Trudeau a perdu la confiance d’une grande partie de la communauté juive du Canada
Au cours de l'année écoulée, l'inaction contre l'antisémitisme et le manque de soutien à Israël en temps de guerre du Premier ministre démissionnaire avaient fait l'objet de vives critiques
JTA – Justin Trudeau a annoncé lundi sa démission prochaine de ses fonctions de chef de gouvernement et de dirigeant du Parti libéral, une décision motivée par la chute de sa popularité dans les sondages et la dissidence croissante parmi ses propres députés, une décision qui intervient dans un contexte de critiques sévères de la part de dirigeants juifs canadiens, qui lui reprochent son manque de soutien à Israël et son incapacité à lutter efficacement contre l’antisémitisme.
Trudeau a précisé qu’il resterait Premier ministre intérimaire jusqu’à ce que son parti élise un nouveau chef. Le Parlement canadien sera temporairement suspendu jusqu’en mars pour permettre au Parti libéral de mener un processus de vote populaire avant cette échéance.
Les prochaines élections fédérales canadiennes sont prévues avant octobre, et le Parti conservateur, en plein essor, tente activement d’obtenir le soutien des électeurs juifs canadiens affichant un soutien affirmé à Israël et en prenant des positions fermes contre l’antisémitisme.
« J’ai l’intention de démissionner en tant que chef de parti et Premier ministre une fois que le parti aura élu un nouveau dirigeant à l’issue d’un processus national robuste et compétitif », a déclaré Trudeau lors d’une conférence de presse devant sa résidence officielle à Ottawa.
« Ce pays mérite un véritable choix lors des prochaines élections, et il est devenu clair pour moi que si je dois mener des batailles internes, je ne pourrai pas être la meilleure option pour diriger ce parti dans cette campagne. »
Trudeau, arrivé au pouvoir fin 2015, a cherché à mettre en œuvre un programme libéral ambitieux, et remporté deux réélections consécutives. Cependant, sa popularité a chuté ces derniers mois en raison des préoccupations croissantes liées à l’inflation et à l’immigration. Un sondage récent indique que la grande majorité des Canadiens soutiennent sa décision de démissionner.
La récente démission de son vice-premier ministre, invoquant un manque de confiance dans son leadership, a déclenché une série de bouleversements au sein du parti libéral, exacerbant encore la crise interne qui secoue le gouvernement Trudeau.
Les communautés juives canadiennes, comme celles d’autres diasporas occidentales, ont été confrontées à une hausse alarmante de l’antisémitisme au cours de l’année écoulée, depuis le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas dans le sud d’Israël au cours duquel les terroristes du groupe ont assassiné plus de 1 200 personnes, et en ont kidnappé 251 pour les emmener en otages à Gaza, déclenchant la guerre en cours.
Depuis ces événements, de nombreuses synagogues et écoles juives situées dans les régions de Toronto et de Montréal ont été la cible d’actes violents, notamment des fusillades, des jets de pierres et des attaques au cocktail Molotov. Des alertes à la bombe ont également visé d’importants groupes juifs canadiens, reflétant une escalade des tensions. Par ailleurs, des universités, des centres culturels et des groupes communautaires au Canada — à l’instar de leurs homologues américains — ont été profondément divisés sur la question d’Israël, suscitant des troubles internes.
Les représentants de B’nai Brith Canada et du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, deux grands groupes juifs canadiens, n’ont pas répondu aux demandes de commentaires sur la démission de Trudeau. À la mi-journée lundi, aucun des deux groupes n’avait publié de déclaration officielle. Cependant, tous deux avaient précédemment exprimé leur frustration face à la position adoptée par Trudeau et son parti concernant Israël et l’antisémitisme.
« Honte à vous, Justin Trudeau », avait publié B’nai Brith Canada sur les réseaux sociaux le mois dernier, en réaction à la décision du Canada de soutenir une résolution de l’ONU critiquant les actions israéliennes et les implantations en Cisjordanie. Ce vote marquait un changement significatif par rapport à la politique traditionnellement du Canada
À la suite d’une violente manifestation pro-palestinienne à Montréal l’automne dernier, le CIJA a publié un communiqué dans lequel on pouvait lire, « Des incendies ont été allumés, des commerces ont été vandalisés, et les Canadiens juifs se sont une fois de plus sentis en danger dans leur propre pays. Nos dirigeants politiques doivent cesser d’excuser l’extrémisme. La police doit faire respecter la loi. Et tous les Canadiens doivent prendre l’antisémitisme au sérieux — MAINTENANT. »
Trudeau a condamné cette manifestation ainsi que d’autres incidents similaires, les qualifiant d’antisémites. En juillet 2024, il a nommé le député juif Anthony Housefather au poste de conseiller du gouvernement pour les relations avec la communauté juive. En décembre, son gouvernement a également annoncé la création d’un forum national visant à lutter contre l’antisémitisme.
