Shalom, Abu Dhabi ! Pourquoi l’accord avec les EAU change (presque) tout
Il marginalise la droite et la gauche, aide Israël dans le monde, rend Israël moins clivant aux US. Mais il ne résout pas le conflit palestinien - l'élément le plus radical
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Il y a environ quatre ans – c’était à l’occasion d’une conférence – j’avais passé quelques jours dans un Etat du Golfe, qui n’était pas vraiment en paix avec le nôtre et j’avais été frappé par le fait qu’à chaque fois que je me présentais en tant qu’Israélien, l’accueil réservé à cette information était plutôt chaleureux.
A un moment particulièrement surréaliste, je contemplais les eaux du Golfe et je tentais de localiser au loin, avec l’aide de mon téléphone, où se trouvaient Israël, l’Iran, de l’autre côté de la mer, lorsque deux hommes, plutôt grands, vêtus de blanc, s’étaient approchés de moi pour me demander s’ils pouvaient m’être d’une aide quelconque. Bien sûr, leur avais-je alors répondu.
Je leur avais dit d’où j’étais originaire – et leurs visages s’étaient éclairés d’un large sourire. Ils avaient exprimé leur plaisir de me rencontrer et ils m’avaient dit espérer un jour pouvoir venir un jour à Jérusalem. J’avais fait part de mon ignorance géographique et ils m’avaient aidé avec plaisir – pointant le doigt dans la direction générale de mon lointain pays pour commencer, puis, seulement après, dans la direction du territoire ennemi qui a juré ma destruction.
En Israël, on a tendance à largement estimer qu’une grande partie du monde arabe – et, très certainement, d’un grand nombre des Etats du Golfe – restent indifférents à la situation difficile des Palestiniens, voire qu’ils n’affichent pas particulièrement de mauvaise volonté à l’égard d’Israël.
Mon voyage de 2016, par ses anecdotes, est plutôt allé dans ce sens. Même si, je veux le souligner, mon séjour a été court, j’ai pu parler avec des citoyens locaux, pas avec des travailleurs étrangers, et je reste bien conscient que des Israéliens ont pu avoir des échanges moins plaisants.
On a aussi tendance à penser, au sein de l’Etat juif, qu’une grande partie du monde arabe, et notamment dans les pays du Golfe, n’opterait pas pour un partenariat ouvert avec Israël, sans même parler d’une normalisation totale des relations avec Israël et ce, tant que le conflit israélo-palestinien restera irrésolu. Et cette hypothèse avait été confortée par les événements jusqu’à présent.
Jusqu’à jeudi, en fait.
L’accord conclu entre les Emirats arabes unis et Israël n’a pas encore été officiellement consommé – mais nous voilà déjà en lune de miel. Après une impasse politique interminable au sein de l’Etat juif, après une pandémie et après l’effondrement de l’économie, les médias israéliens sont heureux – c’est compréhensible – de pouvoir rapporter une bonne nouvelle et la couverture qui est faite du pacte entre les deux pays est franchement vertigineuse – grâce, en grande partie, aux personnes interviewées aux Emirats dont la joie est égale à celle exprimée du côté israélien.

Samedi soir, grâce à la Douzième chaîne, par exemple, nous avons pu rencontrer Yoni, homme d’affaires expatrié à Dubaï, qui a salué cet accord de paix « formidable » ; son camarade émirati, Hamdan, qui nous a informés, en hébreu, qu’il avait déjà commencé à apprendre notre langue « il y a un petit moment » ; une blogueuse qui nous a transmis, tout sourire, ses vœux de « Mazal Tov » et un employé d’hôtel qui s’est dit « très excité de la paix conclue avec Israël », ajoutant que son bureau de réservation serait « heureux de vous offrir un rabais de 40 % sur les chambres ».
Dimanche soir, grâce à la Treizième chaîne, c’est le magnat de l’immobilier Khalaf Ahmad Al Habtoor qui a fait son apparition sur le petit écran pour saluer « l’excellent accord » conclu entre les dirigeants de nos deux pays, et pour reconnaître qu’il s’est déjà mis au travail, en collaboration avec Israir, pour concrétiser l’établissement des vols directs qui ont été promis dans le communiqué conjoint émis jeudi sur la « pleine normalisation » des liens.
Et il y a effectivement des raisons de se réjouir : Dimanche après-midi, les lignes téléphoniques entre nos deux pays ont été ouvertes, nos ministres des Affaires étrangères ont conversé et les sites internet israéliens – y compris celui-ci – sont dorénavant accessibles aux Emiratis qui ne sont pas reliés à un VPN.
Nos deux traités de paix antérieurs avaient également assez bien commencé, mais les deux avaient été égratignés par des actes de violences meurtrières contre des Israéliens (à Ras Burka, dans le Sinaï égyptien, en 1985 et à Naharayim, sur la frontière jordanienne, en 1997) et ils avaient fini par se limiter à une interaction pragmatique à défaut d’encourager une véritable chaleur entre les peuples. Ce qui émane des EAU – notamment de la part des membres de la communauté juive – c’est, par contraste, que les Israéliens n’auront pas à craindre pour leur sécurité et qu’ils seront les bienvenus.

