviction que son père était un homme bon qui n’a joué qu’un petit rôle dans le régime nazi.
« Il voulait fondamentalement faire quelque chose de bien. Sa faute a été de croire qu’Hitler allait changer sa politique. »
Plusieurs scènes charnières marquent le film. Dans chacune, tout est mis en œuvre pour que Wachter admette les crimes de son père. Dans l’une, une discussion entre Sands, Frank et Wachter, Wachter est pris à partie pour son admiration sans vergogne de son père. Wachter se tortille sur son siège, mais tient bon.
Dans une autre, les trois hommes visitent une salle, à Lviv, où le père de Frank a annoncé en 1942 la mise en œuvre de la Solution finale, félicitant le père de Wachter pour son travail. Un mois après ce discours, 75 000 Juifs locaux avaient été assassinés.
Dans une troisième scène, les trois hommes visitent le site d’une tuerie en Galice, où environ 3 500 Juifs ont été fusillés par les nazis, dont les membres de la famille de Sands. Wachter erre, résistant obstinément à tous les efforts pour lui faire admettre la culpabilité de son père.
« Il doit y avoir des dizaines de milliers d’Autrichiens couchés [morts] ici, aussi. Je vois cela comme un champ de bataille, voyez-vous. »
Le film a ses défauts. On ne nous dit pratiquement rien sur Frank et Wachter en dehors de la guerre, ce qu’ils font dans la vie ou quoi que ce soit à propos de leurs conjoints ou enfants. Mais ces lacunes sont pardonnables.
Vers la fin du film, les trois hommes assistent à une cérémonie commémorative pour les nationalistes ukrainiens qui ont combattu les Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils parlent avec un homme d’âge moyen qui porte une croix gammée autour de son cou et leur dit qu’il est fier de l’action de sa division.
Puis ils rencontrent un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Quand l’homme apprend qui était le père de Wachter, il serre la main du fils avec enthousiasme, lui disant que son père était un homme bien.
Wachter, affligé tout au long du film, semble enfin à l’aise. Et sourit.
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