Trois bronzes d’Hadrien réunis pour une exposition stupéfiante au Musée d’Israël
Une collaboration unique avec le Louvre et le British Museum permet à une inscription monumentale en l’honneur de l’empereur de rejoindre Jérusalem après 1 700 ans
Pour la première fois depuis que son règne s’est achevé il y a 1 800 ans, trois sculptures en bronze de l’empereur romain Hadrien – un homme à la fois vénéré et insulté – sont visibles au musée d’Israël depuis mardi, dans l’exposition finale marquant le 50e anniversaire de l’institution.
Les trois têtes de bronze – l’une des collections du musée d’Israël retrouvée dans le nord d’Israël, l’une du British Museum retrouvée au fond de la Tamise, et la troisième venant du Louvre, à Paris – différent légèrement dans leur représentation de l’empereur, et éclairent un personnage dont l’héritage a de multiples facettes.
Hadrien – ou Publius Aelius Hadrianus – a régné sur l’Empire romain à son apogée, de 117 à 138 après Jésus-Christ, et était vénéré par les historiens romains contemporains comme l’un des cinq bons empereurs : un souverain juste, un pacificateur, et un grand architecte de l’Empire.
Le mur qu’il a construit le long de la frontière avec l’Ecosse porte encore son nom aujourd’hui. Mais dans la mémoire juive, Hadrien est plutôt connu comme un dictateur brutal qui a écrasé la révolte de Bar Kochba en 13, tué des centaines de milliers de juifs, reconstruit Jérusalem telle une ville païenne, interdit la circoncision et changé le nom de la Judée en Palestine.
Alors qu’il y a des centaines de représentations d’Hadrien sculptées dans le marbre, les trois bronzes sont les seuls survivants de l’antiquité. Chacun est unique, et l’exposition du musée d’Israël offre aux visiteurs et aux chercheurs une opportunité d’examiner les trois portraits de près et côte-à-côte pour la première fois.
« Nous utilisons les différences dans l’apparence pour parler des différents chemins que regarde Hadrien », a expliqué David Mevorach, conservateur de l‘archéologie hellénistique, romaine et byzantine.
« C’est pour cela que nous avons choisi d’utiliser en toile de fond le mur d’Hadrien, où il est admiré et vu comme un souverain idéal. »
La statue du musée d’Israël, la pièce centrale de l’exposition, est « absolument stupéfiante » et « exceptionnelle », et probablement la plus fidèle au modèle présumé sur laquelle la ressemblance officielle à l’empereur est basée, selon Thorsten Opper, conservateur des sculptures grecques et romaines au British Museum.
Elle a visité le British Museum en 2008 pour une exposition, dont le conservateur était Opper, intitulée Hadrien : Empire et conflit.
Le buste, retrouvé à Tel Shalem, près de la ville du nord israélien de Beit Shean, est de loin la plus réaliste des trois : l’empereur porte une armure magnifique avec une scène de bataille sur la poitrine, sa barbe est plus complète et teintée de vert-de-gris, sa contenance apparaît adoucie par l’âge, et il arbore un air philosophe malgré sa pose martiale.
Deux plis en diagonales sont sur ses lobes d’oreilles, des rides dont les médecins modernes suggèrent qu’elles seraient des marqueurs d’une maladie des artères coronaires (qui aurait pu frapper Hadrien quand il avait 60 ans).
La qualité de la fabrication de la statue suggère qu’elle a pu être réalisée à Rome ou dans un autre centre majeur, mais les universitaires ne savent pas où avec certitude.
« Le bronze a une qualité différente », a expliqué Opper, parlant des trois Hadrien comme « des œuvres d’art précieuses, incroyablement rares ».
« C’était vraiment le matériau le plus prestigieux pour ce genre de statue. »
Le Hadrien du British Museum semble plus jeune, sa barbe distinctive coupée de près, son regard sévère ne cille pas – en partie parce que les iris en verre, qui ont autrefois été placé dans le bronze teinté au charbon, sont manquants. Comme la statue de Tel Shalem, il se tenait autrefois sur un corps plus grand qu’en réalité.
« Il semble très provincial, très étranger, parfois », a déclaré Opper à propos de la statue prêtée par Londres. « Il semble qu’il y a un langage artistique différent derrière lui. »
La tête a été retrouvée en 1834 pendant la construction du nouveau point de Londres, sur le site de l’ancien pont romain. La couronne d’Hadrien y est frappée, et la statue a pu être jetée dans la Tamise comme un acte de défiance – un rappel que ce ne sont pas simplement des pièces d’art, mais aussi des objets de propagande et des projections du pouvoir de l’Etat.
« Il me semble que c’est une action délibérée », a dit Opper.
Le Hadrien du Louvre porte des similarités frappantes avec celui retrouvé à Tel Shalem, et les chercheurs pensent – en se basant sur son style – qu’il a également été sculpté quelque part à l’est de l’Empire. Le bronze est un peu plus large que les deux autres, a une teinte rougeâtre chaleureuse, en contraste absolu avec la pièce du British Museum, et le nez d’Hadrien présente un léger crochet particulier, absent des deux autres modèles.
