Secteur pétrolier : L’entrée de Chevron Corp. en Israël vivement dénoncée
Réclamant un débat sur l'acquisition par le géant pétrolier des parts méditerranéennes de Noble Energy, des activistes dénoncent une firme "indigne de confiance" et "immorale"
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Dans un rebondissement spectaculaire qui a suivi des informations transmises la semaine dernière, et qui avaient annoncé l’entrée imminente de la multinationale américaine Chevron Corporation dans le secteur pétrolier et gazier israélien à travers le rachat des parts de Noble Energy, entreprise basée au Texas, qui est en partie propriétaire des champs de gaz naturel offshore du pays, les activistes ont profité d’une commission de la Knesset qui était organisée lundi et consacrée au dérèglement climatique pour mettre en doute le bilan de la firme en termes de pollution.
Ils ont également souligné ce qu’ils ont qualifié d’échec de l’entreprise à honorer un accord d’indemnisation pourtant imposé par les juges en direction de tribus en Equateur et son incapacité à prendre en charge les marées noires qui ont eu lieu là-bas et ailleurs dans le monde.
L’entrepreneur en énergie solaire Yosef Abramowitz, créateur du premier champ de panneaux solaires et qui travaille dorénavant en Afrique dans le même secteur, a réclamé un débat public en urgence consacré à cette multinationale basée aux Etats-Unis, qu’il a qualifiée « d’indigne de confiance » et « d’immorale ». Il a affirmé qu’elle ne devait en aucun cas être autorisée à entrer sur le marché israélien avant de prouver sa fiabilité et son sens des responsabilités.
C’est ce géant pétrolier, a-t-il dit devant la commission des Affaires intérieures et de l’environnement, qui a endossé la responsabilité du « Tchernobyl de l’Amazone » – la contamination d’un nombre important de nappes phréatiques dans les forêts tropicales de l’Equateur. Chevron, a continué Abromowitz, a refusé de payer l’amende d’un montant de 9,5 milliards de dollars dont elle avait écopé lors d’un jugement rendu par les magistrats devant une cour de ce pays d’Amérique du sud.
Interpellant directement la ministre de l’Environnement Gila Gamliel, qui se trouvait dans la salle, il a déclaré : « Je vous en conjure, madame la ministre – ne laissez pas le Conseil du pétrole transmettre les droits à Chevron avant qu’il n’y ait eu un débat public. Ne prenez pas le risque de voir une marée noire avoir lieu sous vos yeux ».
L’accord de transfert des droits de Noble Energy doit d’abord être approuvé par le Conseil – qui est intégré au ministère de l’Energie – avant de prendre effet. Les délibérations du Conseil s’effectuent à huis-clos.
Maya Jacobs, la dirigeante de Zalul, une organisation qui se consacre à la préservation de la vie et des écosystèmes marins, a appelé la présidente de la commission, Miki Haimovich, à convoquer sans attendre le Conseil du pétrole pour une réunion portant sur Chevron.
Abramowitz et Jacobs se sont associés à Nan Marie Greer, de l’organisation américaine Alistar International – qui oeuvre en faveur du respect des droits des indigènes – pour exercer des pressions sur Yuval Steinitz, le ministre de l’Energie, et le président du Conseil du pétrole, Eli Ginzberg, de manière à les dissuader de faire avancer l’accord conclu avec Chevron tant que la Knesset n’aura pas organisé un débat public à ce sujet.
Dans un courrier envoyé lundi à Steinitz et Ginzberg et qui a été présenté à Haimovich pendant l’audience de la commission, les trois activistes ont écrit que « les Israéliens ont droit à un processus ouvert et transparent dans les délibérations sur le transfert potentiel par le Conseil du pétrole et le ministre de l’Energie des avoirs de Noble Energy à Chevron ».
La missive accuse la firme de présenter « certains des pires antécédents sur la question de la planification et de la protection environnementales » et avertit que « son comportement passé est un facteur déterminant pour évaluer la manière dont l’entreprise sera amenée à respecter le droit, les eaux et les tribunaux israéliens – et en particulier s’il y a une fuite de pétrole ou de gaz dans nos eaux territoriales ».
Toute fuite majeure dans la mer Méditerranée – une mer cruciale non seulement pour l’économie, mais parce qu’elle est également la source de l’eau potable désalinisée pour tous les citoyens – ne serait pas suffisamment couverte par les assurances et les coûts devraient en être assumés par le public, ajoutent-ils dans la lettre.
« Il est donc impératif que seule une entreprise présentant des normes morales élevées et s’engageant vis-à-vis des populations vivant à proximité des champs pétroliers soit autorisée à travailler en Israël ».
« Si Chevron n’honore pas ses obligations actuelles dans les pays et dans les communautés du monde entier – notamment envers certaines populations parmi les plus marginalisées – que la firme refuse de remettre en état des terres qui ont été détruites en affirmant de manière mensongère qu’elles ont été nettoyées, et qu’elle attaque les défenseurs des mêmes populations qui ont subi ses pratiques commerciales incohérentes et destructrices, alors pourquoi devrions-nous croire que Chevron va respecter le droit ou les jugements des tribunaux israéliens, les régulations environnementales en vigueur dans le pays et que la compagnie respectera les vies israéliennes ? », ont-ils interrogé dans le courrier.
