Suicide collectif à Massada ? Une archéologue de renom remet en cause la légende
Jodi Magness démolit les mythes et pose des questions sans réponse dans un nouveau livre sur Massada - le site du plus grand massacre juif de masse qui n'a peut-être jamais existé
- L'archéologue Prof. Jodi Magness à Massada, le 11 juillet 2019. (Amanda Borschel-Dan/Times of Israel)
- Des touristes, à Massada, le 11 juillet 2019. (Crédit : Amanda Borschel-Dan/Times of Israel)
- L'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger à Massada, en mars 1975 avec l'archéologue et ancien chef d'état-major israélien Yigael Yadin. (AP Photo/Castro)
- Vue de Massada, le 11 juillet 2019. (Amanda Borschel-Dan/Times of Israel)
- Des enfants lors d'un voyage à Ein Gedi et Massada, début des années 1950. (Efraim Ilani)
- Vue aérienne de Massada. (Crédit : Andrew Shiva/CC BY-SAWikipedia)
Jodi Magness parcourait le paysage lunaire aride au sommet de Massada, montrant l’endroit où les jardins luxuriants majestueux du roi Hérode se seraient tenus 2 000 ans auparavant. La terre végétale, dit-elle, aurait été apportée dans des paniers provenant de pâturages plus fertiles. Un système d’arrosage complexe, actionné par l’homme, permettait de maintenir l’humidité dans les vastes terres cultivées.
Alors que l’archéologue pionnière se dirigeait vers une piscine d’une taille imposante – à l’époque d’Hérode elle était remplie à la main avec des seaux – le film « Dune » faisait surface dans les profondeurs de mon cerveau qui était accablé de chaleur : « Celui qui contrôle l’eau, contrôle l’univers. »
C’était un matin de juillet chaud sur le plateau palatial déserté qui surplombe la mer Morte. Mais avec une énergie presque infatigable, cette scientifique de 63 ans, en rose, a évité une foule de touristes et a conduit le Times of Israël vers une gigantesque citerne souterraine, l’une des 18 citernes qui ont permis de subsidier aux besoins des habitants.
« Le contrôle de l’environnement, de l’eau, c’est le pouvoir, expliqua Magness. Imaginez qu’un émissaire vienne ici il y a deux millénaires après avoir parcouru le désert de Judée, chaud et poussiéreux. Quel genre d’impression cela ferait-il de voir ces jardins verts ? », s’émerveillait-elle sous l’ombre bénie de la citerne caverneuse. « Avec la quantité d’eau nécessaire pour maintenir la façade de l’oasis au sommet de la montagne, Hérode déployait ses muscles. »

Magness, professeur de judaïsme ancien à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, vient de publier un nouveau livre chez Princeton University Press, « Masada : From Jewish Revolt to Modern Myth » [Massada : De la révolte juive au mythe moderne].
Aujourd’hui, Magness est surtout associée à la fouille d’un sol en mosaïque coloré et remarquablement travaillé dans une ancienne synagogue à Huqoq, au nord de Tibériade, où elle creuse depuis 2011.

Au cours de ses dizaines d’années de carrière, l’archéologue américaine a participé à des dizaines de fouilles dans tout Israël. Au milieu des années 1990, elle a fouillé les remparts romains de Massada et travaillé sur certains des huit camps romains qui entouraient la base de la montagne. Sa riche expérience professionnelle, à Massada et ailleurs, donne beaucoup de valeur ajoutée à son nouveau travail, accessible mais savant.
Confidence : Pour ceux qui cherchent à résoudre l’énigme de Massada, ce livre n’est pas pour vous. Les lecteurs ne trouveront pas de réponse définitive à la véracité de l’histoire héroïque des rebelles juifs qui se sont suicidés plutôt que de tomber captifs aux Romains. Ils seront plutôt confrontés à de nombreuses questions.

