Un critique du sionisme devient professeur d’études juives à la Harvard Divinity School
Les détracteurs de la prise en charge de l'antisémitisme de la part de l'université dénoncent la nomination de Shaul Magid, un "antisioniste" qui riposte en affirmant qu'il pense pouvoir rétablir "un équilibre"

JTA — Sous la pression de l’administration Trump, l’université de Harvard – qui est notamment pointée du doigt pour sa gestion de l’antisémitisme sur son campus – a annoncé, la semaine dernière, la nomination de Shaul Magid au poste de professeur d’études juives modernes permanent à la Harvard Divinity School.
Il s’agit d’un nouveau poste pour cette école – l’établissement est un centre non-confessionnel dédié à l’étude des religions. Magid y était enseignant en tant qu’intervenant depuis deux ans, alors qu’il était en congé du Dartmouth College.
Si Magid est un éminent spécialiste de la pensée juive, sa nomination à ce nouveau poste a suscité la controverse parmi certains observateurs appartenant à la communauté en raison du positionnement qu’il revendique et qu’il qualifie de « contre-sionisme ». Dans un livre publié en 2023, The Necessity of Exile, il soutenait que si le sionisme était autrefois une idéologie nécessaire, Israël est depuis devenu un État dominé par les Juifs qui fait obstacle à l’égalité de tous ses citoyens.
Des voix éminentes qui ont critiqué la manière dont Harvard a pris en charge les accusations d’antisémitisme lancées à son encontre ont déclaré regretter que la Harvard Divinity School ait promu un « antisioniste » plutôt que d’ajouter à son corps professoral une personne qui soutient Israël.
« Shaul Magid est un être humain aimable et un éminent spécialiste des textes juifs, notamment du hassidisme », a écrit sur X le rabbin David Wolpe, qui a siégé au sein du groupe consultatif sur la question de l’antisémitisme qui avait été établi sein de Harvard avant de démissionner. « Je suis en profond désaccord avec son positionnement sur Israël et j’aurais souhaité que la HDS nomme une personnalité dont les opinions reflètent celles de la communauté juive dans son ensemble ».
Shabbos Kestenbaum, qui est diplômé de la Harvard Divinity School et qui a critiqué avec âpreté la réponse apportée par Harvard aux manifestations pro-palestiniennes qui ont suivi l’attaque sanglante qui avait été commise par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, a évoqué la nomination de Magid en parlant d’une occasion manquée.
« J’ai un immense respect pour le professeur Magid », a déclaré Kestenbaum au New York Sun. « Je me demande toutefois pourquoi, dans une école aux longs antécédents d’antisémitisme, il n’y a toujours pas de voix favorable au sionisme normatif, qui est au cœur de l’identité religieuse de la grande majorité des Juifs américains. »
L’organisation Camera, qui se penche sur les médias et qui se situe plutôt à la droite de l’échiquier politique, a également critiqué cette nomination, écrivant que « en matière de redressement de la qualité académique et en matière de lutte contre l’antisémitisme, les actions de Harvard continuent de contredire ses nobles promesses ».
De leur côté, les partisans de la nomination de Magid ont salué son érudition, tout en reconnaissant qu’ils n’étaient pas d’accord avec son positionnement sur le sionisme. Dans un message qui a été publié sur Facebook, Yehuda Kurtzer, président du Shalom Hartman Institute – où Magid était auparavant chercheur – a déclaré que les détracteurs de la nomination de Magid avaient tort de le considérer « comme un ennemi ».
« Il n’y a aucun endroit, sur la planète, où Shaul devrait être considéré comme indigne d’une nomination universitaire, quelle qu’elle soit – je le dis honnêtement », a écrit Kurtzer. « Il l’a méritée grâce à ses travaux universitaires et il n’a pas besoin de mon approbation sur ce sujet ».
