Un trek dans les montagnes sauvages de l’Atlas du Maroc – pour des etrogs
Un journaliste en mission fait face à une chute périlleuse avant de trouver des affinités peu probables avec un homme nommé Mohammed
ASSADS, Maroc (JTA) – Nous avons eu à traverser la gorge, et la seule façon était de marcher l’un derrière l’autre sur une gouttière étroite en béton, peut-être de la largeur d’un pied, que sépare deux précipices. En dessous de nous se tenait un profond ravin rocailleux.
J’avais beaucoup voyagé dans les localités rurales de l’Atlas marocain, et donc je m’attendais à être un peu poussiéreux. Mais personne ne m’avait préparé pour cet après-midi de trek sous le soleil du désert.
Je portais une chemise boutonnée, un pantalon et des chaussures élégantes, muni d’un iPad, un ordinateur, un appareil photo et mon passeport. Mais je n’étais pas entièrement dépourvu : j’avais 1,5 litre (environ 6 verres) d’eau en bandoulière.
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Il faisait chaud et sablonneux, et le soleil brillait sur nous dans un ciel serein. La sueur inondait mon dos. Mon traducteur, la seule personne dans le groupe à qui je pouvais parler, avait plusieurs longueurs d’avance sur moi.
J’étais dans le sable au milieu de nulle part, épuisé et, puisque je me tenais au bord du précipice dans un endroit inconnu, j’avais un peu peur. J’ai commencé à marcher sans regarder en bas.
Mais j’avais une mission. J’ai eu cette pensée : il y a interêt qu’il y ait quelques etrogs au bout de ce sentier.
Quand j’ai dit aux gens que je partais au Maroc pour une semaine avant Rosh Hashana pour écrire sur l’industrie insulaire et centenaire de l’etrog du pays, ils m’ont soit dit que j’étais fou (c’est difficile de l’infiltrer), soit que je m’y prenais trop tard (la saison de l’etrog touchait à sa fin), ou les deux.
Mais les Berbères, qui passent leurs étés à cultiver des fruits dans un pays musulman pour une fête juive, s’avèrent être une histoire trop bonne pour la manquer, donc je me suis précipité pour réserver mon vol.
Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de Juifs vivant au Maroc, bien que quelques dizaines de marchands juifs soutiennent toujours l’industrie, envoyant des etrogs – des cédrats en français – aux Juifs du monde entier pour qu’ils les utilisent pendant la fête de Souccot.
Puisque 5775 était une année de « shemita », ou une année sabbatique, au cours de laquelle la loi juive interdit les activités agricoles en Israël, la demande pour les etrogs marocains a été particulièrement élevée cette saison, même si les deux pays n’entretiennent pas de relations formelles. J’étais déterminé à découvrir comment les etrogs marocains étaient cultivés et parvenaient sur le marché israélien.
L’organisation du voyage, cependant, s’est révélée être beaucoup plus compliquée que de passer quelques appels. Mon seul contact dans l’industrie marocaine de l’etrog m’a prévenu que les commerçants fuyaient les journalistes et ne me parleraient pas.
Un professeur israélien m’a regardé comme un parent soucieux après que je lui ai demandé de l’aide pour visiter les producteurs berbères d’agrumes dans les montagnes de l’Atlas. Il m’a écrit un courriel quelques heures plus tard me disant, qu’il était « un peu inquiet » à mon sujet. Le préavis était trop court, selon lui, pour bien planifier le voyage.
A court de pistes, je pris un annuaire téléphonique britannique pour traquer un rabbin de Londres qui avait écrit un livre sur les etrogs marocains. Mais celui-ci me dit qu’il venait juste de rentrer du Maroc, qu’il était épuisé par le vol et ne pouvait pas parler.
‘Allez à une ville qui s’appelle Assads. Là-bas, demandez Jawad. Dites à Jawad de vous emmener à l’endroit là où il avait pris Yashar’
« Allez à une ville qui s’appelle Assads, » m’a-t-il conseillé. « Là-bas, demandez Jawad. Dites à Jawad de vous emmener à l’endroit là où il avait pris Yashar. Shana Tova. »
Puis il m’a raccroché au nez.
Assads, s’est-il avéré, était un petit village de montagne à quelques heures de la ville la plus proche et à peine accessible en voiture. Pour y arriver j’avais besoin de quelqu’un pour me prendre. Et pour parler aux producteurs d’etrog, j’avais besoin de prendre contact avec quelqu’un de la ville qui pourrait me présenter et me guider vers les etrogs. Ce n’était pas exactement un haut lieu du tourisme agricole.
En arrivant à l’aéroport de Tel Aviv pour mon vol, j’ai réussi à faire quelques plans. Un expert en agrumes du Maroc, Mohamed El-Otmani, a mis quelqu’un à ma disposition pour me conduire à Assads, et un assistant pour me montrer la région.
Le lendemain matin, je serrais la main à un homme costaud nommé Mohammed qui sera mon chauffeur. Mohammed, découvris-je, ne parlait pas l’anglais. Pas plus que l’assistant. Je n’ai pas pris le risque de leur demander si l’un d’eux parlait l’hébreu.
« Tu ne parles pas l’arabe ? » me demanda El-Otmani. Non. Alors, il m’a trouvé un professeur d’anglais en congé pour traduire, et nous quatre – le chauffeur, le traducteur, l’assistant et moi – nous mîmes en route.
Notre Mercedes defoncée a conduit d’une route goudronnée à un chemin de gravier alors que la ville de plage cosmopolite d’Agadir, où je logeais, céda la place à des villes plus petites et plus mornes.
