Rencontre avec Mario Stasi, le nouveau président de la LICRA
Reportage au Havre pendant les Universités d’automne de l’association, marquées par le départ anticipé d’Alain Jakubowicz. Son successeur nous accorde sa première interview
« Je me suis engagé à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) il y a environ dix ans, poussé par mon ami Patrick Klugman, ancien président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), avocat et militant anti-raciste de toujours, aujourd’hui adjoint pour les affaires diplomatiques et la francophonie de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Je deviendrai président effectif de la LICRA le 3 novembre, pour motif statutaire : Alain Jakubowicz ne souhaite pas terminer son troisième mandat pour raisons personnelles ; je lui succéderai naturellement car je suis son premier vice-président », indique au Times of Israël Mario Stasi, avocat, ex-militant UDF (centre-droit) et neveu du centriste Bernard Stasi, décédé en 2011, plusieurs fois ministre et défenseur infatigable de la laïcité. Une ascendance dont notre interlocuteur est particulièrement fier.
« Même si ma nomination n’est pas consécutive à un vote de nos adhérents (le prochain interviendra en mars 2019), j’assumerai pleinement mes fonctions, poursuit-il. Je vais réunir tous nos responsables locaux dès novembre afin de mieux articuler nos actions de terrain et nationales. Je souhaite aussi que nous communiquions davantage, car la LICRA est connue pour ce qu’elle dit et insuffisamment pour ce qu’elle fait. »
« Or, nous faisons beaucoup : nous intervenons massivement dans les écoles et sommes désormais d’incontournables lanceurs d’alertes en luttant pied à pied contre le complotisme sur Internet, avec de jeunes militants dynamiques. L’image d’une organisation vieillissante dont nous pâtissons parfois doit être battue en brèche parce qu’elle correspond de moins en moins à la réalité », indique-t-il.
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« Aujourd’hui, mon ambition est de changer le logiciel anti-raciste en montrant que nous n’avons pas vocation à être seulement des pétitionnaires ou animateurs d’événements mémoriels : le vrai terrain est à la fois numérique, car c’est sur la Toile que la haine prolifère, et politique. Nous sommes l’unique grande association antiraciste à visée universaliste reconnue comme telle par les pouvoirs publics, mais il faut renforcer nos partenariats avec les différentes administrations : police, justice, éducation… C’est pourquoi je vais rencontrer très vite les principaux ministres concernés par notre cause », ajoute le nouveau président de la LICRA.
« Frilosité » à l’égard de la politique israélienne ?
Mario Stasi n’est pas juif, ce qui démontre en principe que la LICRA n’est pas un groupe de pression communautaire, contrairement à ce que pensent ses détracteurs du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), des Indigènes de la République ou d’autres mouvements que l’ancien Premier ministre Manuel Valls qualifie d’ « islamo-gauchistes ». De fait, la majorité des militants (autour de 60 %) ne seraient plus juifs de nos jours.
Cela dit, le nouveau président ne renie pas l’histoire de la LICRA, née en 1927 dans le contexte des pogroms sanglants dont l’Europe de l’Est était alors le théâtre. L’antisémitisme a longtemps été sa préoccupation première et la gauche radicale lui reproche encore une certaine « frilosité » à l’égard de ce que d’aucuns considèrent être la « politique coloniale », voire « ethniciste » d’Israël.
Ce néologisme, rappelons-le, a été bruyamment lancé il y a quelques jours par le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à la face de Manuel Valls – polémiquant sur la poignée de mains de ce dernier avec la ministre de la Justice du gouvernement Netanyahu et membre du parti national religieux HaBayit HaYehudi, Ayelet Shaked. On soupçonne aussi l’association de fermer les yeux sur l’islamophobie au profit du seul combat contre la haine anti-juive.
En même temps, le philosophe et académicien Alain Finkielkraut a démissionné en janvier 2017 du comité d’honneur de l’organisation car elle s’était portée partie civile dans le procès intenté notamment par le CCIF contre l’historien Georges Bensoussan, accusé d’amalgame en soulignant la prégnance globale de l’antisémitisme dans la population française d’origine maghrébine et soutenu en ce sens par le célèbre intellectuel juif.
Les choses sont donc compliquées, la LICRA doit se livrer à des exercices d’équilibriste pas toujours bienvenus ni bien reçus pour conserver son ambition universaliste en dépit de son héritage juif. D’où peut-être la « lassitude » personnelle qu’a évoquée le président sortant Alain Jakubowicz à propos de son départ anticipé, en clôturant les septièmes Universités d’automne de l’association devant deux cents participants. C’était au Havre (Seine-Maritime), du 13 au 15 octobre.