Dans le même temps, Kurtzer, qui a déclaré que Hartman s’était « distancié » de Magid en raison de divergences idéologiques, a appelé la Harvard Divinity School et d’autres universités à rechercher un équilibre dans leurs recrutements afin d’inclure des penseurs sionistes sur les campus.
« Israël et le sionisme peuvent être des idées controversées sur le campus, comme beaucoup d’autres idées qui font polémique, elles aussi, et ces deux sujets peuvent être enseignés et débattus de manière à permettre aux étudiants qui y adhèrent de s’épanouir sans se sentir en insécurité ou menacés », a ajouté Kurtzer dans son post. « Dans une telle vision de l’avenir, Shaul fait partie de la solution, et non du problème ».
Dans une interview accordée à la JTA, Magid a déclaré qu’il pensait lui aussi que sa nouvelle nomination pourrait tenir un « rôle d’équilibrage » à un moment où Harvard fait l’objet d’une surveillance accrue en raison des accusations portant sur l’antisémitisme qui sévit sur son campus.
« Je pense que le rôle que je peux jouer est celui d’une personne qui, franchement, connaît bien le sujet et qui dialogue avec des étudiants issus de très nombreux horizons », a-t-il déclaré.
« Je pense que je peux jouer un rôle, car je viens d’un milieu particulier qui fait partie de la gauche juive, et je le dis avec fierté, mais je dialogue avec des personnes avec lesquelles je ne suis pas d’accord et j’écris sur des personnalités et sur des idées avec lesquelles je ne suis pas non plus particulièrement d’accord », a ajouté le professeur. « Je pense que je peux jouer un rôle d’équilibrage, d’une certaine manière ».
Magid a indiqué que si l’antisémitisme à Harvard était un problème qui devait être abordé, les critiques à l’égard de sa nomination semblaient être une « tactique d’intimidation ».
« Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes liés à l’antisémitisme », a continué Magid, « mais je pense simplement que cela sert de prétexte pour dire… ‘Nous voulons que vous embauchiez le bon type de Juif’. Vous voyez ? »
La nomination de Magid à ce nouveau poste à Harvard a eu lieu alors que l’université fait face à une série de menaces croissantes de la part du gouvernement fédéral – officiellement en raison de sa réponse à l’antisémitisme qui a pu s’exprimer sur le campus. La bataille entre Harvard et l’administration Trump a été marquée par des coupes budgétaires fédérales de plusieurs milliards de dollars, par un procès intenté par l’université et par des efforts livrés par le président américain qui ont visé à révoquer le statut d’organisme à but non-lucratif de l’université. Le mois dernier, l’administration Trump a interdit à l’université de Harvard de permettre aux étudiants internationaux de suivre ses cursus.
Magid a expliqué que, s’il a constaté des expressions d’antisémitisme lors des manifestations pro-palestiniennes qui avaient été organisées sur le campus de l’université Columbia, il ne pensait pas que ce sentiment était présent dans les mouvements de protestation de Harvard.
« Ces gens protestent contre une guerre. Ils protestent contre le massacre d’enfants. Je conviens que certains discours frôlent l’antisémitisme, mais il est tout simplement scandaleux de conclure que ces manifestations sont, par définition, antisémites et il est scandaleux de conclure que protester contre une guerre où des enfants sont tués et où des gens meurent de faim est antisémite », a insisté Magid.
« Il est regrettable que nous en soyons arrivés là, et je pense que certaines personnes veulent en partie encourager cela afin de détourner l’attention de la guerre », a-t-il poursuivi.
La nouvelle fonction de l’enseignant – il est devenu professeur résident d’études juives modernes – a été encouragée par le rapport interne consacré à l’antisémitisme qui a été publié au mois d’avril par Harvard, qui indiquait que la recherche d’un professeur pour le poste dorénavant occupé par Magid et que la recherche d’un professeur titulaire en religion, violence et paix était déjà en cours. Le rapport mentionnait ces recherches dans le cadre des recommandations visant à « mettre en place de nouvelles initiatives académiques destinées à garantir que les programmes reflèteront la diversité des points de vue et favoriseront l’excellence inclusive ».
