« Taglit pour mamans » fait vibrer les petites communautés juives du monde
Le Jewish Women’s Renaissance Project réunit des participantes de Sydney à San Francisco, mais le voyage prend tout son sens lorsqu'il touche des femmes issues de pays pauvres et antisémites

ATHÈNEs, Grèce (JTA) – Errika Abouaf raconte comment, il y a douze ans, en préparant son mariage, elle était ravie de sauter l’étape du mikvé, le bain rituel dans lequel s’immergent les mariées juives avant de se marier religieusement.
Son excuse ? La minuscule communauté juive de Larissa au nord de la Grèce ne disposait pas de mikvé.
« Mais c’est aussi parce que je n’avais pas très envie de le faire », ajoute Abouaf, qui vit désormais à Athènes avec son mari et son fils. « J’en ai éprouvé une certaine aversion ».
C’est un sentiment répandu dans un pays qui a vu mourir 87 % de sa population juive durant la Shoah. Les 5 000 membres des communautés juives de Grèce aujourd’hui perçoivent leur identité juive comme principalement culturelle et indépendante de la religion, selon les chefs des communautés.
Mais la perspective d’Abouaf a quelque peu évolué l’an dernier, après s’être rendue pour la première fois dans un mikvé en Israël, dans le cadre du Jewish Women’s Renaissance Project. Le groupe, fondé en 2008, organise des voyages subventionnés d’une semaine en Israël destinés à rapprocher du judaïsme des femmes non-pratiquantes de Diaspora, une sorte de « Taglit pour mamans ». Des milliers de femmes ont participé à ces voyages, qui rassemblent chacun environ 400 femmes.
« Ce voyage m’a changée, et a changé ma peur du judaïsme », évoque Abouaf.
« Ce voyage m’a changé, et a changé ma peur du judaïsme »
Les excursions sont connues des communautés juives de Sindey à San Francisco, et les participantes les décrivent comme des expériences qui réunissent et valorisent les femmes, sans parler de la pause tant attendue dans la monotonie de leur vie de maman.
Mais il semblerait que ces voyages aient un effet particulièrement marqué chez les femmes issues de petites communautés fragiles, dans lesquelles les mères sont confrontées à une incertitude concernant la viabilité de l’éducation juive de leurs enfants.
« Les juifs turcs n’ont pas beaucoup d’options de voyages à part Israël, ce n’est pas New York », explique Suzette, mère de deux enfants et organisatrice des voyages du groupe Renaissance à Istanbul, qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité. « Quand on va en Israël, c’est pour des raisons familiales. Une visite de groupe en Israël, c’est une façon de se connecter au pays, c’est rare, et c’est riche de sens. »

Abouaf s’est rendue en Israël l’an dernier, avec 15 autres participantes grecques, dans un voyage organisé par le groupe. Elles y ont rencontré des femmes d’autres pays. Elle était déjà venue en Israël à deux reprises, mais n’avait pas vu du pays, car les deux voyages étaient consacrés à une formation pour devenir garde bénévole dans sa communauté. Le mur Occidental lui a fait monter les larmes aux yeux, mais les accolades des autres femmes du groupes n’ont pas été moins puissantes.
« Elles n’ont pas demandé ce qui n’allait pas, elle nous enlaçaient toute la journée », se souvient Abouaf.
En plus du lien avec les lieux juifs et les traditions, Abouaf raconte qu’elle appréhendait le pays comme une éventuelle alternative à la Grèce, où l’ascension de l’extrémisme politique et les effets persistants de la crise économique deviennent inquiétants.
Selon une enquête menée par la Ligue Anti-Diffamation (ADL) en 2015, la Grèce est le pays le plus antisémite d’Europe, avec 67 % de la population qui exprime un sentiment d’antisémitisme. C’est également le seul pays européen avec un parti d’extrême droite, Aube dorée, et le discours de ce parti fait écho à l’Allemagne nazie.
Le drapeau d’Aube dorée représente une variation de la croix gammée sur un fond rouge. Le parti détient 18 sièges sur 300 au Parlement grec, et ses dirigeants se sont attaqués aux juifs. Le porte-parole du parti Ilias Kassidiaris, arbore une croix gammée tatouée et Christos Pappas, le numéro deux du gouvernement, a déclaré en 2014 que les Grecs sont les « éternels ennemis » d’Israël.
« Je ne vois aucun avenir pour Elias ici », explique Abouaf en évoquant son fils de 10 ans, qui fréquente la seule école juive de la ville située dans la capitale. « Quand j’étais en Israël avec le Renaissance Project, pour la première fois, je regardais le pays en me demandant si je pourrais y vivre, ce que ma famille pourrait y faire. »
Lori Palatnik, directeur fondateur du Jewish Women’s Renaissance Project, a déclaré que ces voyages jouent un rôle central dans le soutien des communauté qui sont confrontés à un antisémite croissant.
« Je ne vois aucun avenir ici »
« Faire venir des femmes de pays comme la Turquie ou la Grèce, qui luttent contre un nouvel antisémitisme, c’est essentiel pour que ces communautés juives aient la force de rester en vie », explique Palatnik.
Ce voyage est destiné aux femmes qui ne respectent pas le Shabbat, bien que certaines participantes ont assuré que leur inscription avait été prise en compte bien qu’elles soient observantes. La plupart des participantes ne sont pas pratiquantes et le groupe, qui est associé au groupe de diffusion du judaïsme Aish Hatorah, vise à les rapprocher du judaïsme, ont expliqué les organisateurs.
En Grèce, le projet est géré par Nechama Hendel, une émissaire du mouvement Habad originaire de France, qui a récemment participé avec Abouaf et d’autres femmes, à des cérémonies de préparations de pains à Athènes. Les femmes ont pétri et tressé des hallot comme elles l’avaient appris durant un atelier en Israël.
« Faire venir des femmes de pays comme la Turquie ou la Grèce, qui luttent contre un nouvel antisémite, c’est essentiel pour que ces communautés juives aient la force de rester en vie. »
« Tous les membre de la communauté juive turque s’est rendue en Israël, mais rarement en groupe », explique Betty, l’une des deux bénévoles qui a aidé a organisé le voyage en Turquie.
« Nous n’avons pas les fonds des groupes d’études, des missions et des délégations qui viennent d’Amérique. Donc c’est une opportunité rare pour nous, de pouvoir renforcer notre attachement à Israël et entre nous. »
Betty et Suzette sont spéciales dans leur communautés, parce qu’à l’inverse de la plupart des juifs turcs, elles respectent le Shabbat. Et pourtant, le voyage en Israël a renforcé la résolution de Suzette d’observer le Shabbat en dépit de la tentation de transgresser la loi religieuse en allumant la télévision ou en prenant le volant.

Les voyages en Israël sont chers pour les juifs turcs. En Turquie, le salaire moyen est de 340 dollars. Tous les frais du voyage du Renaissance Project sont pris en charge, à l’exception du billet d’avion.
Pour Dvir Kahana, le directeur général du ministère de la Diaspora, qui finance en parti ces voyages, ces derniers « ont le pouvoir d’affecter de façon drastique le futur des juifs de petites communautés telles que la Grèce et la Turquie ».
Il ajoute qu’il est conscient « du défi que représente la maintenance de la vie juive hors d’Israël, et spécialement dans les petites communautés », et déclare qu’Israël est « fier de donner à des femmes d’horizons différents cette opportunité remarquable de renforcer leur identité juive… [et] de la transmettre à leurs enfants. »
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