Un Libanais qui espionnait le Hezbollah exhorte Israël de ne pas l’abandonner
"Benjamin Philip" aurait travaillé 9 ans pour le Mossad afin de combattre le Hezbollah soutenu par l'Iran ; il risque d'être expulsé au Liban et affirme qu'Israël ne fait rien
Benjamin Philip a décidé d’aider Israël et le Mossad dans sa lutte contre le Hezbollah en 2011, en recueillant des renseignements sur les activités du groupe terroriste libanais et en recrutant des agents supplémentaires au sein de l’organisation, y compris, dit-il, un membre de l’une de ses unités d’élite. Son activité, dit-il, a ruiné sa vie et celle des membres de sa famille au Liban.
Après avoir été repéré en tant qu’informateur du Mossad et incarcéré dans une prison du Hezbollah pendant deux ans, Philip a fui son Liban natal en 2015, pour finalement se retrouver en Asie de l’Est, où il a vécu pendant environ deux ans jusqu’à ce qu’il soit contraint de fuir fin 2019 car il risquait d’être expulsé. Aujourd’hui demandeur d’asile en Europe, il affirme qu’Israël – le pays qu’il a aidé dans sa lutte contre l’organisation terroriste soutenue par l’Iran depuis 2011 – refuse de l’accueillir ou même de répondre à ses appels téléphoniques et à ses e-mails.
Le bureau du Premier ministre, qui est responsable du Mossad, a refusé de commenter l’affaire.
Philip dit avoir contacté le Times of Israël par désespoir, espérant – comme ultime recours – qu’en rendant son cas public, il pourrait faire pression sur Israël et le Mossad pour qu’ils l’aident, comme il affirme qu’ils avaient promis de le faire.
Benjamin Philip n’est pas son vrai nom, c’est un pseudonyme. Le Times of Israël ne peut publier sa véritable identité ni aucun détail permettant de l’identifier, bien que Philip nous ait explicitement demandé de le faire, croyant que cela l’aiderait dans ses efforts pour demander l’asile, et bien que le Hezbollah et le gouvernement libanais sachent déjà qui il est, l’ayant respectivement incarcéré et inculpé.
Philip a essayé de contacter tous les responsables israéliens possibles, en envoyant des courriels à pratiquement toutes les adresses électroniques publiques du bureau du Premier ministre, du Mossad, de l’armée, du ministère des Affaires étrangères et de presque tous les autres bureaux gouvernementaux. En décembre, il a reçu une réponse du bureau du médiateur israélien, disant : « Nous avons porté votre réclamation à l’attention des forces de sécurité. »
Un ancien responsable de la Défense israélienne, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a déclaré qu’il n’avait pas connaissance du cas de Philip, mais a expliqué qu’il y avait plusieurs raisons pour lesquelles le Mossad pouvait couper les liens avec l’un de ses agents – notamment des questions sur leur fiabilité, des préoccupations de sécurité, ou s’ils avaient toujours ou non une valeur pour l’organisation, indépendamment de leurs contributions passées.
« C’est un monde très froid », a déclaré l’ancien responsable.
Philip maintient que, s’il est déçu et découragé par les actions de ses supérieurs du Mossad et du gouvernement israélien, il ne ressent aucune rancune envers l’État d’Israël.
« Mes reproches au Mossad sont comme un amoureux qui fait des reproches à sa maîtresse. Ce n’est pas un reproche de haine », déclare-t-il. « Je ne m’exprime pas pour faire quelque chose contre Israël. Je fais cela pour corriger la façon dont le gouvernement gère ces choses. Pourquoi devez-vous faire comme le KGB ? Vous en avez fini avec quelqu’un et vous le jetez. »
La plupart des choses dont se vante le gouvernement israélien, les attaques en Syrie et les attaques à Gaza, les attaques sur des cibles iraniennes… Cela n’arrive pas parce que le Mossad est assis à la maison et qu’une fée leur dit que les Iraniens déplacent des armes ici ou là.