Le français disparut des enseignes des magasins, pour être remplacé par l’arabe. Contrairement à Agadir, où de nombreuses personnes portaient des jeans, presque toutes les femmes marchaient ici la tête couverte, tandis que les hommes portaient des barbes et des caftans. Ensuite, les villes disparurent, jusqu’à ce que nous ayons été obligés de nous arrêter sur la route poussiéreuse pour laisser passer un troupeau de chèvres.
Une heure après le départ, mon traducteur me demanda si j’étais « bon en marche à pied. » Cela m’a semblé être une question bizarre, et honnêtement, la réponse était non. Né avec une paralysie cérébrale légère, j’ai toujours boité sur mon côté droit et ai du mal avec l’équilibre.
Mais je ne voulais pas faire marche arrière. Oui, bien sûr que je suis bon en marche, ai-je dit. A quel point sera-t-il difficile ?
Oui, bien sûr que je suis bon en marche, ai-je dit. A quel point sera-t-il difficile ?
Quatre heures plus tard, après que mon chauffeur ait demandé le chemin à plusieurs enfants sur une route déserte, nous avons finalement atteint Assads.
Mais Jawad, le contact du rabbin, était introuvable. Il y avait beaucoup de gens qui s’appelaient Jawad à Assads, m’ont dit les habitants. Et de toute façon, aucun d’entre eux n’était aux alentours.
Mon seul espoir était de suivre notre assistant, à pied, et de prier, que je trouve un arbre d’etrog. Nous partîmes, tous quatre.
Au début, le chemin était plat et étroit, avec un ravin sur ma gauche. Puis il est devenu plus étroit et plus rugueux. Puis une gouttière en béton apparut à notre droite, et nous tentions de garder l’équilibre entre les deux – et moi en essayant de compenser mon sac encombrant.
Je montai sur la gouttière et bientôt il n’y avait plus rien de chaque côté. Nous avons ainsi franchi la gorge.
Pendant l’heure qui a suivi, nous avons grimpé sur des rochers, le long de précipices et dans les vallées rocheuses où il n’y avait pas de chemin du tout. Tout en glissant et me rattrapant, regardant les rochers à flanc la montagne et disparaissant, je continuai à marcher. C’était ma seule option.
J’étais ici, aux confins reculés du Maroc, transportant du matériel précieux, avec quatre hommes que je ne connaissais pas et qui parlaient une langue que je ne comprenais pas
J’étais ici, aux confins reculés du Maroc, transportant du matériel précieux, avec quatre hommes que je ne connaissais pas et qui parlaient une langue que je ne comprenais pas. Ma sécurité – sans parler de mon reportage – dépendait de leur confiance.
Puis, alors que nous arrivâmes sur un terrain plus plat, mon assistant s’arrêta et me sourit. Il leva les poings en signe de triomphe et me fis signe de prendre une photo.
Sur le chemin, alors que nous passions par une rivière, il cueillit une grappe de raisin d’une vigne ; que nous avons tous partagée. Je me suis permis de souffler. Je regardai la mountagne de sable brun que nous venions de traverser, tachetée avec des palmiers et plongée sous un ciel bleu lumineux. Peut-être que cela valait le coup, pensais-je.
Quelques centaines de mètres plus loin, un homme se tenait en face de nous portant un caftan et un chapeau de neige avec ce qui ressemblait à un buisson à notre gauche. L’assistant lui serra la main. Mon traducteur me montra le buisson.
Il était là, accroché quelques centimètres au-dessus du sol : un etrog d’un vert vif.
J’en vis bientôt d’autres camouflés parmi les larges feuilles vertes et les mauvaises herbes.
Le buisson faisait, en fait, partie d’un bosquet. Il ressemblait moins au verger auquel je m’attendais et plus comme une ronce – comme si le fruit arrivait à pousser naturellement. Je suivis les branches vers le bas, sur une pente rocheuse inégale, évitant les fruits d’etrog par terre et essayant, encore une fois, de ne pas perdre l’équilibre.
L’homme en caftan était Mohammed Douch, dont la famille cultive des etrogs ici depuis au moins trois générations.
Il m’a fallu m’y prendre à trois fois pour savoir ce qu’il préférait dans le travail, il a juste répondu que c’était sa tradition. Mais qu’il y était devoué. Il a 67 ans et est un employé de restaurant à la retraite, son visage ravagé par de profondes rides, mais il vient ici quelques mois chaque année pour cultiver les etrogs, a-t-il dit, parce que « c’est une partie de notre corps. »
Derrière lui, au delà d’un chemin étroit, il y avait une maison en briques de deux étages et de terre avec un dais de branches en guise de toit. Habituellement, a expliqué Douch, il vit dans la ville. Mais chaque été, il vient ici pour résider dans la nature.
Il répétait pratiquement tout ce qu’il disait pour compenser le gouffre de la langue qui nous séparait, même avec un traducteur. C’est une expérience que j’ai eu tout le long de mon voyage au Maroc. D’ordinaire, l’absence de communication me fait me sentir désarmé, comme si je manquais une grande partie du pays que je voulais comprendre.
Mais au milieu des montagnes marocaines, au milieu d’un groupe de gens avec qui je pouvais à peine parler, j’ai éprouvé un sentiment d’appartenance. S’installer dans une cabane avec un toit de branches pour s’occuper d’etrogs et se connecter à la tradition ? Voici quelque chose que je pouvais comprendre.
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