« Générallement, Hadrien, dans le reste de l’Europe, est le grand pacificateur et est intéressé par l’architecture et la culture », a expliqué Opper.
Aux côtés des visages d’Hadrien se trouvent deux inscriptions monumentales érigées à Jérusalem par les soldats de la 10e légion Fretensis en l’honneur d’Hadrien deux ans avant le déclenchement de la révolte de Bar Kochba en 132 après Jésus-Christ – rassemblées pour la première fois depuis l’antiquité.
La première moitié a été découverte à la fin du 19e siècle par l’archéologue français Clermont Ganneau (également connu pour avoir trouvé les inscriptions d’avertissement du mont du Temple), et est hébergée au monastère franciscain de la flagellation dans la Vieille Ville de Jérusalem.
La seconde moitié, retrouvée l’année dernière par des archéologues israéliens, était utilisée en haut d’une citerne byzantine pendant des fouilles sauvages à Jérusalem est.
La construction du monument témoigne de l’héritage d’Hadrien comme grand bâtisseur de Rome, ayant été érigé après que Jérusalem a été reconstruite après sa destruction en 70 après Jésus-Christ. Mais au final son arrivée a aidé à précipiter la révolte de Bar Kochba et le bain de sang consécutif.
Contrastant avec le monument, un panorama du désert de Judée – où les rebelles juifs étaient retranchés pendant que les légions de Rome étouffaient le soulèvement sanglant, avec des objets retrouvés dans des grottes habitées par les combattants de Bar Kochba – offre l’autre côté de la pièce.
« C’est ici qu’il a écrasé la rébellion… et finit par assassiner plus d’un demi million de personnes, changeant la face de la Judée », a expliqué Mevorach. La rébellion a été un tournant traumatisant dans les histoires juive et romaine. Il a fallu plus de quatre ans et sept légions pour l’écraser.
« Il a fini par effacer la Judée de la carte », changeant le nom de la province en Syrie Palestine à la suite de la révolte, a explique Mevorach. Hadrian a aussi renommé Jérusalem, d’après son propre nom – Aelia Capitolina. Ces deux changements sont préservés aujourd’hui dans les noms arabes de la région et de Jérusalem – Palestine et Iliya.
Pointant la barbe iconique d’Hadrien – il a été le premier empereur romain à en arborer une – Opper a noté que la signification des poils faciaux de l’empereur a évolué avec notre compréhension de l’homme.
« Les Victoriens soulignaient qu’il est l’homme fasciné par la culture grecque, et qu’il s’agit d’une barbe de philosophe », a dit Opper.
Sur l’un des murs de la galerie se trouve la traduction de 1806 de Lord Byron d’un poème qui reflète Hadrien le penseur, Anima, Vagula, Blandula, écrit pendant son agonie.
« Maintenant nous pensons que cela a plus à voir avec son moment militaire. En fait, il ressemble à un militaire endurci, expérimenté, dur », selon Opper.
« A chaque âge nous trouvons notre propre Hadrien », a-t-il continué. Chacune des statues exposées « apporte quelque chose sur la table, et c’est cela que j’aime bien, et qui rend l’exposition formidable ».
« Les voir individuellement dans trois musées différents ne m’aurait pas donné ça », a ajouté Opper.
En plus de l’exposition, les chercheurs de l’université hébraïque ont réalisé des scans 3D des trois sculptures, permettant une étude plus détaillée des similarités et des différences des pièces d’art et de « nouvelles compréhensions », a dit Mevorach.
Les trois Hadrien sont le projet final de l’objectif du musée d’Israël d’associer quelques unes de ses pièces d’art avec les pièces correspondantes du monde entier.
En mai, le musée a emprunté un manuscrit enluminé du Mishneh Torah de Maimonide au Vatican, l’un des deux volumes séparés il y a des siècles, l’autre étant possédé par le musée d’Israël.
Le Rijksmuseum d’Amsterdam a également prêté le tableau de Rembrandt « Jérémie se lamentant de la destruction de Jérusalem » pour être exposé aux côtés du « Saint Pierre en prison » du musée d’Israël, peinte à un an d’écart et utilisant le même modèle.
Le directeur du musée d’Israël, James Snyder, a déclaré que le concept était d’apporter « des prêts de propriétés emblématiques d’institutions sœurs » pour démontrer « la collégialité et les relations de notre musée avec les musées majeurs dans le monde entier », ainsi que de « rassembler en couple ou en trio ces prêts avec des pièces de notre collection ».
« Quand vous pouvez prendre trois choses et raconter une histoire, une histoire puissante, c’est la chose la plus incroyable que vous pouvez faire pour le grand public », a-t-il déclaré avant l’ouverture de l’exposition.
Rassembler ces trois statues permet aussi de rassembler les trois institutions ensemble au milieu d’appels croissants en Europe à un boycott culturel d’Israël.
« En ces temps de montée des frontières et des conflits, je pense que la collaboration entre des institutions culturelles majeures est plus importante que jamais », a déclaré Opper.
L’exposition a ouvert au public le 22 décembre 2015 et continuera jusqu’en juin 2016. Le musée envisagerait d’envoyer l’exposition en tournée à Paris et à Londres après.
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