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Analyse

Syrie : Les Alaouites, au pouvoir sous Assad, craignent aujourd’hui pour leur avenir

Alors que le risque des extrémistes islamistes plane, la secte minoritaire du dirigeant déchu redoute des représailles de la majorité syrienne, qui constitue 90 % de la population

Une affiche endommagée du défunt président syrien Hafez Assad surplombe les gradins d’un stade, autrefois utilisé comme poste militaire par l’armée de son fils, le président déchu Bashar el-Assad, à Damas, en Syrie, le 19 décembre 2024. (Crédit : Omar Sanadiki/AP)
Une affiche endommagée du défunt président syrien Hafez Assad surplombe les gradins d’un stade, autrefois utilisé comme poste militaire par l’armée de son fils, le président déchu Bashar el-Assad, à Damas, en Syrie, le 19 décembre 2024. (Crédit : Omar Sanadiki/AP)

Après la victoire éclair des rebelles contre le régime de Bashar el-Assad, le chef rebelle djihadiste islamiste Ahmad al-Sharaa, plus connu sous son nom de guerre Abou Mohammad al-Joulani, a multiplié les efforts pour rassurer les Syriens et la communauté internationale sur le respect des droits des minorités religieuses.

Lors d’une réunion avec des représentants de la communauté druze du pays, il a récemment déclaré qu’il fallait « un contrat social entre l’État et toutes les religions pour garantir la justice sociale ».

Al-Sharaa a également rencontré des responsables religieux des communautés chrétiennes de Syrie, présentes depuis des siècles, pour leur assurer que leur liberté de culte serait respectée.

Le régime Assad s’était lui aussi toujours présenté comme le protecteur des minorités religieuses face à la majorité musulmane sunnite. Cette rhétorique s’était intensifiée après le début de la guerre civile en 2011 et l’émergence de groupes terroristes sunnites comme l’État islamique (EI) et le Front al-Nusra affilié à Al-Qaïda, fondé et dirigé par Al-Sharaa.

Si l’incertitude règne aujourd’hui parmi toutes les minorités religieuses de Syrie, la communauté alaouite – à laquelle appartient le président déchu Assad – est sans doute celle qui a le plus à craindre.

Les Alaouites redoutent principalement deux choses : d’une part, que les rebelles islamistes leur reprochent leur identification présumée au régime Assad et d’autre part, d’être persécutés par les islamistes radicaux qui les considèrent comme des hérétiques pour leur éloignement de l’islam au 9e siècle.

« L’hostilité envers les alaouites est extrêmement virulente et dangereuse », a déclaré Daniel Pipes, historien réputé et spécialiste de l’islam, qui, depuis les années 1980, mène des recherches approfondies et a publié de nombreux articles et ouvrages sur les alaouites syriens.

Un panneau d’affichage sponsorisé par la chambre de commerce et d’industrie de Lattaquié montre des photos du président syrien Bashar el-Assad (à droite) et de son défunt père, l’ancien président Hafez el-Assad, dans la ville côtière de Lattaquié, capitale provinciale et centre de la communauté alaouite du président, le 17 mars 2016. (Crédit : LOUAI BESHARA / AFP)

« Espérons qu’Ahmad al-Sharaa soit un islamiste modéré. Mais j’ai connu [la révolution islamique iranienne menée par Ruhollah] Khomeini. J’ai connu les talibans. Je suis très sceptique », a confié Pipes au Times of Israel.

Cet universitaire est le fondateur et le président du Middle East Forum, une organisation conservatrice basée à Philadelphie.

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Ali, un étudiant alaouite d’une vingtaine d’années originaire de Lattaquié, une ville majoritairement alaouite, a confié au Times of Israel que la majorité de sa communauté s’était détournée du régime Assad ces dernières années en raison de la corruption endémique et de la dégradation des conditions économiques.