Alex Peterfreund, cofondateur et chantre de la communauté juive de Dubaï, a en effet fait allusion, dans une interview diffusée dimanche à la télévision, a des préoccupations très différentes. S’efforçant de se montrer le plus diplomate possible, il a noté la « grande politesse » des Emiratis et déclaré que les visiteurs israéliens – quand les vols directs seront mis en place et circuleront, quand les ressortissants de l’Etat juif pourront profiter des structures extraordinaires de tourisme des EAU, et quand la COVID-19 le permettra – devront tenter de jouer le rôle « d’ambassadeurs » (Mais de quoi donc peut-il s’inquiéter ?)
Le plaisir de la lune de miel mis de côté, ce partenariat a tout le potentiel nécessaire pour entraîner un changement authentique et durable.
Les Emirats arabes unis sont notre premier partenaire de paix avec lequel nous n’avons pas d’antécédents historiques sanglants. Nos relations ne s’établissent pas sur des souvenirs partagés de guerre, de pertes. La conclusion de notre alliance est moins émotionnellement dramatique, moins lourde, moins importante au niveau militaire. Pour résumer : Elle est normale. Et c’est une union qui peut durer – et qui pourrait bien ouvrir la porte à encore d’autres mariages.

Diplomatie consensuelle
Premier signe : cette bombe diplomatique n’a pas entraîné une refondation de la politique israélienne. Des sondages, dimanche soir, ont plutôt montré que le parti du Likud de Netanyahu avait cessé sa baisse récente dans les enquêtes d’opinion – voire qu’il augmentait légèrement – mais rien de plus spectaculaire. Aussi alléchante que soit la perspective de la paix avec les Emirats, il n’empêche qu’un cinquième des Israéliens dans le pays sont au chômage et que peu ont pu se déplacer dans le monde dans un contexte de pandémie.
Netanyahu est – et il reste – le politicien préféré à tous les autres pour le poste de Premier ministre mais son rival de droite Naftali Bennett, du parti Yamina, se porte plutôt bien dans les sondages sur la base de ses critiques de la gestion de l’épidémie, depuis les bancs de l’opposition. Et les manifestants anti-Netanyahu, qui réclament la démission du chef de gouvernement pour ses actes de corruption présumés, n’ont pas l’intention d’interrompre leur mouvement de protestation.
Et pourtant, Netanyahu s’est rapproché du point qui se trouve au centre du consensus israélien, et il semble certain d’en tirer les bénéfices, le temps passant.
Il répète quotidiennement que son projet d’annexion des 30 % de la Cisjordanie qui sont alloués à l’Etat juif dans le cadre du plan de paix reste « sur la table », et qu’il reste attaché à l’élargissement de la souveraineté en pleine coordination avec les Etats-Unis. Rien n’a changé, insiste-t-il.
Sauf que tout a changé.
L’administration Trump s’est montrée peu désireuse de saper son propre plan en approuvant une annexion unilatérale israélienne. Et Netanyahu a choisi une percée diplomatique – et la perspective d’en connaître d’autres – à sa propre promesse, celle qu’il avait pourtant faite à une part non-négligeable de sa base électorale. Mis à l’écart pour le moment, alors qu’ils ont pesé, pendant des années, bien au-delà de leur poids démographie, la majorité des chefs d’implantation sont furieux, menaçants, tandis que le centre et la gauche rient sous cape. Le procès pour corruption de Netanyahu n’a pas disparu, mais la probabilité d’un challenger politique crédible – qui s’est largement réduite de toute façon lorsque Benny Gantz avait établi un partenariat avec lui – s’éloigne encore un peu davantage.

