Ramat Gan : Échos des bombardements à la station Bialik, improbable abri de guerre
Dans le centre d'Israël en proie aux bombes, des habitants sans abris à proximité trouvent refuge dans la belle station de tramway de cette ville voisine de Tel Aviv

Avec ses enseignes lumineuses et ses nombreux piétons allant de bar en restaurant de falafels ou café, la rue Bialik est l’une des artères les plus animées de Ramat Gan. Quand tout va bien, un soir en semaine, on entend de la musique par les fenêtres ouvertes, des rires au coin des rues, des scooters de livraison en train de se faufiler dans la circulation.
Mais en cette quatrième nuit d’affilée de tirs de missiles iraniens, la rue est étrangement silencieuse, le Commandement du front intérieur ayant conseillé aux riverains de rester à proximité des espaces protégés.
Les restaurants sont sombres, les fenêtres fermées. Ni poussettes, ni couples rentrant chez eux à pied, ni fumeurs nocturnes assis le trottoir. Des trottoirs vides et le bourdonnement sourd du tramway sous les pieds.
Et soudain, des signes de vie apparaissent.
À l’entrée de la station de tramway Bialik, une petite foule s’est rassemblée. Certains fument tranquillement près de la porte. D’autres sont assis sur des bancs, consultent leur téléphone ou discutent à voix basse. Plusieurs panneaux expliquent que cette gare n’est pas seulement une station de tramway mais aussi un espage protégé – un abri public avec une nouvelle mission, tout aussi urgente.
En descendant par l’escalator, on tombe sur une scène surréaliste : des rangées de matelas ont été déposés à même le sol sur le quai. Ces matelas sont ceux de personnes qui n’ont pas d’autre choix pour dormir en sécurité. Les familles déballent les repas, les enfants s’enfouissent dans des sacs de couchage, les amis discutent tranquillement ici ou là.

C’est à cela que ressemble la nuit, en ce moment, au cœur de la région la plus densément peuplée d’Israël – ni dans les bars ou sur les boulevards, mais à 30 mètres sous terre, là où un écosystème souterrain s’est formé ces quatre derniers jours.
Depuis vendredi dernier, jour où l’Iran a commencé à tirer des salves de missiles en direction du centre d’Israël, un millier de personnes se réfugient chaque soir à la station Bialik. La plupart arrivent vers 21 ou 22 heures, certains même dès 16 heures.
Ils sont nombreux à revenir chaque soir, même lorsque le Commandement du front intérieur dit que ce n’est pas nécessaire. Pour eux, le risque au-dessus du sol est trop grand et l’alternative trop incertaine.
Tatiana, 27 ans, debout à côté d’un matelas installé au niveau des quais inférieurs, surveille leurs affaires pendant que sa compagne Ilia, 26 ans, cherche un autre endroit à l’étage. Il n’y a plus de place en bas. C’est leur première nuit à la station, après des nuits passées dans des refuges publics.
Leur immeuble dispose bien d’un abri, explique-t-elle, mais il est petit, surpeuplé et mal entretenu – un peu comme les autres refuges publics qu’elles ont déjà testés.
Ancienne professeure d’anglais et de russe aujourd’hui employée chez H&M, Tatiana est calme mais manifestement déçue.
« Nous étions dans un refuge public avant », explique-t-elle. « On ne se sentait pas protégées. A la maison non plus. »
Autour d’elle, la station vibre au rythme tranquille des personnes qui s’installent pour la nuit. C’est un spectacle étrange qui donne à réfléchir : des familles enveloppées dans des couvertures sur de minces matelas, des travailleurs qui mangent à même des récipients en plastique, des enfants affalés sur des matelas qui regardent YouTube sur un téléphone. Quelques-uns jouent aux cartes. D’autres, silencieux, sont allongés, des écouteurs sur les oreilles. Tous attendent le matin, le calme, la sécurité.

La scène semble dystopique, évocatrice d’autres lieux et d’autres temps : les Londoniens réfugiés dans le métro pendant les bombardements allemands ; les Ukrainiens se cachant des frappes aériennes dans le métro de Kiev. Et aujourd’hui, au cœur du centre d’Israël, l’histoire se répète.
La déception et le désarroi sont palpables. Beaucoup sont ici parce que leur logement n’a pas d’abri correct – voire pas d’abri du tout.
Tout à disposition, même des toilettes propres
La station Bialik est soignée, organisée et pas vraiment surpeuplée, contrairement aux abris publics et refuges de la plupart des immeubles résidentiels. Il dispose de toilettes propres, de la climatisation, d’une connexion Wi-Fi et d’une gestion coordonnée, ce qui en fait une alternative plus sûre et plus humaine pour nombre d’habitants.
Les employés de la gare patrouillent toute la nuit, non pas en leur qualité de personnel ferroviaire, mais pour distribuer des matelas et des fournitures, intervenir en cas de conflit et s’assurer que le sol reste propre et utilisable. Lorsqu’un homme a monté une tente pour plus d’intimité, ils lui ont gentiment demandé de la démonter. Les tentes prennent trop de place – or, la place est une ressource rare et donc précieuse.
Cet espace souterrain fonctionne mieux que la plupart des abris publics construits spécialement en cas d’urgence.
Au niveau supérieur, Sura, 42 ans, et Naveen, 39 ans, sont assis côte à côte sur des matelas et se partagent une pizza. Les deux amis, originaires d’Inde, sont arrivés en Israël ces deux dernières années en tant que travailleurs étrangers, pour envoyer de l’argent à leurs familles.

Ils travaillent ensemble dans un supermarché voisin et viennent ici chaque soir depuis le début des tirs de missiles. « Il n’y a pas de miklat dans notre bâtiment », explique Sura en utilisant le terme hébreu pour désigner un abri. « Ce n’est pas loin. C’est propre et il y a de l’espace. » Ils restent là jusqu’à 5 heures du matin avant de rentrer chez eux pour se changer et partir travailler.
Un grand nombre de ces hôtes nocturnes sont des travailleurs étrangers comme Sura et Naveen, ou encore des olim de Russie ou d’Ukraine. Des personnes sans famille proche, sans grands liens communautaires et avec des ressources plutôt limitées. Pour elles, la station offre non seulement une protection, mais aussi un semblant de stabilité.
C’est une situation difficile, c’est certain, mais ce n’est pas un endroit misérable. On y entend des rires. La normalité de ce spectacle est presque désarmante.
Le photographe Avishai Finkelstein, qui vit à proximité, est venu prendre des photos dans cette station de tramway transformée en abri anti-aérien.
« Nous n’aurions jamais imaginé avoir un tramway, mais nous avons fini par l’avoir. Nous ne nous attendions pas à ce que cela fonctionne », ajoute–t-il. « Et pourtant ça marche. »
Il dit tout cela avec une ironie un peu triste : le tramway de Tel Aviv, tant attendu et longtemps retardé, dont la première ligne n’a ouvert qu’en août 2023, sert aujourd’hui d’abri contre les bombes.
C’est l’une des rares choses qui fonctionne en ce moment. Pas comme prévu, mais ça fonctionne.
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