Officiellement qualifié de traître et d’espion pour Israël, Philip affirme qu’il risque des dizaines d’années d’emprisonnement s’il est expulsé vers le Liban – un scénario que lui, homosexuel, ne peut accepter, sachant qu’une telle condamnation dans une prison libanaise signifierait viol et torture.
Il demande aujourd’hui l’asile en Europe, après avoir réuni assez d’argent pour acheter un billet d’avion en Asie de l’Est en vendant certains de ses appareils électroniques. Il reçoit l’aide d’une organisation LGBTQ locale, ainsi qu’une thérapie pour les traumatismes et les mauvais traitements qu’il a subis tout au long de sa vie, et pense avoir de bonnes chances de se voir accorder l’asile. Cependant, si cela échoue et qu’il apparaît qu’il sera renvoyé au Liban, Philip affirme qu’il envisagerait sérieusement de se suicider.
« Bien sûr que je n’irai pas au Liban. J’ai déjà commandé du monoxyde de carbone. J’ai cherché les moyens les moins douloureux de me suicider. J’ai déjà passé deux ans en prison. Je connais cette humiliation. Je ne peux pas imaginer ce qui arriverait si je retournais au Liban », a-t-il dit au téléphone à la fin de l’année dernière.
Philip a contacté le Times of Israël pour la première fois en août 2019, après avoir expliqué que le Mossad avait rompu tout contact avec lui et avait cessé de lui fournir des moyens de subsistance (avec son visa asiatique, qu’il dit avoir été payé par Israël, il ne pouvait pas travailler légalement dans le pays dans lequel il se trouvait, ce qui le rendait dépendant d’Israël). En septembre, je me suis rendu à l’étranger pour rencontrer Philip, lui parlant trois fois en personne, en plus de nombreuses conversations sur Internet, en utilisant des applications cryptées, dans les mois qui ont suivi. Le lieu de ces rencontres fait également l’objet d’une interdiction légale de publication.
Pendant les heures d’entretiens et de conversations avec Philip, il s’est montré calme, serein et franc. Ses souvenirs étaient cohérents, et ne semblaient pas avoir été préparés. Il a fourni de nombreuses captures d’écran de courriels et de conversations WhatsApp qui, selon lui, étaient avec des représentants du Mossad avec lesquels il avait été en contact. Le Times of Israël n’a pas pu vérifier de manière indépendante que ces messages provenaient bien d’agents israéliens, mais a pu corroborer certaines parties de l’histoire de Philip. Certains éléments de preuve fournis par Philip, qui ont été utilisés pour valider certaines parties de son histoire, sont également interdits de publication.
« Comme des chiens errants »
Philip espère qu’Israël interviendra en sa faveur et le sauvera de l’expulsion, mais il doute de plus en plus que cela se produise.
« Israël, un pays qui est capable d’envoyer un drone à Dahiya, ne peut pas me sauver ? », lance-t-il, faisant référence à une attaque de drone sur une cible du Hezbollah à Beyrouth en août, qui a été attribuée à Israël.
« Ils nous traitent comme des chiens errants », dit Philip à propos du Mossad et du gouvernement israélien.
La mère de Philip au Liban est déjà harcelée par le Hezbollah, avec des membres du groupe terroriste qui ont fait irruption dans sa maison et l’ont saccagée en décembre ; et son père a été excommunié de sa communauté religieuse, dit-il.
Israël, un pays qui est capable d’envoyer un drone à Dahiya, ne peut pas me sauver ?
Philip n’est pas le premier agent libanais du Mossad à accuser l’organisation de l’avoir abandonné. En 2014, Amin al-Hajj, dont le nom de code est Rummenigge, un agent israélien de longue date qui a recueilli des renseignements cruciaux sur les groupes terroristes palestiniens au Liban à partir des années 1980, a fait part publiquement de ses interactions décevantes avec les services de sécurité israéliens, qui se sont soldées par son immobilisation en Israël avec un permis de séjour temporaire expiré, sans couverture médicale et sans emploi.
« C’est un peu difficile pour moi de comprendre pourquoi je suis traité comme ça ; pourquoi, après tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai fourni, tous ceux qui ont été pris grâce à moi, ils me jettent comme un vieux torchon », a déclaré al-Hajj au correspondant du renseignement du Yedioth Ahronoth, Ronen Bergman.
Al-Hajj, au moins, a réussi à sortir du Liban et à rejoindre Israël.
Selon Philip, l’une des personnes qu’il a aidé à recruter en tant qu’informateur du Mossad était un ancien membre de l’unité d’élite Radwan du Hezbollah, ce qui a permis au service de renseignement de recueillir des informations cruciales sur le groupe terroriste chiite, mandataire iranien. L’ancien membre du Hezbollah a accepté que son histoire soit publiée ici, mais a demandé que son nom n’apparaisse pas, demandant plutôt d’être désigné par le pseudonyme « Gabriel ».
Plus tôt en 2019, Gabriel a également été emprisonné pendant environ deux mois par le Hezbollah pour espionnage au profit d’Israël. Il a été libéré en août, après que sa famille a convaincu le groupe terroriste qu’il était malade mentalement (en effet, il a été diagnostiqué comme bipolaire), explique Philip. À sa libération, Gabriel a été placé en résidence surveillée.
Fin septembre, des responsables du Hezbollah ont dit à Gabriel qu’il allait être exilé du Liban et forcé de rester hors du pays pendant au moins cinq ans. Fin octobre, il a fui le pays pour rejoindre Philip. Il prévoit de demander l’asile ailleurs.
Pour rester dans le coup, Philip entretient même maintenant des contacts avec d’autres agents du Hezbollah et leurs proches par le biais des réseaux sociaux – sans qu’ils sachent qu’il est un informateur israélien – afin de recueillir des renseignements sur le groupe terroriste. Dans de nombreux cas, il entre en contact avec des membres homosexuels du Hezbollah par le biais de Tinder, Grindr et d’autres applications de rencontres sur smartphones. Bien qu’il s’agisse d’une organisation musulmane chiite stricte, le Hezbollah compte un nombre « surprenant » de membres homosexuels, explique Philip.
Je sais qu’ils pensent que je suis un Arabe stupide. Mais j’ai toujours un drapeau israélien chez moi. J’aime Israël. J’aime vraiment ce pays. C’est un principe. J’ai senti que mon identité était plus proche d’Israël que du Liban.
Philip reconnaît qu’il n’a pas été une « personne parfaite » dans ses interactions avec Israël, ayant d’abord menti au Mossad sur certains aspects de son passé et utilisant également la menace de dévoiler l’identité des agents afin de faire pression sur l’organisation pour qu’elle lui fournisse les ressources qu’elle disait avoir promises. Le Times of Israël a clairement fait savoir à Philip que le média ne participerait pas à une telle exposition car elle pourrait mettre en danger des vies et la sécurité nationale israélienne et ne servirait aucun avantage concret au public.
« J’essayais juste de provoquer une réaction », dit-il. « Je ne les vendrais jamais. Je pourrais aller voir les Iraniens ou le Hezbollah et conclure un accord, mais je ne le ferais jamais. Cela va à l’encontre de mes principes. Je déteste le Hezbollah et l’Iran, putain – je souhaite voir leur fin. »
Philip soutient que le niveau d’assistance que lui et Gabriel ont fourni à Israël vaut bien plus que ce que le Mossad leur a donné. Il exprime régulièrement sa frustration, sa colère et sa profonde déception face à sa situation et condamne les fonctionnaires israéliens qui en sont responsables, mais il parle de l’État juif avec admiration.
« Je sais qu’ils n’en ont rien à faire de ma vie. Je sais qu’ils n’en ont rien à faire de mon avenir. Je sais qu’ils pensent juste que je suis un Arabe stupide. Mais j’ai toujours un drapeau israélien chez moi », indique-t-il. « J’aime Israël. J’aime vraiment ce pays. C’est un principe. J’ai senti que mon identité était plus proche d’Israël que du Liban. »
Une enfance désespérée
Philip ne ressemble pas au type de personne qui a consacré sa vie à la lutte contre un groupe terroriste international. Il est petit et nerveux, avec des yeux bleu-vert brillants, une barbe méticuleusement sculptée et des boucles d’oreilles. Durant toutes nos rencontres, il portait des vêtements noirs moulants et impeccables, des lunettes teintées, des bijoux en argent et des baskets à semelles compensées noires et larges. Il ressemble davantage à un designer pour une nouvelle startup qu’à un espion globe-trotter.
Il parle un anglais, un arabe et un français impeccables et agrémente ses propos sur Israël de mots et de phrases en hébreu. Le vendredi, il me souhaite un « Shabbat shalom ». Il jure abondamment, mais s’en excuse toujours. Il s’enorgueillit de sa capacité à analyser et à manipuler les gens, ce qui m’a régulièrement amené à remettre en question ses motivations, peut-être injustement. Lorsqu’il a interrompu une de nos interviews pour donner de l’argent à un sans-abri devant le café où nous nous sommes rencontrés, était-ce par altruisme ou pour des raisons de figuration ? Je ne le saurai jamais avec certitude. Je ne suis pas sûr que le sans-abri s’en soucie.
Philip est né de parents libanais quelque part au Moyen Orient. La famille est ensuite retournée au Liban, vivant dans la région de Nabatieh, une ville connue pour être un bastion du Hezbollah.
Le groupe terroriste du Hezbollah a été créé en 1985 en réponse à l’occupation du Sud-Liban par Israël, qui avait commencé trois ans plus tôt après la Première guerre du Liban. Au cours des 35 années qui ont suivi, le groupe soutenu par l’Iran s’est transformé en une milice imposante avec des milliers de combattants et un arsenal de quelque 120 000 roquettes et missiles de différentes tailles et capacités explosives. Israël a combattu le Hezbollah lors de la Seconde guerre du Liban en 2006, et l’organisation est actuellement considérée comme le principal ennemi militaire de l’État juif dans la région.
Philip se souvient d’avoir eu « une enfance désespérée dans un très beau village » du Sud-Liban. Enfant, il a rejoint les scouts du Hezbollah, et c’est à cette époque que sa haine envers le groupe s’est développée, dit-il.
Il indique qu’il a été abusé sexuellement par le fils d’un commandant supérieur du Hezbollah quand il avait quatre ans. « Cela a duré 11 ans. »
Tout au long de cette période, il dit avoir été régulièrement humilié, brutalisé et violé par le fils du commandant en chef du Hezbollah et d’autres personnes. Philip se souvient que l’un des rares moments forts de son enfance était les dessins animés sur la Première chaîne israélienne, dont le signal de diffusion atteignait leur domicile au Sud-Liban.
« L’émission préférée de mon frère était ‘Moomins' », explique Philip, en référence à un dessin animé japonais basé sur une série de livres finlandais et doublé en hébreu, sur une famille d’hippopotames.
Adolescent, il a dénoncé son agresseur dans la mosquée de sa ville natale, notant l’hypocrisie du fait que, s’il a été insulté pour son homosexualité, la personne qui le violait ne l’avait pas été. Ils ont dit : « Il n’est pas homosexuel, il est malade. Vous êtes homosexuel, et une personne comme vous devrait être tuée et brûlée », a raconté Philip.
Le lendemain, il a été arrêté par des membres du Hezbollah et menacé : « Ils m’ont dit : ‘Si jamais tu parles de ce que tu as dit hier, tu disparaîtras.' »
Après une tentative de suicide, les parents de Philip ont décidé qu’il devait quitter leur ville natale de Nabatieh pour aller étudier dans un internat à Beyrouth.
Une cible de harcèlement pour le Hezbollah
Philip a obtenu son diplôme d’études secondaires, a étudié à l’Université américaine de Beyrouth et a ensuite commencé à travailler dans diverses organisations non gouvernementales au Liban.
Il explique que pendant cette période, il a également travaillé comme observateur pour l’Association libanaise pour les élections démocratiques.
« Ce furent les années d’or de ma vie. J’étais dans mon pays, à faire ce que j’aimais », explique Philip.
L’année suivante, tout a changé. « L’année 2010 a été la pire année de ma vie », dit-il.
Alors qu’il travaillait comme observateur lors des élections nationales de 2009, Philip a signalé des activités illégales du Hezbollah dans les bureaux de vote du village de Houmine El Faouqa, près de Nabatieh.
« Après avoir fait cela, j’ai été mis sur une liste noire », dit-il.
Soudain, explique-t-il, des amis recevaient des appels de numéros masqués, leur demandant pourquoi ils voulaient « traîner avec un homosexuel ». Il a été demandé au directeur d’une école dans laquelle Philip travaillait de le renvoyer. Et son petit ami de l’époque a été dénoncé comme homosexuel à sa famille musulmane sunnite conservatrice.
Je me suis dit : c’est une guerre, littéralement une guerre. Et ces gens de merde, je veux leur faire payer pour tout ce qu’ils ont fait.
Ils sont allés voir sa famille et leur ont dit : « Votre fils est gay et il sort avec quelqu’un. Sa famille le battait, beaucoup », explique Philip.
À ce moment-là, dit-il, il a décidé de changer le but de sa vie et de lutter contre le Hezbollah.
« Quand cela s’est produit, je me suis dit : c’est une guerre, littéralement une guerre. Et ces gens de merde, je veux leur faire payer pour tout ce qu’ils ont fait. »
D’abord la CIA, puis le Mossad
Philip a d’abord hésité à prendre contact avec Israël et a plutôt, dit-il, contacté la CIA et proposé de donner aux Américains des informations sur le Hezbollah.
« J’avais peur de contacter le Mossad parce que je pensais alors que le Mossad, ils vous utilisent et puis ils vous tuent. C’est ce que l’on entendait au Liban », dit-il.
D’une manière ou d’une autre, le Hezbollah a découvert que Philip travaillait avec les Américains et l’a arrêté en 2011, l’emprisonnant pendant quelques mois, avant de le libérer à condition qu’il devienne un agent double, fournissant au groupe terroriste des renseignements sur la CIA.
Craignant d’être à nouveau arrêté par le Hezbollah puisqu’il n’avait aucune intention d’agir comme agent double, Philip a fui le Liban avec sa mère, se rendant d’abord en Syrie – avant que la guerre civile n’y commence sérieusement – puis en Turquie.
En Turquie, dit-il, il a établi son premier contact avec le Mossad, pour finalement rencontrer des agents de l’organisation à l’étranger, dans un certain nombre de pays du monde qui n’exigent pas de visa pour les citoyens libanais. Philip dit qu’à ce stade, les États-Unis ont coupé les ponts avec lui.
En décembre 2012, ses problèmes avec le Mossad ont commencé, dit Philip. Il n’avait jamais dit aux services d’espionnage israéliens qu’il avait été emprisonné par le Hezbollah, et le Mossad voulait qu’il retourne au Liban pour y recueillir des renseignements sur le groupe terroriste. Craignant d’être à nouveau envoyé en prison, Philip est parti, voyageant à travers le monde afin d’éviter de retourner au Liban.
Le Mossad l’a rattrapé en Asie de l’Est et il a avoué à ses supérieurs israéliens qu’il ne leur avait pas parlé de sa première incarcération par le Hezbollah.
Il s’est ensuite rendu en Europe et a demandé l’asile en Suisse. Selon Philip, les autorités suisses ont rejeté sa demande, affirmant qu’elles ne pouvaient pas vérifier de manière indépendante qu’il était homosexuel et qu’il risquait d’être maltraité en raison de son orientation sexuelle au Liban, ajoutant que puisqu’Israël était la cause de ses problèmes, ce pays devrait l’accueillir.
Il a été mis dans un avion et ramené à Beyrouth. « Après tout cela, je n’avais pas d’autre choix que de retourner au Liban », explique Philip.
La deuxième arrestation
Les responsables du Hezbollah ont assuré à ses parents que Philip ne serait pas enlevé ni immédiatement emprisonné, mais qu’il serait obligé de leur parler. Paniqué, Philip a tenté de prendre contact avec Israël afin de quitter le Liban le 7 octobre 2013.
« Je suis allé dans un cybercafé et j’ai fait la chose la plus stupide qui soit – j’ai eu peur et j’ai ouvert le site web du Mossad et je leur ai envoyé un message : ‘Je suis au Liban et je risque d’être arrêté. Je suis au Liban et je risque d’être arrêté. Aidez-moi, je vous en prie. Laissez-moi au moins franchir la frontière' », se souvient-il.
« Ils sont venus m’arrêter pendant que j’écrivais le message. »
Selon Philip, un groupe de jeunes hommes est entré dans le cybercafé, l’a frappé puis l’a emmené. Il suppose que le propriétaire du café a vu ce qu’il faisait sur l’ordinateur et a contacté le Hezbollah.
Philip dit qu’il a été conduit dans une prison du Hezbollah, mis dans une cellule à quelques portes de là où il avait été mis la première fois. « La première fois, j’étais dans la cellule 13 ; la deuxième fois, c’était la 17 », raconte-t-il.
De retour dans une prison du Hezbollah
Philip a été emprisonné pendant deux ans avant que sa famille ne parvienne à convaincre le Hezbollah de le libérer, sa mère menaçant de rendre publiques les années de viol et d’agression sexuelle qu’il a subies de la part du fils d’un haut dirigeant du Hezbollah.
Philip dit qu’il n’a pas été soumis à des tortures physiques pendant son séjour en prison, mais qu’il a subi des abus psychologiques et a été soumis à des semaines d’interrogatoires intenses. Mais, dit-il, il n’a jamais craqué.
« Je ne leur ai pas dit que je travaillais pour le Mossad. Je leur ai dit que je venais de leur écrire que je voulais travailler avec eux, que c’était mon premier contact avec eux. Je ne suis pas sûr qu’ils m’aient cru. Au bout de 15 jours, ils en ont eu assez de moi, alors ils m’ont laissé en prison », dit-il.
J’ai un petit matelas fin dans un coin où je peux dormir et m’asseoir. Une couverture, une cuillère, une assiette qui ressemble à une gamelle de chien – pour plus d’humiliation. Un seau d’eau. Trois petits gobelets en plastique avec du dentifrice, du savon et du shampooing ; un Coran et un livre de prières – et c’est tout ce que vous avez.
Philip affirme que s’il devait retourner au Liban maintenant, le Hezbollah ne se priverait pas de le torturer comme ils l’ont fait la dernière fois.
« Ce serait totalement différent cette fois-ci. Cette fois, je suis accusé d’avoir recruté quelqu’un de Radwan », dit-il, faisant référence à Gabriel, qu’il a recruté dans l’unité d’élite du Hezbollah.
De ses deux années de prison, Philip se rappelle les détails de la vie en prison, les humiliations quotidiennes, comment tout était peint d’un blanc aveuglant « pour vous rendre fou », dit-il.
« J’ai un petit matelas fin dans un coin où je peux dormir et m’asseoir ; une couverture, une cuillère, une assiette qui ressemble à une gamelle de chien – pour plus d’humiliation ; un seau d’eau, trois petits gobelets en plastique avec du dentifrice, du savon et du shampoing ; un Coran et un livre de prières – et c’est tout ce que vous avez », se rappelle-t-il.
Avec un sourire triste et un regard glacé, il ajoute : « C’était le pire shampoing que j’ai jamais utilisé de toute ma vie. »
Deux ans, un mois et un jour après avoir été envoyé en prison – le 8 novembre 2015 – Philip a été libéré. « Vous n’avez pas idée, c’était une journée bouleversante. Pendant deux ans, on ne voit pas le soleil », se souvient-il.
Lorsque j’ai exprimé ma surprise en apprenant qu’il avait été libéré de prison après seulement deux ans pour ce qui semblait être un crime grave de coopération avec l’ennemi juré du Hezbollah, Israël, Philip a déclaré que la peine était relativement courante pour le groupe terroriste.
« Le Hezbollah ne garde pas les gens en prison pour toujours. La norme est de deux ans, puis l’exil, à moins que vous ne soyez un membre de l’État islamique ou un meurtrier », indique-t-il.
À sa libération, Philip a été sommé de quitter le Liban. Il dit avoir voyagé en Turquie, à Dubaï et à Hong-Kong, entre autres pays, pour faire des petits boulots. « J’étais photographe, j’ai fait quelques traductions, j’ai aidé les réfugiés syriens en Turquie », dit-il.
Recrutement d’un combattant du Radwan
En février 2017, alors qu’il vivait à Dubaï, il a décidé de se rendre à nouveau au Liban afin de voir sa famille. Les parents de Philip ont demandé l’autorisation au groupe terroriste, et il a été autorisé à y retourner.
Il dit que pendant ce voyage, il a recruté Gabriel, le commando du Radwan du Hezbollah, en tant qu’informateur du Mossad.
« Lui et moi sommes allés camper pendant deux jours, et je l’ai convaincu de travailler avec le Mossad », déclare Philip.
« Je suis retourné à Dubaï, et j’ai envoyé un message au Mossad. Ils ont répondu et ils étaient très intéressés parce qu’il était dans l’unité Radwan. »
L’unité Radwan est l’une des plus importantes forces d’élite du Hezbollah. Si Israël n’avait pas réussi à localiser et à détruire les tunnels d’attaque du groupe terroriste dans le nord d’Israël l’hiver dernier, les combattants de Radwan auraient été ceux qui les auraient traversés pour massacrer et piller les villes frontalières israéliennes.
La défection d’un membre de l’unité a représenté un coup d’éclat important pour le Mossad.
En 2017, dit Philip, le Mossad lui a dit de partir pour l’Asie de l’Est. Il suppose que c’était en raison de la relative facilité avec laquelle il pouvait obtenir un visa.
Plus tard cette année-là, il a rencontré des agents du Mossad en Asie, a reçu d’eux un appareil de communication spécial ainsi que l’ordre de retourner au Liban afin de le livrer à Gabriel, ce qu’il dit avoir fait en septembre 2017.
À partir de ce moment, Gabriel a pu fournir directement au Mossad des preuves détaillées sur les activités du Hezbollah.
Cela a continué jusqu’en mai 2019, lorsque Gabriel s’est fait soudainement arrêter par le Hezbollah et emprisonner. Philip affirme qu’il ne sait pas comment le groupe terroriste en est venu à soupçonner que Gabriel espionnait pour Israël. Il dit qu’il a immédiatement contacté ses responsables du Mossad pour leur annoncer l’arrestation et les a avertis que l’appareil de communication était également tombé entre les mains du Hezbollah.
C’est alors que sa relation avec le Mossad a de nouveau pris une tournure négative. Selon Philip, malgré son avertissement, le service d’espionnage israélien a envoyé un message à l’appareil de communication l’identifiant comme étant la personne qui a recruté Gabriel.
Il a été informé par la suite que le Mossad avait fait cela délibérément pour s’assurer que le Hezbollah ne les recruterait pas, lui et Gabriel, comme agents doubles.
Malgré son arrestation et son emprisonnement de deux ans par le Hezbollah pour avoir été un espion israélien, Philip affirme que ce message a effectivement scellé son sort avec l’organisation terroriste et lui a assuré qu’il ne pourrait jamais retourner en toute sécurité dans son Liban natal.
Quelle est la suite ?
Philip cherche maintenant refuge en Europe, où il a quelques amis. Toutefois, cette procédure est coûteuse et risque d’échouer, tout comme sa dernière tentative en Suisse, bien que Philip espère que la publication de son histoire rendra sa demande d’asile plus viable.
« Demander l’asile est risqué », dit-il. « Si cela ne fonctionne pas, ce qui pourrait ne pas être le cas, je pourrais être à nouveau expulsé [au Liban]. »
Philip dit qu’il a également envisagé de travailler avec d’autres services de renseignements, y compris celui du Koweït, mais qu’il a finalement décidé de ne pas le faire parce « qu’ils sont contre Israël. Je ne veux pas être avec l’autre côté ».
Sa relation avec Israël et le Mossad est compliquée. À un moment donné, il s’insurge contre le gouvernement, ceux qui l’ont manipulé et contre la façon dont ils l’ont abandonné. Un instant plus tard, il se réfère à l’État juif avec admiration et un sentiment de dévouement.
Le Mossad m’a dit qu’Israël est un État de droit. Où est le droit ? Que dit la loi ?
Il reconnaît qu’il n’a jamais signé d’accord avec le Mossad ni conclu d’autre arrangement formel concernant son avenir, mais il a déclaré qu’il croyait qu’il y avait un « contrat moral » qu’Israël devait honorer.
« Le Mossad m’a dit qu’Israël est un État de droit. Où est le droit ? Que dit la loi ? »
Philip affirme que s’il est expulsé vers le Liban, le Hezbollah – un groupe terroriste connu pour ses capacités de relations publiques – l’utiliserait pour montrer l’exemple de ce qui arrive aux personnes qui coopèrent avec le Mossad, ce qui pourrait dissuader d’autres personnes d’aider Israël dans sa lutte contre le groupe terroriste.
Espérons qu’un jour, les Libanais mangeront du houmous à Haïfa, se baigneront à Tel Aviv et mangeront de la shakshuka au restaurant ‘Dr Shakshuka’ à Jaffa ; et les Israéliens iront à Faraiya pour faire du ski. J’espère que ce jour viendra.
« Si je retourne au Liban, ils utiliseront [mon retour] contre Israël. Je suis venu travailler avec le Mossad parce que je crois en la paix et l’amour et en la vie en commun pour un avenir prospère en tant que voisin. J’aime Israël et je me suis battu pour la paix toute ma vie », dit-il.
« Espérons qu’un jour, les Libanais mangeront du houmous à Haïfa, se baigneront à Tel Aviv et mangeront de la shakshuka au restaurant ‘Dr Shakshuka’ à Jaffa ; et les Israéliens iront à Faraiya pour faire du ski. J’espère que ce jour viendra. »
Philip dit avoir largement accepté l’idée qu’il puisse éventuellement se suicider afin d’éviter de retourner au Liban et d’y subir des viols et des tortures. Mais il est préoccupé par ce qui se passera après sa mort.
« Je ne veux pas que mon corps soit renvoyé au Liban. Les mêmes personnes qui m’ont violé, les mêmes personnes qui m’ont intimidé, les mêmes personnes qui m’ont harcelé sexuellement – ils verront mon corps nu être lavé et mis dans un cercueil et une tombe. J’ai juste peur que même ma mort ne soit pas digne », dit-il.
« Quelle que soit la façon dont les choses se terminent, je me sens fier. Je suis fier de venir d’un pays où j’aurais pu être un terroriste, où j’aurais pu être membre du Hezbollah, mais j’ai choisi de ne pas faire partie de cette putain d’organisation terroriste », indique-t-il. « Je ne suis pas un tueur, je ne suis pas un terroriste. »
Bien qu’il se sente abandonné et méprisé par Israël, Philip indique qu’il croit toujours que les gens au Liban devraient coopérer avec les services secrets israéliens.
« J’encourage personnellement les gens à continuer à travailler avec le Mossad. C’est un vrai moyen d’arrêter le Hezbollah, et nous devons vraiment arrêter le Hezbollah », souligne-t-il.
Il déplore que le Premier ministre Benjamin Netanyahu et d’autres hauts fonctionnaires israéliens se vantent régulièrement des prouesses militaires du pays, mais qu’ils reconnaissent rarement, voire jamais, les sources des renseignements qui rendent cela possible.
« La plupart des choses dont se vante le gouvernement israélien, les attaques en Syrie et à Gaza, les attaques sur des cibles iraniennes – cela n’arrive pas parce que le Mossad est assis chez lui et qu’une fée leur dit que les Iraniens déplacent des armes ici ou là. C’est parce qu’il y a des gens comme moi, qui choisissent de travailler et qui mettent leur vie en danger », rappelle-t-il.
« Toutes les marches de cette pyramide font partie de cette victoire. Les gens au bas de la pyramide ne doivent pas être laissés de côté. »
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