Serge Klarsfeld, qui appelle le Crif à considérer le RN comme parti pro-juif, reçoit un « flux d’attaques »
L'ex-chasseur de nazis continue de faire polémique en publiant une tribune qui appelle le Crif à tenir de ce qu'il considère comme un glissement de l'antisémitisme de l'extrême-droite à l'extrême-gauche ; son fils demande à ce qu'il face l'objet d'une protection

Dans une rare prise de position sur le sujet, Serge Klarsfeld a appelé le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) à changer de posture vis-à-vis du Rassemblement national (RN) face à la nouvelle « situation » politique en France.
Dans une tribune publiée dans Le Figaro, le président de l’association des Fils et filles de déportés juifs de France, ancien « chasseur de nazis », estime « qu’une partie importante de la population juive se rend compte que l’extrême gauche est complice de l’islamisme et que le RN s’est transformé en un parti pro juif et pro-israélien ».
Klarsfeld regrette de constater que « le Crif est réticent à respectabiliser le RN dont il condamne les origines et dont il suspecte la sincérité ».
Par cette position, estime-t-il, « une nouvelle division est en train de s’opérer, soulignée significativement par la réprobation du Crif et de personnalités juives à l’encontre de l’invitation du gouvernement israélien au président du RN à se rendre en Israël où il a pu visiter Yad Vashem ».
Serge Klarsfeld fait ici référence à la récente invitation (qui n’a pas fait l’unanimité) du président du Rassemblement national, Jordan Bardella, aux côtés d’autres personnalités européennes d’extrême-droite, à une conférence sur la lutte contre l’antisémitisme à Jérusalem, jeudi dernier, par le ministre israélien de la Diaspora, Amichai Chikli.
À l’occasion de son premier voyage officiel en Israël qui, de fait, met fin à la position traditionnelle de l’État hébreu qui consistait à ne pas normaliser ses relations avec des partis fondés par d’anciens nazis — comme c’est le cas du Front national de Jean-Marie Le Pen, renommé Rassemblement national sous la direction de sa fille Marine Le Pen —, Bardella a visité le mémorial de la Shoah de Yad Vashem. Une image qui a suscité une vive controverse en France.
Les camps de concentration furent le summum de la barbarie.
Le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem donne un nom pour l'éternité à toutes les victimes de la Shoah : nul ne les oubliera jamais, et nul ne pourra oublier ce qui fut la pire entreprise génocidaire jamais menée. pic.twitter.com/I9nyRvsgkh
— Jordan Bardella (@J_Bardella) March 26, 2025
La veille de l’arrivée de Jordan Bardella en Israël, le président du Crif, Yonathan Arfi, s’était exprimé au sujet de l’invitation du leader d’extrême-droite par le gouvernement de Benjamin Netanyahu après que plusieurs personnalités, dont le philosophe Bernard-Henri Levy, ont annulé leur participation à la conférence organisée à Jérusalem à cause de la présence d’élus d’extrême-droite.
« Quand on fait des études d’opinion, on voit que reste un taux de préjugés antisémites supérieur à la moyenne chez les électeurs du Rassemblement national, comme d’ailleurs chez les électeurs de La France insoumise », a expliqué Arfi sur le plateau de « C à vous » le 24 mars dernier.
Un sondage d’IPSOS commandé par le Crif en novembre 2024 montre que l’antisémitisme reste particulièrement fort chez les sympathisants du RN, avec 52 % d’adhésion aux préjugés antisémites, et qu’il est, pour la première fois, encore plus présent chez les électeurs de LFI, avec 55 % d’adhésion.
RN à Jérusalem : une visite controversée ?
"Cette décision n'engage que le gouvernement israélien. Les institutions juives de France ont toujours eu une position constante d'opposition au RN, qui reste un mouvement populiste."
@Yonathan_Arfii dans #CàVous pic.twitter.com/XeTtr5GOhh
— C à vous (@cavousf5) March 24, 2025
Le RN, a précisé Yonathan Arfi, « est un parti qui reste en dehors du champ républicain parce qu’il fait le choix du populisme ». Et d’ajouter : « C’est dangereux pas seulement pour les Français juifs, c’est dangereux pour tous les Français ».
C’est cette prise de position qu’entend justement faire changer Serge Klarsfeld qui juge que le Crif est en déconnexion avec le ressenti des Juifs de France pour lesquels LFI serait devenu les premier parti antisémite du pays, selon Klarsfeld. Il en appelle donc au Crif à prendre « acte de la situation et qu’il évite la division entre es organisations qui le constituent et l’ensemble de la population juive ».
La prise de position de Serge Klarsfeld n’est pas nouvelle. L’année dernière déjà, au moment des élections législatives anticipées du mois de juin 2024, l’avocat et historien avait annoncé qu’en cas de duel avec la gauche lors des législatives, il voterait pour le RN, qui a « fait sa mue » et qui « soutient les Juifs ».

