Qui écrit la loi pour l’Etat d’Israël ? Le cas d’Elad
Une famille orthodoxe excommuniée par un tribunal religieux riposte avec l'aide d'un rabbin réformiste, dans une bataille sur la liberté de religion

Les grandes fêtes approchaient y a trois ans quand ses voisins d’étage dans la ville ultra-orthodoxe d’Elad ont informé « C » qu’ils avaient l’intention de construire une extension de balcon avant Souccot, la fête des cabanes.
Réalisant que ce balcon rendrait le patio de sa famille non casher pour l’utilisation de leur propre soucca (qui doit être construite à ciel ouvert), C a refusé de signer la demande de permis de construire des voisins. Des considérations religieuses et économiques étaient en jeu : en plus de la mitsva de vivre dans une soucca, pour les Juifs ultra-orthodoxes, un balcon-soucca est une caractéristique extrêmement souhaitable pour une propriété à revendre.
Les voisins ont critiqué C, alléguant qu’elle et son mari n’avaient que des filles non soumises à la mitsva de soucca, et ont décidé de procéder sans permis. A la veille de Rosh HaShana, la construction non autorisée a commencé.
Elad, situé à environ 25 kilomètres à l’est de Tel-Aviv sur la couture avec la Cisjordanie près de la ville de Shoham, est une localité de plus en plus orthodoxe, planifiée et construite dans les années 1990 pour fournir des logements à la population haredi toujours croissante. Depuis que l’ancien maire, Yitzhak Idan, a été arrêté sur des accusations de corruption en 2013, Elad est dirigée par le maire Yisrael Porush du parti ashkénaze Yahadout HaTorah.
Comme le veut la pratique dans sa communauté ultra-orthodoxe d’Elad, C a consulté son rabbin, qui lui a conseillé de se tourner vers la loi civile pour arrêter la construction. La police a été convoquée à deux reprises, mais les voisins ont refusé d’ouvrir la porte. Finalement, C a engagé un avocat et est allée devant les tribunaux civils pour obtenir une ordonnance d’arrêt des travaux.

Dans le même temps, les voisins de C se sont tournés vers un tribunal religieux d’Elad, « Ha’yoshar v’hatzedek » (honnêteté et justice) pour arbitrer le différend. C a reçu un avis de la cour rabbinique d’Elad, lui disant que si elle n’annulait pas son recours au tribunal laïc et ne remettait pas le dossier à la cour religieuse, elle et sa famille recevraient un décret d’excommunication.
C n’a pas cédé à cette tactique d’intimidation manifeste et le soir de Yom Kippour, un avis de refus a été publié dans toute la ville. Parallèlement à la copie de cet avis cloué à sa porte, ils ont également affiché un message « subtil » sous forme d’un article photocopié d’un journal ultra-orthodoxe qui relatait la mort soudaine d’un homme religieux qui avait également été excommunié.
Et donc, Erev Yom Kippour, le jour le plus solennel du calendrier juif, C et sa famille n’avaient pas de synagogue pour prier. Ses filles ont ensuite été rejetées d’une école – jusqu’à l’intervention du ministère de l’Éducation.
Dans l’impossibilité de se permettre de déménager et avec nulle part où aller, C continue de se battre, et jeudi son cas a été examiné devant la Cour suprême sous la houlette d’un rabbin réformé. Après une série de plaintes et d’audiences civiles, C a contacté Hiddush, une organisation qui se bat pour la liberté religieuse et l’égalité, du rabbin et avocat Uri Regev.
Choc des civilisations
Cette collaboration peu probable – un rabbin réformé chargé de l’affaire d’une famille ultra-orthodoxe – est exactement la cause de Hiddush, dit Regev depuis son bureau de Jérusalem la semaine dernière avant une audience de la Cour suprême sur l’affaire.
Fondé il y a sept ans, Hiddush, dit Regev, met en lumière le point de friction entre la religion et l’Etat d’Israël, qu’il qualifie d’Etat juif et démocratique mal défini.
« Nous sommes depuis 67 années ancrés dans un Etat qui se bat toujours sur le b.a.-ba de ce que signifie d’avoir un Etat juif et démocratique », dit-il, se lançant dans une introduction passionnée sur la bataille pour le pluralisme religieux – complétée d’une récitation par cœur de la Déclaration d’Indépendance d’Israël.
Bien que dérivé d’un tribunal rabbinique « privé », l’avis d’excommunication a été écrit sur le papier officiel, donnant l’adresse du grand rabbin d’Elad, un fonctionnaire public, comme QG. Et même s’il s’agit d’un tribunal ashkénaze, Ha’yoshar v’hatzedek fonctionne apparemment sous la bénédiction du grand rabbin séfarade de la ville, Mordechai Malka, qui est appelé le « nassi » ou le président de la Cour sur son site Internet.
« L’Etat d’Israël peut-il tolérer une réalité dans laquelle une certaine population empêche avec de gros moyens des gens de se tourner vers la Cour ? », interroge Regev, se référant à l’affaire d’Elad.
L’arbitrage dans un tribunal religieux, poursuit-il, requière un assentiment des deux côtés pour être considéré comme contraignant. En aucun cas une plainte de propriété peut être tranchée par un tribunal rabbinique sans la volonté des deux parties, et donc le tribunal religieux ne peut par aucun moyen menacer d’excommunication en l’absence de juridiction.