Mais le rapport sur l’antisémitisme comprenait également une litanie de transgressions commises par la Harvard Divinity School et qui auraient porté atteinte à l’environnement d’apprentissage des étudiants juifs et israéliens.
Le rapport critiquait notamment le programme « Religion et vie publique » de l’école, qui étudie les questions de religion et de justice et qui a pris le conflit israélo-palestinien comme étude de cas.
« Le programme Religion et vie publique de la Harvard Divinity School illustre la manière dont une sélection limitée de cours de haut-niveau sur le Judaïsme et sur le sujet Israël/Palestine, en plus de la présence influente d’un programme proposant un traitement politisé et partial de questions controversées et l’adoption d’une pédagogie de ‘dé-sionisation’, nuit à l’environnement d’apprentissage de tous les étudiants, et en particulier de nombreux étudiants Juifs et israéliens », indiquait le rapport.
Magid a reconnu le bien-fondé de certaines des critiques formulées à l’encontre du programme consacré à la religion et à la vie publique.
« Je pense qu’ils auraient probablement dû élargir leurs horizons et peut-être choisir une autre étude de cas. Je pense qu’après le 7 octobre, certaines choses qui se sont passées au sein de ce programme étaient probablement malavisées », a-t-il expliqué. « C’était une période compliquée. Les gens ont fait certaines choses qui étaient peut-être malavisées, et je pense que nous essayons en quelque sorte de remédier à ce problème. »
Magid a déclaré que l’accusation laissant entendre qu’il n’y avait pas de diversité à la Harvard Divinity School « sur la question d’Israël ou du sionisme » était « manifestement fausse » en citant Jon Levenson, un professeur d’études juives qui a écrit des articles critiques sur les antisionistes.
« Jon Levenson est un membre très conservateur et pro-sioniste du corps enseignant. Je ne suis pas sioniste, c’est peut-être cela la diversité, non ? Je pense simplement que les gens ne comprennent pas comment fonctionnent les universités », a déclaré Magid.
Il a souligné qu’il avait donné des cours à Kestenbaum qui étaient consacrés à l’exil, à la diaspora et au traumatisme dans l’imaginaire juif pendant « l’année du 7 octobre », aux côtés d’autres étudiants qui étaient « ouvertement et manifestement antisionistes ».
« Nous étions assis ensemble en classe. Les gens n’étaient pas d’accord », s’est-il rappelé. « C’était respectueux, et c’est ainsi que cela devrait être à l’université ».
Magid, qui avait obtenu la nationalité israélienne en 1980, avait été ordonné rabbin pendant ses études à Jérusalem et il est rabbin de la synagogue Fire Island à Long Island, dans l’État de New York. Dans une interview accordée précédemment à la JTA, Magid avait raconté qu’il « avait perdu ses illusions sur le sionisme pendant son service dans l’armée israélienne pendant la première Intifada, en voyant de près la manière dont nous dominions le peuple palestinien ».
En tant que professeur d’études juives à Dartmouth et professeur invité à Harvard depuis 2023, Magid a donné des cours sur la Kabbale, le hassidisme et la philosophie juive médiévale et moderne. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment des études sur la Kabbale lurianique et le hassidisme; Il a aussi écrit une biographie sur le rabbin radical d’extrême droite Meir Kahane.
Cet automne, il doit donner un cours sur la liturgie juive et un autre intitulé « Piété, pratique et politique : Thomas Merton et Martin Buber », consacré à deux théologiens du XXe siècle, l’un chrétien et l’autre juif.
« C’est vraiment drôle que les gens parlent de mon positionnement à l’égard d’Israël ou du sionisme », a dit Magid. « La vérité, c’est que je n’enseigne même pas cela ».