« Avec la chute du régime, la communauté alaouite perdra la position de pouvoir qu’elle détenait sous Assad ainsi que les rôles prestigieux qu’elle occupait dans l’armée », a déclaré Ali. « Mais pour la majorité des citoyens, ces avantages étaient inexistants, éclipsés par une corruption omniprésente. »

Les seules exceptions, selon lui, étaient les Alaouites qui avaient des liens étroits avec la famille Assad ou qui appartenaient aux shabiha – des milices loyalistes armées impliquées dans des activités criminelles, notamment la prostitution et la contrebande de drogues. Parmi celles-ci, le captagon, une amphétamine qui a rapporté des milliards au régime et à ses alliés.

Des Syriens déplacés photographiés dans un camp de fortune au milieu de ruines romaines dans la région de Baqirha, au nord-ouest de la Syrie, près de la frontière turque, le 1er novembre 2020. (Crédit : Abdulaziz Ketaz / AFP)

Comme tous les autres Syriens, les Alaouites qui n’étaient pas proches du clan Assad avaient du mal à joindre les deux bouts.

Ali explique que son père, professeur d’université, gagne l’équivalent de 20 dollars par mois, un salaire typique du secteur public, après que la monnaie syrienne a perdu 80 % de sa valeur depuis le début de la guerre civile. Ce montant est largement insuffisant pour subvenir aux besoins d’une famille. Les employés du secteur privé gagneraient environ 60 dollars par mois, mais ils disposent de moins d’avantages sociaux et de pensions moins élevées. Une famille moyenne a besoin de 100 à 200 dollars par mois pour couvrir ses dépenses essentielles.

Pour survivre, de nombreux Syriens dépendent des envois de fonds de leur famille à l’étranger ou prennent un deuxième emploi. Quelques-uns, plus chanceux et bien informés, parviennent à travailler pour des organisations étrangères.

Une secte secrète et marginalisée catapultée au pouvoir

Les Alaouites, une secte dissidente de l’islam chiite depuis le 9e siècle, représentent environ 10 % de la population syrienne, majoritairement sunnite. Contrairement aux sunnites et aux chrétiens, leur nombre n’a pas chuté de manière significative au cours de la guerre civile, en partie parce qu’ils n’ont pas connu la même émigration massive.

La doctrine religieuse et les rituels des Alaouites demeurent très secrets, protégés par les hommes de la communauté et souvent méconnus même des femmes de la secte. Certains observateurs notent des similitudes avec le christianisme, attribuées aux origines géographiques des Alaouites, situées dans une région où les empires byzantins et musulmans interagissaient. Leurs cérémonies religieuses incluraient du pain et du vin, un contraste notable avec l’interdiction de l’alcool dans l’islam sunnite dominant.

Des religieux et des membres de la minorité alaouite de Syrie se réunissent pour une session visant à établir des mécanismes de dialogue avec les nouvelles autorités de Damas dans le village ancestral de la famille Assad à Qardaha, dans la province occidentale de Lattaquié, le 16 décembre 2024. (Crédit : MUHAMMAD HAJ KADOUR / AFP)

Pendant des siècles, les Alaouites, également appelés Nusayris, ont constitué l’un des groupes les plus pauvres et les moins instruits de Syrie, qui vivait principalement dans des villages ruraux le long de la côte.

Leur sort a changé après la Première Guerre mondiale, lorsque les autorités coloniales françaises leur ont ouvert des opportunités dans l’armée. Les Alaouites sont ainsi devenus une base essentielle pour les troupes françaises et ont bénéficié d’une certaine autonomie sur la côte syrienne entre 1922 et 1936, à l’instar des Druzes dans le sud du pays.

La doctrine religieuse et les rituels des Alaouites demeurent très secrets, protégés par les hommes de la communauté et souvent méconnus même des femmes de la secte

Après l’indépendance de la Syrie en 1946, les Alaouites ont continué d’être marginalisés sur le plan social, mais ils ont conservé une présence significative dans l’armée. Les luttes internes au sein de l’élite sunnite ont permis aux Alaouites de grimper les échelons du parti Baas socialiste, jusqu’au coup d’État de Hafez el-Assad en 1970. Ce dernier, le dixième en dix-sept ans, a marqué le début de la domination alaouite sur la Syrie, qui a duré plus de cinquante ans.

