Une communauté religieuse accueille 6 résidents en situation de handicap à Lod
Un groupe qui n'a pas toujours été lui-même bien accueilli par ses voisins a accepté avec enthousiasme de proposer un nouveau mode de vie pour ces adultes à besoins particuliers
LOD — Lorsque Udi Marili, un entrepreneur de Jérusalem, s’est mis en quête de communautés qui accepteraient d’accueillir six jeunes en situation de handicap dans un seul appartement où ils pourraient vivre seuls pour la toute première fois, l’une d’entre elles s’est démarquée.
La garine Torani, à Lod, s’est démarquée à de nombreuses occasions dans le passé – souvent de manière controversée. Regroupant une communauté soudée et quelque feu fermée constituée de quelques centaines de familles sionistes religieuses, elle a été saluée par certains pour avoir tenté d’aider à relancer Lod, cette ville mixte de la classe ouvrière où se côtoient Juifs et Arabes. Mais elle a été aussi critiquée pour son incapacité à s’intégrer plus largement dans le tissu urbain qui forme la localité.
Mais une communauté solidaire de personnes désireuses de s’impliquer dans du bénévolat et d’en faire davantage pour venir en aide aux autres était très exactement ce que recherchait Marili.
« Ce qui m’a le plus marqué quand je suis venu ici, c’est la manière dont la communauté voulait vraiment vivre l’expérience que je leur proposais : c’est réellement ce qui m’a le plus étonné », explique Marili. Il ajoute qu’en amont du projet, il avait organisé des réunions d’information à Lod, à 21 heures, et qu’il avait été sidéré de voir venir plus d’une dizaine de membres de la communauté de la garine de Lod, malgré la fatigue accumulée lors de la journée de travail et le renoncement à la perspective d’une soirée apaisante en famille. Tous s’étaient dits prêts à s’impliquer dans le projet. « C’est ce qui a vraiment fait la différence », poursuit-il.
Dans les six premiers mois qui ont suivi leur installation dans un appartement du quartier Neve Zayit, dans la ville, les six colocataires ont reçu l’aide de leurs voisins pour résoudre des problèmes de plomberie ou autres, habituels dans un logement. Ils ont été aussi invités à partager des repas pour le Shabbat.
Les six jeunes peuvent compter sur le soutien de thérapeutes qui, tour à tour et selon un calendrier prédéfini, sont susceptibles d’intervenir tous les soirs de la semaine. Ils sortent dans la journée pour travailler ou étudier et ils se sont parfaitement intégrés dans la communauté dans laquelle ils vivent.
« Ce n’était pas une question exclusivement géographique. Il s’agissait de s’assurer qu’ils feraient réellement partie de la communauté », dit Marili, entrepreneur social en série, qui a conçu d’autres projets pour les adultes atteints d’autisme ou de maladies psychiques. Marili a eu l’idée de l’appartement et il a travaillé en collaboration avec le ministère des Affaires sociales et la communauté locale de Lod pour finaliser son initiative.
L’appartement occupé par les six jeunes à Lod entre dans le cadre d’un plan plus large du ministère de la Santé qui vise à créer des lieux de résidence pour les personnes en situation de handicap, d’où elles pourront mieux s’intégrer dans la population au sens large et qui leur permettra de prendre une part active à la vie communautaire.
Ce qui représente un changement par rapport au modèle actuel d’hôtels ou d’appartements pour les jeunes adultes à besoins particuliers qui sont dirigés par des organisations variées dans tout l’Etat juif, où les résidents vivent avec des thérapeutes. S’ils vont travailler ou étudier pendant la journée, ils ne se mélangent néanmoins généralement pas à la population et ne participent pas à la vie du quartier où ils vivent.
« Nous ne voulons pas qu’ils vivent dans une bulle au sein d’une communauté »
L’espoir de Marili est qu’une communauté bienveillante à leur égard et le réseau que représente le voisinage puissent permettre à ces jeunes d’être indépendants, avec l’adoption d’un nouveau paradigme de vie communautaire.
« Nous ne voulions pas qu’ils vivent dans une bulle dans une communauté et nous devions parvenir à trouver un moyen d’impliquer les membres de la communauté à leurs côtés. Mais pour faire l’expérience, il fallait trouver la bonne communauté », ajoute-t-il.
La communauté de la garine Torani de Lod fait partie de Keren Kehillot, une organisation-cadre rassemblant des communautés religieuses, et elle travaille sur cette initiative d’appartement inclusif avec le Makom-JNF, une alliance de communautés et d’individus dont les activités se concentrent sur la nécessité d’insuffler une dynamique nouvelle dans les villes et les villages situés dans les secteurs défavorisés – habituellement en Galilée et dans le Negev – mais aussi dans les villes les plus pauvres situées à proximité du centre du pays.
