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Quand une manifestation tendue à Bnei Brak se transforme en « fête du cholent »

Lors d'une offensive de charme lancée à Bnei Brak, ville à majorité ultra-orthodoxe, les locaux ont offert des douceurs aux milliers de manifestants laïcs venus dans la ville

Les résidents offrant des collations et de l'eau aux manifestants venus protester contre la refonte judiciaire, à Bnei Brak, le 23 mars 2023. (Crédit : Haim Uzan)
Les résidents offrant des collations et de l'eau aux manifestants venus protester contre la refonte judiciaire, à Bnei Brak, le 23 mars 2023. (Crédit : Haim Uzan)

Alors que des milliers de manifestants dénonçant la réforme du système judiciaire israélien avancée par le gouvernement se préparaient à se rassembler à Bnei Brak, une ville à majorité ultra-orthodoxe et domicile de ministres de la coalition, la semaine dernière, Haim Uzan avait craint des éclats catastrophiques de violence.

« D’un côté, vous aviez une ville de 250 000 personnes », explique Uzan, âgé de 36 ans, en évoquant Bnei Brak, où les partis haredim qui soutiennent le projet de refonte du système judiciaire promu par la coalition ont récolté 89 % des suffrages lors des élections générales de l’année dernière. « D’un autre côté, vous aviez des milliers de manifestants en colère, constitués en majorité d’Israéliens laïcs de gauche et presque tous étrangers à la ville. Une parole de travers et c’était l’explosion nucléaire ».

Et pourtant, malgré quelques frictions, le mouvement de protestation de jeudi dernier a pris une tournure chaleureuse. Grâce à l’initiative prise par Uzan pour désamorcer les tensions, les manifestants ont été accueillis par des chants, des danses, des fleurs, des friandises, des desserts, des boissons et même du cholent – le plat à base de haricots traditionnel, longuement mijoté, qui est consommé par de nombreux foyers haredim et juifs pendant Shabbat.

Événement relativement mineur, somme toute, la « fête du cholent » de Bnei Brak, comme l’a appelée un témoin, pourrait néanmoins donner une leçon importante à la société israélienne à la veille d’un nouveau chapitre de la lutte clivante entraînée par le projet de réforme du système de la justice et qui a déchiré le pays – un projet que le gouvernement a mis en pause, cette semaine, pour ouvrir la porte à des négociations en raison d’une vague massive de protestation.

La réponse apportée par Bnei Brak a rapidement dépassé les frontières du groupe WhatsApp qu’Uzan, Juif orthodoxe né à Jérusalem et père de trois enfants qui a fait carrière dans la finance, avait ouvert et intitulé « Recevoir une manifestation de gauche en chansons ». L’idée d’origine était « de mettre une musique joyeuse et entraînante, de favoriser une atmosphère légère qui rafraîchirait et calmerait l’ambiance tout en diminuant le risque de provocation », avait-il écrit dans les informations du groupe créé sur le célèbre service de messagerie.

Et la réponse avait été massive. Une station de radio ultra-orthodoxe populaire, Kol Haim, avait accepté de diffuser une musique enjouée pendant trois heures, sans interruption publicitaire, offrant un environnement sonore unique pour les manifestants qui défilaient dans les rues de Bnei Brak. « J’ai demandé à tous ceux qui avaient des hauts-parleurs de mettre Kol Haim pour les personnes qui venaient de l’extérieur », raconte Uzan au Times of Israel.

Un plan qui ne visait pas seulement à détendre l’atmosphère, dit Uzan, mais aussi à noyer les éventuels messages provocateurs des protestataires armés de mégaphones qui, avaient supposé de nombreux habitants de la ville, détestaient les haredim. « Avec la musique qui remplira les rues, nous n’entendrons pas les slogans qu’ils répètent et les hostilités seront moins fortes, si Dieu le veut », avait écrit Uzan sur WhatsApp.

Avec les chansons entraînantes qui étaient diffusées par des centaines d’autoradios dans les voitures, par les chaînes hi-fi installées dans les habitations et même par les systèmes de sonorisation des écoles, tout était prêt pour la deuxième étape : les douceurs. Uzan avait invité les habitants à distribuer des boissons sans alcool, des gâteaux, des gourmandises et du kugel – une recette à base de nouilles qui a aidé à la renommée de Bnei Brak. Les restaurants de la ville spécialisés dans le cholent ont, eux aussi, répondu à l’appel, posant sur des tables improvisées des marmites énormes.