« La montée au pouvoir des Alaouites a été l’événement le plus important de l’histoire de la Syrie au 20e siècle », affirme Pipes. « C’est l’équivalent d’un Juif devenant tsar de Russie ou d’un intouchable accédant au rang de maharaja en Inde. À l’époque, c’était tout simplement inconcevable ».

La majorité sunnite, qui nourrit depuis longtemps un ressentiment envers le régime alaouite, a constitué le cœur de l’opposition au pouvoir d’Assad. L’essor de groupes islamistes comme l’État islamique (EI) et Al-Qaïda a exacerbé de façon spectaculaire les tensions religieuses sous-jacentes.

En 2013, des groupes armés ont tué au moins 190 civils dans des villages alaouites, selon les Nations unies. En 2015, l’EI a procédé à des exécutions publiques d’hommes alaouites accusés de combattre pour le régime, tandis d’autres Alaouites, hommes, femmes et enfants, ont été enlevés et utilisés comme monnaie d’échange pour des prisonniers.

Photo d’archives non datée montrant des combattants de l’État islamique d’Irak et du Levant (État islamique, EI), une organisation issue d’Al-Qaïda, marchant en Syrie, publiée sur un site web militant le 14 janvier 2014. (Crédit : AP)

Espoirs et incertitudes dans une nouvelle ère pour la Syrie

Pour l’instant, le calme règne à Lattaquié, selon Ali. Lorsque les groupes rebelles islamistes ont pénétré dans la ville le 8 décembre, il est resté cloîtré chez lui pendant deux jours, craignant les balles perdues tirées par les habitants en guise de célébration.

Bien que les craintes d’une imposition de la loi islamique persistent, les informations divergent. « On rapporte que des rebelles sont entrés dans des magasins d’alcool pour briser des bouteilles ou qu’ils ont demandé à des femmes de se couvrir les cheveux, mais cela semble être des initiatives individuelles plutôt qu’une politique officielle de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) », explique Ali, en référence au principal groupe djihadiste dirigé par Ahmad al-Sharaa. « À Damas, j’ai vu qu’ils vendaient encore de l’alcool, ce qui est rassurant. »

Il reconnaît cependant la vulnérabilité de la communauté alaouite en raison de ses liens historiques avec l’armée. « À Lattaquié, chaque famille comptait deux ou trois hommes dans l’armée. Pour les Alaouites pauvres et sans éducation, rejoindre l’armée était le seul moyen d’améliorer leurs conditions de vie », explique Ali.

« Aujourd’hui, nous avons peur de dirigeants que nous ne connaissons pas, mais nous vivions déjà dans la peur auparavant. Les alaouites ne pouvaient pas dire en public qu’ils s’opposaient à Assad, sous peine d’être considérés comme des traîtres », a-t-il ajouté.

Leyla, une ingénieure alaouite, dans la cinquantaine, qui a demandé d’utiliser un pseudonyme pour des raisons de sécurité, a confié au Times of Israel qu’elle craignait que « les factions [rebelles] se disputent le pouvoir et que le chaos ne l’emporte ». Elle a ajouté qu’elle avait du mal à croire « qu’une organisation et une idéologie extrémistes se transforment soudainement en Mahatma Gandhi ».

« Toutes les minorités exigent maintenant une nouvelle constitution qui établisse l’État de droit, préserve les droits de tous les citoyens et n’exclue aucun parti. La religion appartient à Dieu, et la patrie nous appartient à tous », a déclaré Leyla.

La destruction par Israël de 80 % des capacités militaires syriennes a également amplifié le sentiment d’insécurité généralisé, certains craignant que le pays, désormais affaibli, ne devienne vulnérable à une prise de contrôle par la Turquie voisine.

Ali reste cependant prudemment optimiste. « Dans le passé, je voulais quitter la Syrie parce que la situation était si mauvaise. Aujourd’hui, je suis sûr à 90 % que l’avenir sera meilleur. La plupart des gens ne sont pas d’accord avec moi, mais j’ai bon espoir. »

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