« Je voterais pour le Rassemblement national parce que […] l’axe de ma vie, c’est la défense de la mémoire juive, la défense des juifs persécutés, la défense d’Israël et que je suis confronté à une extrême gauche qui est sous l’emprise de la France insoumise avec des relents antisémites et un violent antisionisme », avait-il justifié.
Une position qui avait divisé à l’époque les organisations juives de France, et pas uniquement le Crif. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) avait aussi critiqué Klarsfeld, dénonçant une « faute morale » et un « danger existentiel » pour les Juifs en envisageant de voter pour le RN.
Suite à la publication de sa tribune dans Le Figaro, le fils de Serge Klarsfeld, Arno, a pris la défense de son père sur les réseaux sociaux et dénonçant les « flux d’attaques » le visant.
« Je rappelle que nous sommes sans doute la famille ayant subi le plus d’attentats en France, colis piégé, bombe à retardement dans la voiture, etc… », a-t-il déploré. « À l’époque c’était l’extrême-droite néonazie, aujourd’hui les menaces viennent de l’extrême-gauche et des islamistes. J’espère que le ministère de l’Intérieur fera le nécessaire pour un homme de 90 ans qui a tant fait pour la France. »
Face aux flux d’attaques visant mon père venant essentiellement de l’extrême gauche pour avoir dit que le RN n’était pas antisémite et qu’entre Melenchon et Marine Le Pen il voterait Le Pen, j’espère que les autorités feront tout pour assurer sa sécurité. Je n’évoque même pas…
— arno klarsfeld (@arnoklarsfeld) March 29, 2025
Invité sur CNews le 29 mars 2025, Arno Klarsfeld a eu l’occasion de développer son propos, expliquant « qu’on a jamais rien demandé à la France, mais là, je sens qu’il y a une menace donc je m’inquiète pour ma famille ».
Serge Klarsfeld « a dit que le Rassemblement national était dans l’arc républicain […] et beaucoup de gens lui en veulent pour cela ».
Estimant que seule la chaîne d’information en continue CNews, régulièrement accusée de diffuser les idées d’extrême-droite en France, relayera son appel à protéger son père, Arno Klarsfeld a indiqué que « depuis que j’ai fait l’armée en Israël, il y a vingt ans, je n’ai presque plus été invité sur les services publics ».
« C’est une hostilité silencieuse parce qu’ils ne peuvent pas s’en prendre directement à mon père, mais c’est comme un couvercle qui est mis sur ses convictions », a-t-il conclu.

Le Crif n’a pour l’heure pas officiellement répondu à la tribune de Serge Klarsfeld. Néanmoins, sur son compte X, l’institution a partagé le message de Philippe Meyer, président de Bnai Brith France, qui estime « qu’il y a deux partis seulement en France qui critiquent les Juifs qui ne leur prêtent pas allégeance, décrétant ainsi selon leurs critères les bons et les mauvais juifs. Leur ennemi commun, le Crif, représentant de façon démocratique et plurielle plus de 70 organisations juives, et jugé à la fois d’extrême-droite pour les uns et d’extrême-gauche pour les autres ».
Meyer semble s’en prendre à la fois au Rassemblement national et à La France insoumise dans son message, résumant la position du Crif que Serge Klarsfeld tente de faire changer.
Il y a deux partis seulement en France qui critiquent les juifs qui ne leur prêtent pas allégeance, décrétant ainsi selon leurs critères les bons et les mauvais juifs.
Leur ennemi commun, @Le_CRIF, représentant de façon démocratique et plurielle plus de 70 organisations juives,…
— Philippe Meyer (@philippemeyer92) March 30, 2025
À son tour, Ariel Goldmann, président du Fonds Social Juif Unifié (FSJU) et de la Fondation du Judaïsme Français (FJF), estime que « le Crif porte, depuis des décennies, la voix de la communauté juive organisée en France avec responsabilité et indépendance ».
« Face aux tentatives de contournement, restons unis et lucides », conclut-il dans un message lui aussi partagé par le Crif qui semble indirectement répondre à Klarsfeld.