« Notre mouvement a un passé juif très ancien mais ceux qui répandent l’idée fausse selon laquelle seuls les Juifs ont vocation à lutter contre les antisémites et les Arabes contre l’islamophobie enterrent l’idéal républicain ! »
Mario Stasi
S’agissant de la lutte contre l’antisémitisme, Mario Stasi indique au Times of Israël qu’il faut surtout « dénoncer les maires clientélistes qui utilisent l’islam politique à des fins électorales ». Pendant ces Universités consacrées à l’infiltration de la religion dans la société, un adhérent de Creil, ville « sensible » de l’Oise, a d’ailleurs exprimé son dépit à l’égard de la municipalité, « qui ne nous aime pas. »
Ce militant, Aaadil Bentaïbi, vice-président de la LICRA-Picardie, est lui-même d’origine musulmane. Il a expliqué que dans les clubs sportifs amateurs de Creil, les discriminations sexistes, les préjugés antisémites et le communautarisme religieux étaient « insupportables » mais que la mairie n’en avait cure, soucieuse d’acheter une « prétendue paix sociale. »
« Si j’ai un message à formuler en direction des Français attachés au combat contre l’antisémitisme, précise Mario Stasi, c’est bien celui-ci : rejoignez-nous pour que cesse la tolérance malsaine de certains élus vis-à-vis du fondamentalisme musulman. »
Alain Jakubowicz, lui, ne nous cache pas son agacement devant « l’essentialisme » de ceux qui « nous attaquent au nom de l’anti-racisme en auscultant paradoxalement les origines des membres de notre bureau exécutif. « Combien y a-t-il de Juifs, de Noirs… ? », se demandent-ils jour après jour. C’est insupportable et c’est le mal de notre époque : ce renvoi permanent au hasard de la naissance, émanant de gens qui sont eux-mêmes victimes de discriminations et de préjugés. »
Le président démissionnaire reconnaît que le combat de la LICRA ressemble à celui du héros grec Sisyphe : il ne s’achèvera jamais car le racisme « fait partie de la nature humaine. Mais à présent, chacun donne le sentiment de se battre pour sa propre communauté et c’est désastreux, ajoute-t-il. Notre mouvement a un passé juif très ancien mais ceux qui répandent l’idée fausse selon laquelle seuls les Juifs ont vocation à lutter contre les antisémites et les Arabes contre l’islamophobie enterrent l’idéal républicain ! Si nous sommes critiqués de toutes parts, c’est parce que nous défendons cet idéal avec encore influence et efficacité – heureusement. Cela dit, le chemin est rude… »
Corinne Tapiero, qui reste directrice de l’association, nous explique que les discussions avancent avec les antennes francophones des grands opérateurs du web : Google et surtout Facebook.
« Le but consiste à réduire la parole complotiste, raciste et antisémite, dit-elle, et d’accorder sur la Toile une meilleure place aux jeunes – dont beaucoup militent à nos côtés – qui alimentent des contenus fraternels et rationnels contre la désinformation et la haine. »
Foi et laïcité : des « accommodements raisonnables » devenus intenables
Au Havre, les débats ont notamment porté sur les écoles publiques où les enfants juifs ne peuvent plus étudier, du fait d’une atmosphère irrespirable pour eux.
L’un des invités-vedettes de la LICRA était Bernard Ravet, ex-chef d’établissements difficiles de l’agglomération marseillaise qui vient de publier un livre très commenté sur l’antisémitisme musulman en milieu scolaire : Principal de collège ou imam de la République (en collaboration avec le journaliste Emmanuel Davidenkoff, éditions Kero).
Il a affirmé que les
« accommodements raisonnables » entre pratiques cultuelles et laïcité, préconisés pendant ces mêmes Universités par les sociologues Dominique Schnapper et Danielle Hervieu-Léger, étaient intenables dans de nombreux territoires.
« Dans mes classes, a-t-il rapporté, je n’avais d’autre choix que de taper du poing sur la table. ‘Ici, disais-je aux élèves, c’est une sorte de mosquée. Vous devez m’obéir comme vous obéissez à Dieu là-bas.’ Sauf que ma charia, c’était liberté, égalité, fraternité ».
Alain David, de la LICRA de Dijon (Côte-d’Or), a témoigné sur le travail pédagogique de l’association dans les écoles. « Comment répondre aux ados qui nous apostrophent en nous demandant si nous sommes du côté des Juifs ? », s’est-il interrogé avec amertume.
L’éditorialiste et écrivain Guy Konopnicki a enfoncé le clou en évoquant une « complète inversion des valeurs » dans tels ou tels milieux prétendument « progressistes », en réalité réactionnaires à ses yeux et « réinventeurs » du racisme sous forme victimaire.
« La laïcité, s’est-il exclamé, serait devenue un système d’oppression colonial et blanc ! Une députée de La France insoumise [Danièle Obono, ndlr], qui affirme ‘n’être pas Charlie’, qualifie les conducteurs de bus refusant de prendre le volant après une femme, de simples ‘sexistes’, refusant de dénoncer leur fondamentalisme religieux. Le Collectif contre l’islamophobie nous traite, nous, de racistes… »
Et de conclure : « En vérité, depuis l’immense manifestation républicaine du 11 janvier 2015, après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher, l’indignation face au fanatisme islamiste ne cesse de reculer et la culpabilisation des victimes prend le pas sur la dénonciation des coupables. »
La dernière table ronde, dimanche 15 octobre, a vu l’essayiste Anastasia Colosimo accuser la LICRA de « juridisme excessif ». Selon elle, poursuivre systématiquement devant les tribunaux les propos haineux, comme le font les quelque quatre-vingts avocats volontaires de l’association, serait contre-productif.
« Lorsque la parole est censurée, on passe à la violence physique et c’est pire », a-t-elle plaidé. L’ex-élue locale socialiste Céline Pina, auteur de Silence coupable (éditions Kero, 2016) sur l’influence inquiétante de l’idéologie salafiste auprès des jeunes musulmans, a répondu:
« C’est parce que le ‘Gang des barbares’ avait entendu dire que les Juifs étaient riches qu’Ilan Halimi a été torturé et assassiné en 2006. En matière de racisme, le discours précède toujours l’acte. »
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