Un manifestant dénonçant la réforme judiciaire du gouvernement parle avec un ultra-orthodoxe à Bnei Brak, le 23 mars 2023. (Crédit :Haim Uzan)

Cette générosité s’explique en partie par le moment choisi pour le mouvement de protestation, selon Yaakov Vider, un politicien haredi qui représente le parti du Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu au sein du conseil municipal de Bnei Brak.

« Le jeudi soir, c’est particulier parce que c’est le moment où les jeunes se rendent dans l’équivalent des bars dans le monde ultra-orthodoxe – dans de minuscules restaurants qui servent du cholent« , explique Vider. Mais l’itinéraire suivi par la manifestation a perturbé ce rituel, le 23 mars, et de nombreux clients sont restés chez eux en suivant les conseils de leurs rabbins qui leur avaient demandé de rester à l’écart du cortège pour minimiser le risque de frictions.

« Les bars qui servent du cholent se sont retrouvés avec tout ce qu’ils avaient préparé. Et il y a eu ce mouvement local qui distribuait des friandises aux manifestants, ils ont alors sorti ces énormes marmites et ils ont commencé à donner du cholent dans des bols jetables, avec des couverts en plastique », se souvient Vider.

Uzan a eu l’idée de cette offensive de charme en s’inspirant de son lieu de travail. « Certains de mes collègues sont des Israéliens laïcs de gauche », raconte-t-il, « ce type de personnes qui ne rate aucune manifestation contre la réforme », évoquant le plan qui prévoit de transférer certains des pouvoirs du système judiciaire au gouvernement – des pouvoirs qui, selon les partisans du projet, ont été excessifs jusqu’à présent. De leur côté, les critiques de cette refonte radicale affirment qu’elle risque de transformer Israël en dictature.

Au travail, Uzan déclare ne jamais avoir ressenti d’hostilité de la part de ses collègues laïcs. « C’est parce que nous nous connaissons personnellement, que nous parlons les uns aux autres. Ce que j’ai tiré de cette situation, c’est qu’il fallait créer un environnement susceptible d’encourager cette rencontre directe, sans intermédiaire », précise-t-il.

Plusieurs membres du conseil municipal de Bnei Brak avaient eu une idée similaire, renchérit Vider. « Nous voulions que les organisations caritatives les plus importantes de Bnei Brak, comme les services d’urgence de la ZAKA et l’agence d’aide médicale Ezer Mizion, aillent à la rencontre des manifestants, qu’elles les accueillent, qu’elles leur montrent le plus beau visage de Bnei Brak. Qu’elles lancent le dialogue ».

De nombreux Israéliens non-Haredim accusent souvent les ultra-orthodoxes, en Israël, d’être dans l’incapacité d’assumer leurs devoirs civiques. Un langage déshumanisant et insultant, mettant en cause un parasitisme, une paresse ou une ignorance supposés est couramment utilisé dans les conversations des Israéliens sur les ultra-orthodoxes, qui sont largement exemptés de service militaire, dont le taux officiel est bas en matière d’emploi et dont le taux de natalité est bien supérieur à celui des autres Juifs israéliens. « La manifestation de la gauche a été une occasion, pour nous, de corriger les stéréotypes », dit Vider.

Mais la police, ajoute-t-il, s’était opposée à l’idée de former un comité d’accueil officiel, optant pour une approche de contact minimum. Lui et de nombreux autres avaient redouté que cela ne crée « un vide qui aurait invité les radicaux et les voyous », continue Vider, âgé de 39 ans. « Quand il n’y a pas de place pour le dialogue, ce sont les insultes qui prennent le relais », note-t-il.

Il y a tout de même eu des frictions : Ainsi, des résidents ont jeté des pétards sur les manifestants.

Mais grâce à l’initiative prise par Uzan, le dialogue a eu lieu. Des vidéos et des photos du rassemblement montrent les manifestants, souriants, prendre la pose avec les locaux.

« Je pense que ça a été un moment exaltant alors que le pays connaît un si grand nombre de divisions », s’exclame Uzan. « Mais pour moi, le plus émouvant, le plus important, ça a été de voir comment les manifestants et les résidents haredim discutaient entre eux, comment ils bavardaient ensemble en toute quiétude lors d’un rassemblement qui ne devait être l’occasion que de cris de colère. Ça, tout le monde le craignait ».

Uzan réfléchit à des moyens de mieux utiliser l’élan qui a été donné par son initiative – et son groupe WhatsApp, qui est constitué de plus de mille habitants enthousiastes de Bnei Brak – pour réaliser des projets supplémentaires qui seraient susceptibles d’unir les Haredim et les autres Juifs d’Israël. Sa boîte courriel est ouverte aux suggestions, fait-il remarquer en souriant.

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