Suisse : Le Conseil fédéral ne veut pas interdire les symboles nazis
Les autorités sont "convaincues que la prévention est une meilleure solution que la répression pénale"
En novembre, en Suisse, Marianne Binder-Keller, conseillère nationale du groupe politique Centre, avait déposé une motion demandant la création d’une « base légale distincte interdisant et pénalisant l’utilisation dans l’espace public, réel comme virtuel, de symboles nazis connus de tous (gestes, symboles, saluts et objets) ».
En réponse, le mercredi 2 février, le Conseil fédéral a proposé de rejeter la motion interdisant les symboles nazis, a rapporté 20min.ch. L’instance gouvernementale est « convaincue que la prévention est une meilleure solution que la répression pénale ».
Rappelant que le code pénal interdit « la propagation publique d’idéologies visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique une personne ou un groupe de personne en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle », il estime que « les circonstances du cas d’espèce permettent de décider s’il s’agit de propagande ».
« Témoigner publiquement sa sympathie pour une idéologie discriminatoire ou s’y référer, de manière cynique ou non, ne constitue pas en soi de la propagande. L’auteur doit avoir l’intention d’influencer des tiers et de les rallier à cette idéologie. Ce faisant il se rend punissable en vertu du droit en vigueur », est-il indiqué.
Ainsi, s’il est « indéniable que l’exhibition et l’utilisation de symboles nazis peuvent être choquantes et accablantes, surtout pour les victimes de l’Holocauste et leur famille », le Conseil estime que « l’utilisation publique de symboles racistes sans intention de propagande ne porte atteinte à la dignité humaine et à la paix publique que de manière indirecte ».
« La liberté d’expression n’est certes pas absolue en Suisse, car elle peut être soumise à des restrictions afin de garantir les droits d’autrui », est-il rappelé. « Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut également accepter que des idées dérangeantes puissent être exprimées même si la majorité les trouve choquantes. »
Des projets de loi similaires avaient déjà été rejetés ces dernières années, « notamment parce qu’il aurait été difficile de définir les symboles visés d’une manière qui fût conforme au principe de précision de l’art. 1 du code pénal ». « Ce motif est compréhensible si la norme pénale fait référence à des symboles racistes de toute nature, mais il n’est pas valable si la norme fait référence à une forme concrète de racisme, en l’occurrence l’Holocauste, et qu’elle interdit uniquement les symboles connus de tous », était-il ajouté.
Le Parlement suisse avait ainsi refusé, en 2015 puis en 2016, de rendre le salut nazi punissable. Dans ses réponses à deux motions récentes, le Conseil fédéral « n’a pas vu la nécessité d’introduire de nouvelles dispositions pénales contre l’utilisation de certains symboles. De plus, le Conseil fédéral avait expliqué auparavant qu’il serait difficile, voire impossible, de délimiter les comportements punissables par rapport à ceux qui ne le sont pas ».
« À cela s’ajoute que les symboles en question doivent encore pouvoir être utilisés à des fins historiques, éducatives, artistiques ou journalistiques. Pour ces raisons, le Conseil fédéral reste convaincu que la prévention est une meilleure solution que la répression pénale contre l’utilisation des symboles nazis sans intention de propagande. Le Service de lutte contre le racisme (SLR) est responsable de la prévention et de la sensibilisation à la lutte contre le racisme et la discrimination. Il organise, encourage et coordonne des activités aux niveaux fédéral, cantonal et communal. »
Suite à cette réponse, Marianne Binder-Keller estime que le gouvernement « ne veut manifestement pas s’occuper de la problématique et n’est pas assez conscient de la manière dont cela est perçu dans l’ambiance actuelle. Le salut hitlérien et les étoiles juives sur lesquelles il est écrit ‘non vacciné’ sont tout simplement un no-go », explique-t-elle.

La Fédération suisse des communautés israélites – qui avait montré publiquement son soutien à la motion de Mme Binder-Keller – a exprimé son incompréhension. « Cette attitude du Conseil fédéral est incompréhensible et ne peut être comprise. Ce sont surtout les raisons invoquées pour justifier le rejet de la demande qui irritent », a écrit l’organisation dans un communiqué.
Jonathan Kreutner, président de la Fédération suisse des communautés israélites, a expliqué que les symboles nazis avaient toujours été un problème dans l’espace public, « mais ces derniers temps, notamment dans le contexte des comparaisons avec l’Holocauste et de la pandémie de coronavirus, nous avons atteint un nouveau sommet ».
« Nous ne comprenons pas pourquoi le Conseil fédéral veut rester à l’écart dans ce domaine », a-t-il poursuivi. Selon lui, « il serait naïf de croire qu’une formation de sensibilisation pourrait aider dans le cas d’adultes à l’idéologie bien établie, qui ont sciemment et de manière ciblée fait le salut hitlérien ou utilisé des croix gammées en public ».
La décision du Conseil fédéral a aussi été critiquée par les partis politiques. « La tolérance zéro s’applique aux croix gammées et aux symboles de ce type ; de telles tendances doivent être étouffées dans l’œuf », a estimé le conseiller national UDC Thomas Burgherr.
La motion sera soumise au Parlement au plus tôt lors de la session de printemps.