Plus important : Dans l’arène internationale, cet accord est une nouvelle merveilleuse pour Israël.
Dorénavant, ce ne sont plus seulement l’administration Trump et le gouvernement israélien de droite qui mettent en garde les Palestiniens contre une intransigeance contre-productive : c’est, depuis jeudi, également le cas d’un bon fragment du monde arabe.
Seuls les EAU, jusqu’à présent, ont fait la paix avec Israël et encouragé les Palestiniens à faire de même. Mais les Emirats sont applaudis pour leur action – ou, tout du moins, ils sont défendus par une grande partie du monde arabe contre les récriminations amères et les accusations de trahison de l’Autorité palestinienne et de son président, Mahmoud Abbas, et contre les menaces sombres proférées par Téhéran et Ankara.

L’accord a aussi le potentiel crucial, de plus, de renforcer le soutien bipartisan à Israël aux Etats-Unis. Joe Biden a indiqué qu’il ne relocaliserait pas l’ambassade américaine à Tel Aviv s’il était élu mais qu’il s’opposerait à l’annexion unilatérale israélienne de la Cisjordanie.
Et plutôt que de se trouver aux prises avec Netanyahu lors de son éventuelle arrivée à la Maison Blanche, le président Biden hériterait dorénavant d’un cadre de paix accepté par Israël, soutenu par une partie du monde arabe et ouvert aux Palestiniens – qu’il encouragerait, sans aucun doute, à revenir à la table des négociations.

Et s’ils le font, que ce soit sous l’autorité de Trump ou sous celle de Biden, le cadre resterait ouvert. Israël ne s’est pas saisi de manière préemptive de son butin issu d’une éventuelle annexion. L’administration Trump a clairement établi que les termes de l’accord n’étaient pas gravés dans le marbre et il est indubitable que Biden considérera les choses de la même manière.
Si l’AP reste à l’écart, si elle approfondit son alliance naissante avec le Hamas, les choses pourraient devenir très laides sur le terrain, y compris pour Israël. En s’alignant carrément du côté des Iraniens, l’Autorité palestinienne pourrait faire fuir certains de ses soutiens régionaux et internationaux et devrait peut-être affronter des dissensions internes croissantes.

« Une nouvelle méthode pour faire les choses »
C’est un processus complexe qui a permis la bombe diplomatique extraordinaire qui s’est abattue jeudi. En jeu, la préoccupation partagée du Golfe face au renforcement en cours de l’Iran, et la conscience que l’Etat juif ne peut tout simplement pas se permettre de se laisser intimider par un régime islamiste qui s’est juré de nous faire disparaître et d’acquérir l’arme nucléaire. Et quelque part au milieu également, se trouve aussi une certaine indifférence à l’égard des Palestiniens – ou tout du moins une certaine lassitude – avec la décision finalement prise de ne plus se restreindre en raison du conflit palestinien dans les interactions avec l’Etat juif.

Dans une brève interview accordée samedi soir à la Douzième chaîne, Anwar Gargash, ministre d’Etat émirati aux Affaires étrangères, a résumé ce glissement ainsi : « Très clairement, 70 années de non-communication avec Israël ne nous ont menés nulle part. Je pense que nous devons adopter une nouvelle méthode pour faire les choses. Et cette méthode est tout simplement la suivante : Nous pouvons être en désaccord avec vous sur des questions politiques mais nous pouvons travailler avec vous sur des sujets non-politiques ».
C’est une déclaration qui est à la fois banale et révolutionnaire, une déclaration qui était jusqu’à présent impensable dans le contexte des relations entre Israël et le monde arabe. Elle ne change rien au cœur du conflit israélo-palestinien mais elle peut refondre potentiellement le contexte régional, voire global, dans lequel le conflit est appréhendé et géré.
Un pays arabe influent a donc levé la main et il a dit que oui, il était tout à fait conscient du fait que les Palestiniens n’ont pas encore d’Etat. Qu’ils doivent en avoir un. Qu’ils doivent négocier avec les Israéliens.
Ce pays arabe a ajouté qu’il n’attendra pas toutefois que cet Etat se concrétise. Qu’il n’est pas en guerre avec Israël. Qu’il n’y a pas de dettes de sang à acquitter, ou de territoire à reprendre à l’Etat juif. Et qu’il va faire la paix avec Israël. Dès maintenant.
Pourquoi ? Parce que « 70 années de non-communication avec Israël ne nous ont menés nulle part ».
Ce à quoi nous, Israéliens, pourrons répondre – et tous les citoyens des Emirats arabes unis pourront dorénavant l’entendre ou le lire sur internet : « Shalom, Abu Dhabi ! »

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