Sous-marins : Miki Ganor demande à revenir sur son témoignage
Ce témoin de l'accusation déterminant avait admis qu'il avait versé des pots-de-vins à de nombreux responsables et il dit aujourd'hui avoir menti. Il a été arrêté et interrogé
Le témoin de l’accusation déterminant dans l’affaire de corruption portant sur l’achat de sous-marins, surnommée l’Affaire 3000 – qui implique plusieurs proches conseillers du Premier ministre Benjamin Netanyahu – a demandé à changer certaines parties de son témoignage.
Miki Ganor, ancien représentant en Israël du fabricant naval allemand ThyssenKrupp, avait signé un accord avec les procureurs au mois de juillet 2017 pour coopérer à l’enquête – qui s’est concentrée sur la période pendant laquelle il avait travaillé pour la compagnie, entre 2009 et 2017. Il avait admis avoir versé des pots-de-vin à un certain nombre de hauts-responsables pour aider à garantir les contrats finalement conclus entre ThyssenKrupp et le ministère de la Défense.
La police pense que des responsables israéliens ont ainsi été payés pour favoriser l’avancée d’un accord massif portant sur l’acquisition de sous-marins pour un montant de centaines de millions de dollars, un dossier considéré par certains comme le plus important scandale de corruption présumé de toute l’histoire du pays.
Mais selon un communiqué émis par la police israélienne, Ganor s’est rendu, mardi soir, au siège de l’unité anti-corruption de la police, le Lahav 433, à Lod, disant aux enquêteurs qu’il souhaitait modifier certaines parties essentielles du témoignage qu’il avait apporté dans le dossier.
Ganor aurait déclaré aux enquêteurs : « Je n’ai versé de pots-de-vin à personne », selon des informations parues dans les médias qui n’ont pas encore été confirmées par les forces de l’ordre.
Après avoir présenté sa demande inhabituelle, Ganor a été immédiatement pris en charge par l’unité nationale des crimes économiques, qui fait partie de Lahav 433. Il a été interrogé après lecture de ses droits pour obstruction présumée à la justice.
Il a été arrêté rapidement après et il devait être présenté à la cour des magistrats de Rishon Lezion, mercredi matin, pour une audience de placement en détention. Il a été néanmoins amené à l’hôpital mardi soir pour une maladie qui n’a pas été précisée.
Les procureurs songeraient à lui retirer son statut de témoin de l’accusation – une initiative qui supprimerait immédiatement son immunité face aux poursuites judiciaires dans cette affaire.
Selon des informations rendues publiques mardi soir par la Treizième chaîne, « des sources proches de Ganor » auraient fait savoir que ce dernier souffre de stress mental « grave ». Aucun détail supplémentaire n’a été donné.
Un responsable du bureau du procureur a noté pour sa part auprès du site Maariv que la rétractation de Ganor n’entraverait pas l’enquête de manière significative.
« La rétractation de Ganor n’est pas dramatique pour nous parce que selon l’accord définissant son placement sous le statut de témoin de l’accusation qu’il a signé avec l’Etat, nous pouvons encore utiliser son témoignage et toutes les preuves qu’il a transmises, et ce même s’il tente de se rétracter », aurait dit le responsable. « Sa version a été également corroborée par des preuves extérieures. Son changement de témoignage aujourd’hui n’est donc pas aussi terrible que ça ».
Le témoignage de Ganor avait aidé à lancer l’une des enquêtes pour corruption les plus graves de l’histoire de l’industrie de la Défense dans le pays.
La police avait exposé les détails du dossier lorsqu’elle avait conclu l’enquête au mois de novembre 2018, transmettant l’affaire aux procureurs en recommandant de nombreuses inculpations contre de hautes-personnalités au sein de l’élite de la Défense israélienne, ainsi qu’à l’encontre de plusieurs proches du Premier ministre.
Selon les documents de la police, il y avait des preuves suffisantes pour accuser de pots-de-vin et de blanchiment d’argent le cousin et avocat personnel de Netanyahu, David Shimron, pour son rôle dans le dossier.
Les enquêteurs avaient également estimé que l’ancien directeur du bureau de Netanyahu, David Sharan, pouvait être soupçonné de pots-de-vin, comme l’ex-chef de la marine israélienne, Eliezer Marom.
