Un faux acte antisémite à bord d’un bus scolaire juif de Chicago sème la panique
Selon le directeur de l'école, les élèves auraient effectivement eu une confrontation avec un homme. Le Centre Simon Wiesenthal a relayé l'information en mentionnant un salut nazi
La communauté juive de Chicago s’est trouvée bouleversée, jeudi dernier, lorsque les médias locaux ont fait savoir qu’un bus d’écoliers juifs avait été victime de harcèlement antisémite.
Les premières informations, relayées par un grand nombre de médias de Chicago, dont le Chicago Tribune et le Sun Times, évoquaient une enquête policière en cours après qu’un groupe d’adultes a forcé le bus à s’arrêter pour monter à bord pour faire un salut hitlérien.
L’histoire a bouleversé les parents d’élèves et déclenché un tollé parmi les habitants de Chicago, inquiets du regain de criminalité et d’antisémitisme, à un moment particulièrement difficile pour les Juifs américains.
Rien de tout cela ne serait vrai, selon le directeur de l’école où sont scolarisés les élèves en question.
« C’est une fake news », a déclaré vendredi à la Jewish Telegraphic Agency le rabbin Menachem Levine, directeur de l’école primaire Joan Dachs Bais Yaakov – Yeshivas Tiferes Tzvi de West Rogers Park.
« Il ne s’est absolument rien passé de cet ordre. »
Cette histoire a fini dans la presse grâce au relais du Centre Simon Wiesenthal, qui a publié un communiqué, jeudi dernier, soulignant que l’incident avait eu lieu le jour de la commémoration de la Nuit de cristal, pogrom qui, en 1938, a marqué un tournant dans la politique nazie à l’encontre des Juifs d’Europe.
Le centre avait été contacté par un parent d’élève de Chicago dont l’enfant avait signalé qu’un homme avait fait un salut nazi lors d’une altercation avec les élèves à bord du bus.
Ce parent d’élève avait par ailleurs déposé plainte auprès du service de police de Chicago.
Ce qui s’est réellement passé, a expliqué Levine, est troublant mais pas d’ordre antisémite.
Selon une vidéo de l’incident qu’il a dit avoir examinée, les élèves de primaire ont interpellé un groupe d’hommes depuis le bus, leur disant qu’ils avaient des airs de « mafieux ». L’un des hommes leur a fait signe de descendre de l’autobus. Contre toute attente et en contravention avec le protocle d’action, le chauffeur a alors ouvert la porte du bus. L’homme a insulté les enfants, leur disant de « faire attention à ce qu’ils disaient ».
Levine a ajouté : « Les enfants riaient. Pour eux, c’était une farce. »
Levine a regretté de ne pouvoir communiquer la vidéo aux médias, pour des raisons tenant à la protection du droit à l’image des élèves. Il a ajouté s’être entretenu avec les élèves concernés, qui ont confirmé cette version des faits.
Toutefois, par la suite, l’un des élèves a dit à ses parents avoir vu l’un des hommes faire le salut hitlérien. Aucun des témoins n’a accrédité cette version des faits.
Ces parents, à leur tour, sont allés à la police déposer plainte, avant de contacter le Centre Simon Wiesenthal, qui a joué un rôle de premier plan dans la médiatisation de nombreux cas d’antisémitisme.
L’organisation a relayé le récit fait de l’incident par les parents d’élève en le reliant au regain d’antisémitisme signalé aux Etats-Unis.
« Le Centre Simon Wiesenthal invite toute personne détenant des informations sur cet incident antisémite à contacter la police de Chicago ou les bureaux du Midwest du Centre Simon Wiesenthal », a déclaré Alison Pure Slovin, directrice du groupe dans le Midwest, dans le communiqué.
La diffusion de la nouvelle a donné lieu à une série de reportages qui ont rapidement circulé parmi la communauté juive de Chicago, dans le nord de la ville, où l’incident a eu lieu. Cela a suscité beaucoup de frayeur au sein de familles déjà rendues très nerveuses en raison des nombreux incidents antisémites et du harcèlement dont font l’objet les Juifs de New York.
« Nous avons l’intention d’inscrire nos enfants dans des écoles juives. C’est notre plus grande peur, que des choses pareilles se produisent », a déclaré Rebecca Finkel, mère de famille qui vit à moins de 10 minutes en voiture des lieux de l’incident.
« Je suis la petite-fille d’un survivant de la Shoah. Dans mon esprit, la question n’est pas de savoir si ces choses peuvent arriver, mais quelle génération sera la plus touchée. »
Levine, dont l’établissement est la plus grande école primaire juive du Midwest, n’a eu d’autre choix que d’essayer de dire qu’il s’agissait d’une fake news, qui se propageait rapidement dans les médias locaux et nationaux.
Dans un courriel adressé aux parents d’élèves, il a indiqué « qu’il n’y avait eu aucun comportement antisémite, menaçant ou raciste lors de cet incident », ajoutant : « Nous savons qu’il y a un regain d’antisémitisme récemment, et cela nous préoccupe, naturellement. Toutefois, cet incident n’a rien d’antisémite. La propagation de fake news est due à des informations données par des personnes peu responsables. »
Contacté par la JTA, Slovin, directrice du Centre Simon Wiesenthal du Midwest, a déclaré que le centre s’était fondé sur l’information donnée par des parents pour exprimer sa « préoccupation » aux médias. (La plupart des médias qui ont relayé l’incident se sont appuyés sur les déclarations du Centre).
Elle dit s’être entretenue avec deux parents d’élèves qui avaient déposé plainte auprès de la police, de même qu’à plusieurs policiers chargés d’enquêter sur les faits. Il n’est pas rare que des agents enquêtent sur les plaintes déposées pour faits de violence ou de harcèlement.
Slovin a ajouté que la police de Chicago avait indiqué à son organisation que l’incident faisait l’objet d’une enquête en tant que crime de haine, tout en reconnaissant que l’école elle-même « ne croyait pas à un incident antisémite ».
Le centre n’avait pas retiré son communiqué de presse vendredi.
Levine a déclaré que le Centre faisait du « bon travail », mais que la gestion de cet incident avait été « hautement irresponsable », « typique » du garçon qui crie “au loup”.
Petit-fils de quatre survivants polonais de la Shoah, Levine a déclaré que s’il se produisait un incident antisémite au sein de son école, « il serait le premier à le dénoncer ».
Il dit craindre que ce genre de fake news ne pousse « un fou à se dire : ‘Ah oui, je vais leur montrer ce que c’est, le véritable antisémitisme’ – nous n’avons vraiment pas besoin de ça ».
Finkel s’est également dite préoccupée par les conséquences des fake news liées à l’antisémitisme, à un moment où de nombreux indicateurs suggèrent que les incidents ciblant les Juifs sont en hausse.
Les informations concernant sa ville se sont déclenchés lors de la conférence « Never Is Now », organisée par l’Anti-Defamation League (ADL), organisation de défense des droits civiques qui a recensé l’année dernière le plus grand nombre d’incidents antisémites aux États-Unis depuis 1979, date à laquelle il a commencé à publier des bilans annuels.
« L’antisémitisme est bien réel, dangereux et omniprésent », a déclaré Finkel.
« Il est inutile d’en inventer – la vérité est bien suffisante au sein de nos communautés, qui sont prêtes à se défendre. Les faits sont suffisamment effrayants. »