L’élection partielle qui s’est tenue l’été dernier dans le centre de Toronto a été un signe précurseur de l’érosion du soutien de la communauté juive à Trudeau. Ce bastion traditionnellement libéral, qui abrite une importante population juive, a choisi d’élire un candidat du Parti conservateur.
Durant ses premières années en tant que Premier ministre, Trudeau avait multiplié les gestes en faveur de la communauté juive. Après la fusillade dans une synagogue de Pittsburgh en 2018, il avait présenté des excuses au nom du Canada pour avoir refoulé, en 1939, le MS St. Louis, un navire transportant plus de 900 réfugiés juifs fuyant l’Allemagne nazie, qui avait également été rejeté par les États-Unis et d’autres pays.
En 2021, son gouvernement s’était engagé à verser plus de 5 millions de dollars pour renforcer la sécurité des institutions communautaires juives. Cette même année, il avait nommé le tout premier envoyé spécial du Canada pour la lutte contre l’antisémitisme.
Un incident embarrassant a toutefois eu lieu peu avant le 7 octobre, lorsque le président de la Chambre des communes, membre de son parti, a démissionné après avoir rendu hommage à un collaborateur nazi ukraino-canadien et organisé sa rencontre avec le président ukrainien d’origine juive, Volodymyr Zelensky.
Pourtant, dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, Trudeau et son gouvernement se sont montrés plus critiques à l’égard de la gestion de la guerre à Gaza par Israël que leurs homologues américains. En février dernier, Trudeau avait publié une déclaration conjointe avec les Premiers ministres australien et néo-zélandais, appelant à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat » à Gaza et exhortant Israël à ne pas envahir la ville de Rafah dans le sud de l’enclave, une offensive qui a été lancée plusieurs mois plus tard.
Début mars, le Canada a rétabli le financement de l’UNRWA, l’agence principale des Nations unies dédiée à l’aide aux Palestiniens de Gaza. Ce financement avait été suspendu par de nombreux pays à la suite d’accusations selon lesquelles plusieurs membres de son personnel auraient été impliqués dans le pogrom du 7 octobre. Par ailleurs, le ministre canadien des Affaires étrangères avait annoncé, l’année dernière, la suspension des exportations d’armes vers Israël.
Les autorités fiscales canadiennes ont également révoqué, sous le mandat de Trudeau, le statut d’organisation caritative de deux grandes organisations pro-Israël opérant dans le pays. Cette décision a provoqué la colère de nombreux Juifs locaux et a donné lieu à des poursuites judiciaires. Les militants anti-israéliens et propalestiniens ont salué cette décision et affirmé que les organisations soutenant l’armée israélienne et le mouvement d’implantation ne devraient pas être déductibles des impôts.
En outre, un commissaire canadien aux droits de l’Homme a démissionné avant même de prendre ses fonctions l’été dernier, à la suite d’une controverse liée à des publications sur les réseaux sociaux dans lesquelles il comparait la situation des Palestiniens à celle des Juifs du ghetto de Varsovie.
Des groupes juifs de gauche ont également critiqué le parti de Trudeau, estimant qu’il n’a pas adopté une position suffisamment ferme contre les actions d’Israël dans la bande de Gaza. Tout en saluant la révocation du statut d’organisme de bienfaisance de deux groupes pro-israéliens, le groupe antisioniste Independent Jewish Voices of Canada a « occupé » le Parlement le mois dernier pour exiger que le Canada mette fin définitivement aux livraisons d’armes à Israël. Selon eux, ces livraisons continueraient à se faire par le biais de failles juridiques et d’accords préexistants, en dépit de l’annonce officielle du ministre des Affaires étrangères.
À l’approche des élections, le chef du Parti conservateur canadien, Pierre Poilievre, espère accéder à la plus haute fonction du pays. Depuis le 7 octobre, il a intensifié ses efforts pour séduire l’électorat juif en prononçant des discours dans des synagogues et en adoptant une rhétorique pro-Israël énergique.
Lors de la cérémonie marquant le premier anniversaire du pogrom du 7 octobre, à laquelle Trudeau a également pris la parole, Poilievre a accusé le gouvernement libéral d’être responsable de la montée de l’antisémitisme dans le pays. Son discours a été accueilli par des applaudissements plus nourris que ceux reçus par le Premier ministre sortant.
En avril, lors d’un discours prononcé dans une synagogue orthodoxe de la région de Montréal, Poilievre, originaire de Calgary, s’est décrit comme « un simple goy des Prairies » qui avait fait de l’auto-stop en Israël durant sa jeunesse. Il a également raconté l’histoire de Pourim, ce qui lui a valu une ovation de la part de l’audience. Sa vice-présidente, Melissa Lantsman, qui est juive, a également pris la parole lors d’un rassemblement pro-israélien à Ottawa en décembre 2023.
Dans une interview récemment publiée avec le psychologue canadien controversé Jordan Peterson, figure emblématique des milieux conservateurs, Pierre Poilievre a déclaré qu’un de ses modèles économiques pour l’avenir du Canada était « Israël après les années 1990, devenant [une] Startup Nation ».