Les activistes ont encore noté que Chevron avait refusé d’entreprendre des « initiatives significatives » pour arrêter l’écoulement de plus de 1,3 gallon impérial – ce qui correspond à presque 31 000 barils – de pétrole brut et autres liquides dans le lit d’une rivière à sec du comté de Kern, en Californie, l’année dernière.
La lettre accuse également la firme de ne pas avoir terminé les travaux de remise en état des terres et de ne pas avoir versé d’indemnités pour des marées noires survenues dans le delta du Niger et dont une filiale, Chevron Nigeria Limited., serait à l’origine.
Les trois activistes se sont néanmoins principalement concentrés sur l’Equateur.
Chevron, note le courrier, « a agi avec un manque de respect flagrant de l’Etat de droit local dans l’affaire d’un jugement rendu en faveur de 30 000 indigènes [équatoriens] » qui vivaient dans un « environnement autrefois vierge » et qui a été contaminé par le pétrole. Elle a, de surcroît, « vicieusement attaqué l’avocat des plaignants spécialisé dans les droits de l’Homme, Steven Donziger, qui l’avait emporté devant les tribunaux dans cette affaire – l’une des plus importantes dans l’histoire de la justice environnementale ».
Donziger, dont l’histoire avait été boudée par une majorité de médias, avait retenu l’attention de 29 lauréats du Prix Nobel qui lui avaient apporté leur soutien – notamment de neuf prix Nobel de la Paix – mobilisant également plus de 475 avocats et militants de la défense des droits de l’Homme dans le monde et une longue liste d’instances œuvrant dans le droit, la justice sociale et environnementale, avec parmi elles Amazon Watch, Greenpeace, Global Witness, Rainforest Action Network et la National Lawyers Guild de l’école de droit de Harvard. Des célébrités, comme Sting et son épouse Trudie Styler, avaient également fait part de leur soutien.
Les activistes réclament une intervention qui obligerait Chevron à mettre immédiatement un terme aux initiatives entreprises par la firme à l’encontre de Donziger, notamment le retrait d’une plainte déposée à son encontre incluant une somme de 35 millions de dollars. Ils demandent aussi la reprise des négociations portant sur un accord d’indemnisation des Equatoriens touchés par cette contamination au pétrole.
« En l’absence de ces deux manifestations de bonne volonté que nous signalons ci-dessus, nous exercerons des pressions en faveur de l’organisation d’un moratoire permanent concernant l’approbation du transfert des avoirs en Israël de Noble Energy à Chevron par tous les moyens que nous aurons à disposition, notamment par le biais de dépôt de plaintes et en nous assurant que le public israélien aura connaissance de cette histoire préjudiciable », est-il encore écrit dans la missive.
« Bienvenue, Chevron »
Comme le Wall Street Journal l’a révélé pour la première fois il y une semaine, Chevron a conclu un accord définitif avec Noble Energy, Inc. prévoyant le rachat de toutes les actions en circulation de cette firme d’exploration pétrolière et de gaz dans une transaction estimée à cinq milliards de dollars.
Noble Energy possède des parts dans les champs de gaz naturel offshore Tamar et Leviathan, au sein de l’Etat juif.
Saluant la nouvelle, le ministre de l’Energie, Yuval Steinitz, a estimé qu’elle représentait « une expression énorme de confiance dans l’économie israélienne de l’énergie et dans le développement et l’exportation continus du gaz naturel depuis l’Etat d’Israël ».
Alors que le champ gazier Tamar a lancé ses opérations commerciales en 2013 et celui de Leviathan au mois de janvier 2020, il n’y a pas eu de catastrophes majeures qui aient été enregistrées à ce jour. Les organisations œuvrant dans la défense de l’environnement et les résidents vivant à proximité de la plateforme Leviathan, installée au large de la côte dans le nord du pays, se battent pourtant contre Noble Energy suite à des pannes répétées, dénonçant les multiples utilisations de la torche pour brûler le gaz et faisant part de leurs inquiétudes en lien avec d’éventuelles pollutions.
Le ministère de l’Energie a fait savoir dans un communiqué qu’il n’avait pas encore reçu de requête concernant le transfert des droits de Noble Energy à Chevron et que « lorsque nous la recevrons – et si nous la recevons – nous en débattrons sous tous ses aspects ».
Pour sa part, l’entreprise Chevron a noté dans un communiqué que « le jugement émis à l’encontre de Chevron Corporation en Equateur a été le résultat de fraudes, de pots-de-vin et autres faits de corruption. Les plaintes à l’encontre de Chevron liées à l’environnement sont mensongères et ne sont soutenues par aucune preuve scientifique. Les décisions prises par les juges aux Etats-Unis, en Argentine, au Brésil, au Canada, à Gibraltar et devant le tribunal international de La Haye ont confirmé l’aspect frauduleux du jugement rendu en Equateur, qu’aucun tribunal respectant l’état de droit ne ferait mettre en oeuvre ».