Il y a des communautés de la garine Torani dans tout le pays, qui ont été lancées avec l’objectif idéologique de créer ou de renforcer une vie religieuse juive dans des villes accueillant peu de Juifs pratiquants. Les tensions ne sont pas rares.
Lod, ce n’est pas seulement une simple localité, explique le rabbin Yisrael Samet, qui vit là-bas depuis 15 ans et qui est à la tête de la communauté. Cette ville de 77 000 habitants est environ aux deux-tiers juive et à un-tiers arabe, et elle a connu de graves problèmes liés au crime organisé et au trafic de stupéfiants. C’est aussi l’une des localités les plus pauvres du secteur de Tel Aviv. En 2018, le salaire moyen, à Lod, s’élevait à 8 600 shekels – soit environ 2 100 shekels de moins que la moyenne nationale.
Située à seulement 15 kilomètres de Tel Aviv et proche de l’aéroport international Ben-Gurion, la ville est pourtant bien placée et aurait pu devenir une cité-dortoir pour les jeunes familles issues de la classe moyenne. Mais la municipalité a vu fuir la classe moyenne de la ville, qui s’est réfugiée à Modiin, la ville voisine, et dans d’autres localités pleines d’avenir. La communauté de la garine, qui a vingt-cinq ans d’existence, s’est installée en réponse à une initiative lancée par la ville qui s’efforçait d’attirer des personnes éduquées et issues de la classe moyenne.
Un grand nombre des résidents de la communauté de la garine vivent dans des tours d’appartements au look contemporain qui se distinguent des blocs résidentiels et des petites habitations ou autres duplex – souvent défraîchis – qui forment le reste de Lod. Dans un quartier, des appartements n’ont été présentés à la vente qu’aux Juifs pratiquants.
Certains locaux ont accusé le groupe d’avoir été parachuté là, sans livrer d’efforts suffisants pour s’intégrer dans la communauté au sens plus large.
« Ils se comportent comme dans une implantation », estime Amnon Beeri-Sulitzeanu, co-directeur-exécutif de l’organisation Abraham Initiatives, en évoquant la communauté Garin. « Ils agissent comme des habitants d’implantation, avec de gros drapeaux accrochés à leurs fenêtres ».
Le groupe Abraham Initiatives, dont les activités sont consacrés à la construction d’un avenir partagé meilleur entre citoyens juifs et arabes en Israël, a des bureaux à Lod.
Il doit y avoir un équilibre délicat dans les villes mixtes, explique Beeri-Sulitzeanu – un équilibre inhérent à la capacité de conserver une coexistence égalitaire et harmonieuse. Cet équilibre est devenu plus difficile à maintenir à Lod où il y a maintenant plus de Juifs que d’Arabes.
La présence de la garine a néanmoins eu certaines conséquences positives, continue-t-il, avec notamment des activités organisées pour les résidents arabes par ses membres dans les centres communautaires locaux. Mais les deux groupes, dans l’ensemble, ne se fréquentent pas et l’équilibre reste difficile, note-t-il.
« Ils savent très bien que si les tensions se renforcent, cela ne sera bon ni pour les uns, ni pour les autres et qu’ils doivent faire en sorte de préserver les choses telles qu’elles sont », continue Beeri-Sulitzeanu. « Mais les deux parties ne s’aiment pas – et elles en ont profondément conscience ».
Si Samet dit reconnaître la nécessité et la difficulté de maintenir l’équilibre, il rejette toutefois les propos tenus par Beeri-Sulitzeanu.
« Quand on a fait venir des Juifs religieux, les habitants ont cru qu’on allait se conduire comme les habitants d’implantation et qu’on allait mettre dehors les Arabes », s’exclame le rabbin Samet. « Rien de tel n’est arrivé, c’est très éloigné de la réalité. »
L’idée était de faire venir des personnes qui s’installeraient pour des raisons idéologiques et qui aideraient à enrichir et à renforcer la ville, ajoute-t-il.
Pour Samet, ces habitants forment un groupement spécial, « un groupe tolérant », affirme-t-il. « Tout a commencé avec un groupe d’idéalistes – l’idéalisme est quelque chose qui constitue une grande partie de notre ADN ».
Forte, aujourd’hui, de 1 200 familles qui se sont installées dans plusieurs quartiers de Lod, la communauté de la garine s’implique dans toutes sortes d’activités – repas du Shabbat le vendredi soir, Seder à Pessah et repas de fêtes organisés pour les résidents de toute la ville, mais aussi des programmes d’études dans toutes sortes de disciplines, des activités pour les enfants pour les adolescents, des services de soutien et d’aide à la personne qui ont été particulièrement importants au cours des dix derniers mois sur fond de pandémie de coronavirus.
