Rafle du Vel d’Hiv: une histoire qui restait à écrire, 80 ans après
"Jamais Vichy et son administration n'auront sacrifié autant de juifs français, prétendument protégés par le maréchal Pétain, qu'en juillet 1942", écrit l'historien Laurent Joly
L’histoire de la rafle du Vel d’Hiv, il y a 80 ans, écrite de manière imparfaite, est revisitée dans un livre de l’historien Laurent Joly publié mercredi et détaillant la cruauté et les aberrations de cette « opération policière ».
Celle-ci avait abouti à l’arrestation de 12 884 Juifs à Paris et dans sa proche banlieue en juillet 1942, rappelle ce spécialiste de l’Occupation, chercheur au CNRS.
Un sixième des morts de la Shoah en France ont été arrêtés dans la capitale lors de cet été 1942.
La Rafle du Vel d’Hiv, qui paraît aux éditions Grasset, vient après un demi-siècle où les connaissances sur l’événement auront peu, sinon pas évolué.
A paraître le 25 mai chez Grasset, "La Rafle du Vel d'Hiv. Paris, juillet 1942" fait l'objet d'un très bel article de Nathalie Funès dans "L'OBS" de cette semaine.
Posted by Laurent Joly on Thursday, May 19, 2022
L’ouvrage de référence s’appelait La Grande Rafle du Vel d’Hiv, en 1967, par Claude Lévy, résistant et chercheur en médecine, et Paul Tillard, journaliste et écrivain.
« Un livre marquant » mais principalement fondé « sur des témoignages », et contenant « beaucoup d’erreurs, qui continuent d’être répétées », explique Laurent Joly à l’AFP.
Juifs français sacrifiés
On aurait pu penser que le discours de Jacques Chirac en juillet 1995 pour reconnaître la responsabilité de la France dans cette rafle allait relancer l’intérêt des historiens. Au contraire, il semble avoir refermé le débat pendant des décennies.
« On arrive à cette espèce de paradoxe dans lequel l’événement le plus connu de l’Occupation en France n’avait pas fait l’objet de recherches sérieuses », estime l’historien. « J’y ai passé deux ans et demi ».
En insistant sur l’idée (fausse) que la rafle visait uniquement des étrangers, et que les autorités de Vichy auraient protégé les Français, Éric Zemmour a rouvert la discussion.
Conclusion de l’ouvrage sur ce point: « Jamais Vichy et son administration n’auront sacrifié autant de juifs français – prétendument protégés par le maréchal Pétain – qu’en juillet 1942 ».
Après la Seconde Guerre mondiale, des archives ont disparu, mises au pilon par la République. Toutes les fiches d’arrestation ont été détruites par la Préfecture de police de Paris.
« Il fallait contourner » cette difficulté, dit Laurent Joly. « On est face à un crime immense sur lequel il fallait travailler comme un archéologue ».
« Catastrophe humanitaire »
Pour démonter la mécanique, le chercheur a épluché entre autres les dossiers d’instruction de l’épuration, visant des policiers qui avaient participé à la rafle: une trentaine d’entre eux en parlent, sur 4 000 au total.
Par ailleurs, le fichier des Juifs sur lequel s’appuie la police nous est parvenu en grande partie. Il permet de voir jusqu’à quelles extrémités les autorités sont allées pour contribuer au projet nazi d’extermination.
« Ce que je retiens c’est qu’à chaque étape on a le choix: les agents qui relaient les ordres, ceux qui les exécutent, ont le choix », souligne l’historien.
En fonction des arrondissements de Paris, les résultats sont contrastés. Certains policiers, comme ceux du 12e, se montrent impitoyables dans leur « traque ». D’autres, comme dans le 2e, se contentent du service minimum, détournent les yeux, voire préviennent leurs cibles.
« C’est avant tout une opération de police » et cela aboutit à « une catastrophe humanitaire en plein Paris », quand les raflés sont regroupés sans eau, nourriture ni sanitaires fonctionnels dans le Vel d’Hiv, souligne l’historien.
Il ne reste qu’une photo de l’événement, prise par un journaliste collaborationniste, de bus garés à côté du Vélodrome d’Hiver (15e arrondissement). Elle est reproduite sur la couverture.
Les images les plus marquantes de la rafle sont peut-être les dessins de Cabu pour un hebdomadaire, Le Nouveau Candide. Sortis de l’oubli, ils seront republiés par les éditions Tallandier le 23 juin.