Cette affaire pourrait être un précédent pour plusieurs raisons, dit Regev dans un appel téléphonique. Bien qu’il y ait déjà eu un certain nombre de cas dans lesquels des Juifs ultra-orthodoxes ont reçu un avis de refus, c’est la première fois où le droit d’un individu à la justice civile a été bloqué par une intimidation par excommunication.
Ce qui est plus intéressant, dit Regev, c’est qu’il s’agit du premier cas dans lequel les deux parties conviennent que, à la base, la question clé est la liberté de religion.
La position de Hiddush est qu’il devrait y avoir une interdiction claire pour toute personne connectée au rabbinat de décider d’une excommunication. Cela semble également être la position de l’Etat : en réponse à une pré-requête de la Cour suprême, le procureur général a déclaré que cette intimidation par excommunication « est criminelle, illégale, et sape l’Etat de droit », dit Regev.
Mais l’opposition affirme qu’un tribunal rabbinique doit avoir le droit d’émettre ces avis de refus.
« C’est la première affaire dans laquelle cet affrontement est le cœur de l’affaire juridique », dit Regev. « Au-delà de l’affaire et des difficultés individuelles, ce qui donne à ce cas une valeur symbolique [est que l’opposition] dit que nous nous opposons aux instructions du procureur général, » en croyant que la loi religieuse régit, selon lui.
L’affaire est suspendue pour une période de quatre mois au cours desquels le bureau du procureur général est chargé d’enquêter davantage sur le Grand Rabbinat d’Elad, et de décider ensuite s’il faut sanctionner trois importants rabbins de la ville, une mesure, avertissent les locaux, qui pourrait « déclencher une guerre religieuse ».
Alternativement, la Cour suprême peut être contrainte de se prononcer sur le cas, ce qui, pour Hiddush, pourrait bien être l’issue préférée. D’après les déclarations de jeudi, il y a déjà une indication que les juges de la Cour suprême perçoivent avec répugnance l’idée d’excommunication comme moyen de forcer un contournement des tribunaux civils.
« Les avis de refus visent à exclure le droit d’un individu à exercer ses libertés civiles, » déclare le juge Menni Mazuz.
« Il est impossible de minimiser l’effet déplorable d’un avis de refus. Si un tribunal rabbinique dit d’excommunier une personne qui se tourne vers une juridiction civile, c’est horrible. L’avis de refus est une chose terrible », ajoute le juge Uri Shoham.
L’affaire est l’une des centaines dans lesquelles les tribunaux civils et religieux s’affrontent sur qui a le pouvoir de légiférer la loi de l’Etat d’Israël : le Shulkhan Aroukh [Loi juive] ou la législation civile.
Depuis plusieurs années, Hiddush sensibilise la diaspora pour instaurer le mariage civil en Israël. Regev affirme qu’il passe environ un tiers de son temps aux Etats-Unis à parler aux communautés juives et à tendre la main à ses dirigeants afin d’adopter une résolution en faveur de la liberté de mariage.
Il dit rencontrer une majorité écrasante en faveur du mariage civil, même au sein d’organisations pro-israéliennes. Hiddush a développé un mini-site Web qui montre la nature des droits de l’Homme du mariage civil avec une carte de liberté de mariage mondiale, qui dépeint la situation dans 160 pays.
D’autres tactiques comprennent des sondages fréquents de l’opinion israélienne sur des sujets tels que le monopole du rabbinat sur les événements du cycle de vie, et les conditions des partis ultra-orthodoxes pour entrer dans la coalition.
Les nombreuses autres questions comprennent les droits de sépulture de 350 000 Israéliens venus des pays de l’ancienne Union soviétique via la Loi du retour, mais qui ne sont pas considérés comme Juifs par la Loi juive orthodoxe [halakha], et l’utilisation de l’intimidation par les superviseurs de casheroute contre des hôtels et des salles. Mais il y en a beaucoup d’autres.
Regev dit être un optimiste de nature, globalement, la situation s’améliore en termes de liberté religieuse en Israël. Il y a plus de transparence dans le gouvernement et les médias sont de véritables partenaires dans l’effort de sensibilisation.
Cependant, puisque les Israéliens ont tendance à voter sur la sécurité, et non pas sur des préoccupations de droits de l’Homme, le pays a encore besoin de la Knesset qui souhaite promouvoir le statu quo. Regev sent qu’avec assez de pression de la part de la population, même le politicien le plus cynique créera un changement.
« Les gens sont prêts pour un changement, ils ne savent simplement pas quoi faire », observe Regev. Mais pour cet avocat solitaire idéaliste de la foi, « tout commence et se termine avec des gens qui luttent pour la Déclaration d’Indépendance. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel