Un rapport alerte sur la moindre croissance de la main-d’œuvre technologique en Israël
Selon l'Autorité israélienne de l'innovation, malgré la guerre, la Tech israélienne est la 3e plus active pour la levée de capitaux, surtout en faveur du secteur cyber
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Près d’un an après le début de la guerre contre l’organisation terroriste du Hamas, le secteur de la Tech israélienne occupe toujours le troisième rang mondial des investissements, signe de sa résilience.
Mais ce qui est aussi l’une des plus importantes sources de revenus fiscaux du pays fait face à de sérieux problèmes, comme le ralentissement de la croissance de sa main-d’oeuvre et un manque de diversité, explique un rapport publié lundi par l’Autorité israélienne de l’innovation.
Ces problèmes, combinés à l’insuffisance des dépenses publiques au moment où le secteur fait face à des risques accrus liés à la guerre, pourraient l’empêcher de rivaliser avec les meilleurs, dans les années à venir, et de continuer à être un moteur de croissance, estime dans ce rapport l’Autorité israélienne de l’innovation, responsable de la politique israélienne en matière technologique.
Le secteur de la Tech représente environ un cinquième du produit intérieur brut (PIB) israélien, plus de la moitié de ses exportations et environ un quart de l’impôt sur le revenu des salariés et de l’impôt sur les sociétés.
Les start-ups israéliennes sont ébranlées par le rappel permanent de certains de ses employés dans le service de réserve et l’incertitude sur la durée et l’étendue de cette guerre qui a éclaté lorsque les terroristes du Hamas ont envahi les communautés du sud d’Israël, non loin de la frontière de Gaza, le 7 octobre dernier, pour y massacrer plus de 1 200 personnes et prendre en otages 251 autres.
« La guerre et les problèmes qu’elle emporte ont mis un coup d’arrêt à la croissance de l’emploi, en particulier dans les secteurs des affaires et des produits. C’est un signal d’alarme on ne peut plus clair », analyse le président de l’Autorité israélienne de l’innovation, Alon Stopel. « Les hautes technologies font toujours plus appel à des emplois technologiques, ce qui indique que la croissance des entreprises se fait en dehors d’Israël. »
« Si cela continue, cela va porter tort à la croissance et priver les personnes spécialisées dans des fonctions de soutien de travailler dans le secteur des hautes technologies », poursuit M. Stopel.
Stopel recommande au gouvernement et aux autorités politiques de « créer des mécanismes destinés à équilibrer et encourager la croissance afin de maintenir la compétitivité du centre technologique israélien à l’échelle mondiale ».
La dépendance de l’économie vis-à-vis des revenus tirés du secteur technologique s’est considérablement accrue ces dix dernières années, sous l’effet conjugué d’une hausse rapide du nombre d’employés du secteur et des salaires.
Entre 2012 et 2022, le nombre d’employés de la technologie a quasiment doublé pour atteindre le chiffre de 400 000, soit 11 % de la main-d’œuvre de tout le pays. Mais depuis le second semestre 2022, le nombre d’employés du secteur de la Tech n’a pas augmenté, ce qui a entraîné une stagnation de la part relative de l’emploi du secteur en Israël.
« Dans la mesure où les employés des nouvelles technologies contribuent de manière significative aux recettes de l’État via l’impôt sur le revenu, cette stagnation pourrait affecter les recettes publiques dans les années à venir – à une période où le budget fait déjà face à un déficit croissant, d’où le besoin de mesures de stimulation de la croissance », précise l’Autorité israélienne de l’innovation dans son rapport.
En comparaison avec d’autres pôles d’innovation, ailleurs dans le monde, le taux de croissance de l’emploi technologique en Israël est similaire à celui des États-Unis mais inférieur à celui de l’Europe. En 2023, le nombre d’employés de la technologie a augmenté de 5 % en Europe, 2,8 % aux États-Unis et 2,6 % en Israël, soit plus ou moins le taux de croissance naturel.
L’étude fine de la composition de l’emploi dans la Tech fait apparaître que ces six derniers mois, plus de la moitié des employés occupaient des postes de R&D, que les emplois très qualifiés dans le secteur du développement ont augmenté alors que les emplois liés aux produits et aux fonctions administratives, lesquels ne nécessitent pas de connaissances technologiques et sont moins discriminants, reculent progressivement. En cette période de guerre ô combien difficile, de nombreuses start-ups ont dû revoir leurs effectifs à la baisse voire mettre des projets à l’arrêt pour rationaliser leur activité et réduire les coûts.
Ce basculement « signe l’émergence d’une industrie essentiellement axée sur la recherche et le développement, ce qui laisse peu d’opportunités à ceux qui occupent des fonctions non technologiques et limite les capacités du secteur en matière d’emploi en Israël », poursuit l’Autorité israélienne de l’innovation.
L’emploi dans la Tech a cessé de croître mais les salaires du secteur ont continué d’augmenter, même en temps de guerre. Depuis le début de la guerre, les salaires de la Tech ont en effet augmenté en moyenne de 5,5 %, alors que le reste de l’économie n’a augmenté que de 2 %. Au deuxième trimestre 2024, dans le secteur de la Tech, le salaire mensuel moyen s’élevait à 31 500 shekels, soit près de trois fois le salaire moyen du reste de la population active, à 11 300 shekels.
En dépit de la guerre et de la situation sécuritaire incertaine, Israël a gardé sa troisième position mondiale en matière de levée de capitaux, derrière la Silicon Valley et New York, mais devant Londres ou Paris, pour ne citer qu’eux.
Selon les données compilées par l’Autorité israélienne de l’innovation, entre le 7 octobre 2023 et la mi-août 2024, le montant total levé par les start-ups et entreprises de la Tech israélienne pour recruter et développer leurs activités commerciales s’est élevé à près de 9 milliards de dollars, peu ou prou la même chose que ces dernières années, à l’exception des années record de 2020 à 2022.
Depuis le 7 octobre dernier, le total des investissements dans les entreprises de la Tech israélienne est inférieur de 4,7 % au montant de l’année précédente. D’autres centres technologiques comme San Diego, Paris, Los Angeles ou Berlin, qui ont levé moins de capitaux qu’Israël depuis le 7 octobre, ont connu un taux de croissance en glissement annuel plus élevé.
Même si les investissements demeurent stables, le rapport s’inquiète du fait que, depuis le 7 octobre, près de 60 % des capitaux ont été levés par des entreprises de la Tech déjà matures et connues et 35 % des capitaux levés depuis le début de la guerre l’ont été par des entreprises du secteur cyber. Ces dernières années, les cyber-entreprises ne représentaient que
13 % à 20 % du montant total des capitaux levés.
« Ce rapport témoigne de l’attrait que les entreprises de la Tech israéliennes exercent sur les investisseurs, même par temps de crise », explique Dror Bin, PDG de l’Autorité israélienne de l’innovation. Mais il fait également état d’un net ralentissement de la croissance de l’emploi et des investissements de démarrage, entre autres indicateurs.
« Pour que la Tech renoue avec une croissance rapide après la crise, il nous faut diriger les investissements vers les jeunes start-ups et les entreprises en phase de démarrage et diversifier les secteurs technologiques, pour ne pas seulement irriguer les grandes entreprises et la cyber-sécurité », explique M. Bin, qui réitère son appel à augmenter les dépenses dans le domaine de la technologie, au moment où le gouvernement travaille au projet de loi de finances pour 2025.
Au titre du budget 2024, le gouvernement a augmenté le budget de base de l’Autorité israélienne de l’innovation d’un milliard de shekels pour financer un plan de relance destiné à aider les jeunes start-ups faisant face à des problèmes de levée de fonds en raison des incertitudes géopolitiques en temps de guerre.