Parmi les autres suspects figuraient aussi le général de brigade (réserviste) Shay Brosh, ancien conseiller à la sécurité nationale adjoint, et l’ancien ministre Eliezer Sandberg.
La police avait précisé qu’il y avait suffisamment de preuves pour inculper un autre avocat de Netanyahu et l’un de ses conseillers de longue date, Yitzhak Molcho, qui partageait le cabinet de Shimron, en liaison avec l’affaire.
Cette annonce de la police israélienne avait été faite lors de la conclusion d’une longue enquête sur l’achat par Israël de sous-marins fabriqués par ThyssenKrupp.
Pour son rôle de témoin de l’accusation – par lequel il acceptait de coopérer à l’enquête de la police – les procureurs avaient accepté de laisser de côté les accusations majeures de corruption contre Ganor et de ne sanctionner que les délits fiscaux qui avaient découlé de l’affaire. Il avait écopé notamment d’une peine de douze mois de prison et d’une amende de dix millions de shekels.
Le procureur-général Avichai Mandelblit doit encore annoncer s’il prévoit de procéder à des inculpations dans le dossier.
Netanyahu n’est pas considéré comme suspect dans l’affaire mais l’implication d’un grand nombre de ses proches et ses propres accords passés avec une entreprise qui effectuait des transactions commerciales avec ThyssenKrupp ont été évoqués par ses adversaires aux prochaines élections.
Shimron est soupçonné d’avoir favorisé un contrat de défense d’un montant de 6 milliards de shekels établissant l’acquisition de sous-marins pour la marine israélienne et d’autres navires qui devaient protéger les champs de gaz naturels maritimes du pays, une initiative qui a pu lui rapporter une commission confortable. Le propre rôle de Netanyahu dans la décision de cet achat – notamment l’insistance émise par le Premier ministre à ce que Thyssenkrupp soit exempté du processus habituel d’appel d’offres du ministère de la Défense – avait soulevé la crainte d’un conflit d’intérêt pour Shimron. Une partie de l’accord qui avait été prôné par Shimron aurait également permis à ThyssenKrupp de construire un chantier naval lucratif en Israël – où l’entreprise aurait assuré la maintenance des nouveaux vaisseaux.
Shimron est soupçonné d’avoir été intermédiaire dans les pots-de-vin, agissant « pour le compte de Ganor en tant que représentant de la corporation allemande dans l’objectif de promouvoir l’accord entre Israël et la corporation, tout en utilisant son statut et sa proximité avec le Premier ministre et les responsables publics avec lesquels il travaillait ».
Il est également soupçonné de fraude et de blanchiment d’argent pour avoir aidé Ganor de manière illicite à sécuriser un investissement au Crédit suisse, une banque helvétique.
Bar-Yosef est soupçonné d’avoir aidé Ganor à devenir le représentant en Israël de l’entreprise allemande. Il avait alors oeuvré à promouvoir les accords sur les sous-marins en échange d’une réduction des honoraires de Ganor.
Marom est soupçonné d’avoir collaboré avec Ganor et Bar-Yosef pour garantir la désignation de Ganor en tant que représentant de ThyssenKryupp. A la tête de la marine israélienne de 2007 à 2011, il avait fait avancer les conventions israéliennes passées avec l’entreprise. Pour ses initiatives, il aurait reçu la somme de 600 000 shekels de la part de Ganor sous couvert de « frais de conseil ».
Brosh, homme d’affaires privé et ami de Bar-Yosef, aurait aidé Ganor et Bar-Yosef à dissimuler leur connexion pour les pots-de-vin en assumant le rôle d’intermédiaire contre de l’argent.
Sharan est soupçonné d’avoir favorisé les intérêts de Ganor au sein du gouvernement, une démarche pour laquelle il aurait reçu des honoraires.
Enfin, Sandberg, qui avait été ministre des Sciences et de la technologie en 2003-2004 en tant que membre de la formation Shinui – aujourd’hui disparue – est soupçonné d’avoir utilisé son poste de directeur de Keren HaYesod pour « ouvrir les portes » du gouvernement à Ganor et lui donner des informations d’initiés sur les accords sur l’achat des sous-marins.