Dans le récit émouvant de l’historien juif de l’époque romaine Flavius Josèphe, alors que l’armée romaine, forte de 8 000 hommes, assiégeait les 967 habitants du bastion juif, un groupe de 10 rebelles a estimé préférable de mourir plutôt qu’être capturé. Ils ont juré de s’entretuer et de tuer leurs familles, et ont tiré au sort pour savoir qui serait le dernier à se suicider – ce qui est interdit par la loi juive.
Le livre examine et présente les artefacts archéologiques qui servent de base à l’affirmation du récit de Josèphe – et la quantité de preuves qui s’y opposent.
Dans le livre et durant notre conversation, Magness a cité le travail de l’archéologue Hillel Geva, qui prétend qu’un monticule massif de débris trouvé près du palais nord est une rampe d’accès romaine.
« Selon Geva, il n’y a pas eu de suicide collectif à Massada. Peut-être que certains des rebelles se sont suicidés, mais les combats ont continué après l’entrée des Romains dans la forteresse », écrit-elle.
Si les Juifs sont des héros, les conquérants romains le sont aussi
Surplombant les camps romains depuis le sommet de Massada, Magness affirme que le dispositif littéraire saisissant du suicide collectif se retrouve dans les histoires anciennes. Les histoires de l’époque romaine n’ont pas été écrites dans un souci de vérité absolue, mais plutôt dans le but de mélanger l’essence de la vérité à la tragédie et au triomphe pour créer une forme de divertissement.

« Nous ne serions pas ici aujourd’hui sans l’histoire du suicide collectif », dit Magness avec ironie.
Pour compliquer encore le récit, dit Magness, l’ouvrage « La Guerre des Juifs » de Flavius Josèphe – la seule source ancienne de la chute de Massada – fut subventionné par l’Empire Romain. En élevant le rebelle Éléazar ben Yaïr au rang de héros tragique, les empereurs de la dynastie flavienne de Rome se sont en fait élevés eux-mêmes.
« Il n’y a pas de gloire à vaincre un ennemi faible, il y a de la gloire à vaincre un ennemi héroïque », a dit Magness. « Les Flaviens ont instrumentalisé la Guerre des Juifs comme la pièce maîtresse de leur dynastie », dit-elle.
De même, la fin tragique des Juifs a un but moralisateur, a-t-elle dit. « Ne pensez même pas à vous révolter contre Rome », dit-elle en riant.
Dans le livre, Magness n’exprime pas son opinion sur le récit de l’État d’Israël concernant Massada, considéré comme une figure emblématique d’une règle autonome sacrificatrice, mais elle en discute sous différents angles.
La mythologie « Massada ne tombera pas une nouvelle fois » a commencé bien avant les fouilles de l’archéologue de Massada, Yigal Yadin, dans les années 1960. « C’est le défunt archéologue israélien Shmaryahu Gutman qui mérite une grande partie du crédit pour la création du mythe de Massada », écrit-elle. À partir des années 1930, Gutman a emmené des mouvements de jeunes en trekking sur le site. Gutman a fait partie des premières explorations archéologiques et a plus tard fait participer Yadin.

Parmi les raisons de cette interaction facile des premiers thèmes sionistes sur le mythe de Massada, écrit Magness, se trouve la récente période de la Shoah. « L’idée que des combattants juifs héroïques pour la liberté ont combattu le puissant Empire romain jusqu’à la fin contre l’image de millions de Juifs européens passifs qui mouraient de faim ou étaient gazés dans les camps de concentration nazis. » Pour un Israël naissant, l’histoire d’un bastion isolé et assiégé d’idéalistes vertueux aurait semblé familière sur le plan romantique.
Fait remarquable, des pièces de poterie portant des noms d’hommes juifs – dont celui du chef rebelle ben Yair – ont été découvertes lors de fouilles, confirmant apparemment l’histoire de Josèphe. Mais Magness s’interroge.
Les 12 tessons de poterie, ou ostraca, sur lesquels sont inscrits des noms semblent être des preuves convaincantes. Magness souligne que les « lots » ont été découverts parmi quelque 250 ostraca et regroupés par l’archéologue de Massada, Yigal Yadin, car les noms hébreux semblaient avoir été écrits par le même scribe.

Cependant, l’épigraphe Joseph Naveh n’a pas pu les identifier de façon concluante comme étant les lots de Josèphe, affirmant qu’ils étaient trop semblables aux autres tessons utilisés comme « étiquettes » pour la distribution de nourriture. De même, il y avait 12 noms hébreux, et Josèphe ne mentionne que 10 hommes.
« Que ces ostraca soient des lots ou simplement des étiquettes utilisées à d’autres fins reste une question ouverte », écrit Magness.
Manipulation de preuves ?
À l’âge de 12 ans, inspirée par un professeur d’histoire classique, Magness a décidé qu’elle voulait devenir archéologue. Elle a quitté sa maison à Miami à l’âge de 16 ans pour finir ses études secondaires dans un pensionnat dans le désert du Néguev, en Israël, et a été témoin de la guerre du Kippour de 1973.