Et les membres de la communauté de la garine de Lod réfléchissaient depuis longtemps à un projet d’appartement accueillant des adultes à besoins particuliers.
« Ici, c’est un endroit idéal pour ce type de projet », dit Benny Prinz, l’un des résidents de la communauté de la garine de Lod qui est impliqué dans cette initiative d’intégration. « Les gens qui vivent ici veulent réellement vivre dans cette communauté parce qu’ils recherchent quelque chose de plus, ils veulent vivre une expérience qui aille au-delà du simple quotidien ».
Avant de créer l’appartement, Marili et les membres de la communauté ont entrepris un large travail concernant l’intégration des personnes en situation de handicap et la responsabilité communautaire qu’implique un tel projet. Un groupe de travail de 50 personnes a été mis en place et des familles « adoptives » ont été désignées pour chacun des six résidents – un projet dont les adolescents de la communauté n’ont pas voulu rester à l’écart.
Une fois que l’équipe a trouvé un appartement à louer dans le quartier Neve Zayit, ses membres ont fait du porte-à-porte chez les voisins pour les informer de l’arrivée de ces nouveaux locataires un peu particuliers.
Tous les voisins n’étaient pas membres de la garine, et certains ont quelque peu froncé les sourcils et mis en doute la faisabilité du projet, explique Shlomit Schweitzer, habitante de Lod et membre de la garine qui est dorénavant coordinatrice de l’appartement d’intégration. « C’est un processus qui prend du temps », note-t-elle.
Il est étrange d’avoir dû autant se battre pour permettre à une situation qui devrait être normale de se mettre en place, dit Tal Rokach, qui vit à Lod depuis 16 ans avec son mari et leurs six enfants.
« On a voulu que ces gens puissent avoir un sentiment d’appartenance à l’égard de la communauté dans laquelle ils étaient appelés à vivre mais pour cela, il a fallu énormément de travail de préparation », dit-elle. « Il y a des manques aujourd’hui et il faut en être conscient ».
Et pourtant, beaucoup de choses dépendent des jeunes locataires eux-mêmes et notamment de leur propre désir d’intégration au sein de la communauté. Jusqu’à présent, les six jeunes ont confié à leurs thérapeutes qu’ils aimaient leurs familles adoptives et la manière dont ces dernières prenaient soin d’eux.
« J’ai davantage d’amis », a dit l’un des résidents. Il a déclaré qu’il faisait plus attention au respect des horaires et que sa nouvelle vie signifiait qu’il devait être également plus attentif à ce qu’il mangeait et à ce qu’il buvait chaque jour, renforçant son autonomie.
« Nous ne voulons pas seulement leur témoigner de l’amour ou de la gentillesse, nous voulons vivre avec eux »
Il y a beaucoup d’aide apportée par les membres de la garine – mais même ainsi, les six colocataires ne souhaitent pas toujours se trouver avec leurs voisins.
« Parfois, ils ne veulent pas de notre compagnie », explique Schweitzer. « Il arrive qu’ils veuillent simplement rester seuls ».
Maintenant que l’appartement de Lod a été établi, Marili travaille sur un projet similaire d’habitation pour des jeunes femmes à besoins particuliers dans la même ville – ainsi que sur des initiatives semblables à Kiryat Malachi et à Maaleh Adumim. Mais il a encore beaucoup de travail à faire à Lod.
« On tire au fur et à mesure les leçons de l’expérience et on fera d’ailleurs encore des erreurs », déclare Marili. « Apprendre ensemble, c’est le meilleur moyen de tirer les bons enseignements, avec des questions qui sont amenées à se poser et auxquelles nous devons trouver des réponses pour déterminer comment faire au mieux ».
Le coronavirus, par exemple, s’est invité de manière inattendue dans le projet. Les six colocataires sont actuellement placés à l’isolement pour quatorze jours dans un contexte de confinement national et certains de leurs voisins les plus dévoués se trouvent, eux aussi, en quatorzaine.
« Le coronavirus a, d’une certaine manière, gelé les rêves de notre communauté », commente Reut Tzuriel, membre de la garine qui s’est beaucoup impliquée dans l’initiative de l’appartement.
Une fois que les choses seront revenues à la normale, Samet explique souhaiter que l’appartement d’intégration puisse harmonieusement faire partie de sa communauté, que les hommes puissent aider à former un quorum lors des services de prières ou aider à mettre sur pied une beit midrash [une maison d’étude].
« Nous ne voulons pas seulement leur témoigner de l’amour ou de la gentillesse, nous voulons vivre avec eux », dit-il. « C’est une bonne chose pour nous, c’est une bonne chose pour nos enfants. Il s’agit de faire preuve d’humanité et d’appartenir au monde. Nous pouvons vivre en harmonie tous ensemble », ajoute-t-il.
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