Plus tard, alors qu’elle était jeune étudiante à l’Université hébraïque de Jérusalem, elle a étudié avec Yadin. En se basant sur son expérience d’étudiante et sur ses travaux de recherche et ses notes, elle nie l’affirmation courante qu’il a manipulé des preuves pour étayer le récit de Josèphe. Elle a reconnu que Yadin utilisait l’archéologie à des fins nationalistes, mais a déclaré qu’il était injuste de juger le travail des générations précédentes du point de vue actuel.
Yadin n’a jamais publié de compte rendu scientifique des fouilles, mais tous les soirs les réunions du personnel étaient enregistrées et publiées, dit Magness. Tout était transparent, dit-elle.
« Je n’ai jamais vu de preuves d’une distorsion délibérée », a-t-elle dit, bien que Yadin ait pu « interpréter les choses d’une certaine manière », ce qui a facilement conduit à la conclusion que les preuves archéologiques corroboraient le récit émouvant.

« Yadin avait une approche très littérale de Josèphe, dit-elle, comme la plupart des savants de son époque. « Ce n’est pas juste de critiquer », dit-elle, « c’était un produit de son temps ».
Mais Magness écrit aussi qu’elle ne s’attendrait pas nécessairement à trouver des preuves archéologiques à l’appui de l’histoire du suicide collectif de Josèphe, en supposant que le récit est vrai. Elle ne se prononce pas sur sa véracité dans le livre.
En vrai, sa réponse était aussi cool que sa coupe de cheveux punk. « Je ne sais pas et je m’en fiche », dit-elle franchement. « Je m’en fiche parce que ce n’est pas une question face à laquelle l’archéologie est équipée pour répondre. »
Briser les mythes

La partie archéologique du livre « Masada » qui brise les mythes est plus courte que ce que l’auteur de ces lignes aurait voulu. Elle séduit avec des histoires de squelettes et d’os de cochons mal assortis.
Ce que ce travail fait le mieux est de préparer le terrain pour la période précédant la rébellion juive. Il se lit parfois comme une série de fascinantes conférences académiques, avec Magness qui étudie les prédécesseurs du puissant roi impitoyable, ses descendants et son héritage. (Fait intéressant : bien que le site soit un joyau de la couronne de l’architecte Hérode, il n’y a aucune preuve qu’il y ait jamais mis les pieds).
Dans d’autres chapitres, nous découvrons l’environnement du désert de Judée et l’architecture de Massada et des autres projets de construction monumentaux d’Hérode. La section sur la topographie de Jérusalem est brève, mais éclairante, tout comme le détail des nombreuses fouilles qui ont été découvertes dans la ville de l’époque hérodienne. Césarée bénéficie d’un regard attentif, tout comme Herodium, le tombeau présumé d’Hérode.
Ce qui est quelque peu incongru, c’est que le livre fait également écho aux trois premières années de Magness en tant que guide touristique, de 1977 à 1980. Elle donne des conseils bavards, tels que les chaussures à porter et le chemin à parcourir sur le site. Croyez-en son expérience personnelle, n’oubliez pas sa suggestion de la vue époustouflante du côté sud – et de l’écho impressionnant.
Ma section préférée est sans aucun doute le récit de Magness sur les premières expéditions estivales malavisées organisées par des aventuriers européens à la recherche des palais venteux de Massada. Il fait très chaud sur et autour de la mer Morte pendant la saison estivale aride, un fait que plusieurs explorateurs du 19e siècle ne semblaient pas connaître, à leur grand détriment (et qui a, dans certains cas, conduit à leur mort).

Il faisait si chaud en ce jour de juillet que l’Autorité des parcs nationaux d’Israël avait fermé l’approche légendaire du Snake Path vers la colline. Contrairement aux pauvres Juifs assiégés – ou aux Romains relativement high-tech – nous avons eu le luxe de gravir le sommet dans un téléphérique serrés comme des sardines.
En tant que l’un des principaux sites touristiques d’Israël, Massada est bien entretenu et sa sécurité est maximale. La montée ou la descente de 20 à 40 minutes sur le Snake Path peut être risquée pendant la chaleur estivale. Mais même pendant la haute saison estivale, les visiteurs aventuriers qui cherchent à retracer les pas des légionnaires romains peuvent encore emprunter le chemin relativement facile des remparts – et même marcher sur des planches millénaires et bien conservées.
Des fouilles archéologiques sont en cours sur les hauteurs de la colline. Mais regardant au loin les contours clairs et uniformes des camps romains en contrebas, Magness sourit et dit : « Tout le monde fait attention à ce qui se trouve au sommet de la montagne. J’aime voir ce qu’il y a en bas. »
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