Une école du Texas retire le Journal d’Anne Frank à la demande d’un groupe d’extrême-droite
Le directeur de l'école retire 676 livres, dont des textes essentiels sur la Shoah et l'antisémitisme, à la suite d'appels d'activistes conservateurs
JTA – La directrice d’un district scolaire américain de la vallée du Rio Grande, au Texas, a récemment accepté les demandes d’un groupe conservateur de retirer 676 livres, dont certains textes fondamentaux sur la Shoah et l’antisémitisme, dans les minutes qui ont suivi la réception des demandes.
Aujourd’hui, plusieurs semaines plus tard, Carol Perez a été démise de ses fonctions dans le district qu’elle dirigeait, au moment même où le gouverneur républicain du Texas approuvait le retrait de livres sur les réseaux sociaux.
Des militants conservateurs, avec à leur tête un pasteur local et fervent défenseur d’Israël, ont fait pression sur le district, Mission CISD, pour qu’il retire des livres traitant principalement du genre, de la sexualité et de la race. Leurs demandes représentent une version extrême d’une guerre culturelle nationale contre les livres qui dure depuis quelques années et qui touche un certain nombre d’ouvrages sur la religion juive.
La longue liste des livres à retirer comprend une récente adaptation illustrée du Journal d’Anne Frank, les deux volumes de Maus, la bande dessinée d’Art Spiegelman sur la Shoah, The Fixer, le roman de Bernard Malamud sur un cas historique de diffamation antisémite, et Kasher in the Rye, les mémoires de l’humoriste juif Moshe Kasher.
Les groupes conservateurs sont dirigés par le pasteur Luis Cabrera, qui est très actif dans les cercles conservateurs latinos de l’État et dont la photo de profil Instagram est actuellement une image d’un poing levé entouré du drapeau israélien. Originaire du Guatemala, Cabrera est membre de plusieurs organisations militantes chrétiennes de droite et il a publié de nombreux textes pro-Israël sur les réseaux sociaux.
Les groupes de Cabrera, les sections locales de Citizens Defending Freedom et de Remnant Alliance, plaident pour la suppression des livres sur la Shoah et l’antisémitisme, qu’ils assimilent à des livres à caractère sexuel.
Dans des emails publiés en ligne, la militante Martha Garza-Johnson a écrit à Perez le 17 mai pour lui demander de retirer une liste de 676 livres que le groupe considère comme « très sexuellement explicites » et « sales et diaboliques », en mettant en copie Cabrera et d’autres dirigeants locaux de la droite sur le message. Les groupes ont également menacé d’assister aux réunions des conseils d’administration des écoles publiques et de lire des passages explicites des livres si leurs demandes n’étaient pas satisfaites, une tactique à laquelle les militants ont eu recours dans tout le pays.
« Nous sommes ici pour collaborer avec vous », a écrit Garza-Johnson. « Nous nous dressons pour nos enfants parce que nous voulons les protéger de ces livres extrêmement vulgaires et offensants qui n’ont rien à faire dans nos écoles ».
Normalement, un district scolaire est censé soumettre les personnes qui contestent un livre à une procédure formelle de contestation au cours de laquelle chaque livre est évalué pour ses mérites. Au lieu de cela, Perez a approuvé les demandes cinq minutes après les avoir reçues.
« Nous allons certainement vérifier si nous avons ces livres à retirer », a-t-elle écrit. « Merci ! » La directrice adjointe du district a ensuite déclaré qu’elle « travaillerait avec les services de bibliothèque pour suivre les livres dans le système et les faire retirer des bibliothèques ».
Cabrera et me Garza-Johnson n’ont pas répondu aux demandes de commentaires. Un représentant du district scolaire a déclaré qu’il préparait une réponse à une liste de questions posées par la JTA, mais n’avait pas encore répondu à l’heure de parution de cet article ; on ne sait pas si le district a donné suite au retrait des livres.
Perez a été suspendue de ses fonctions par le conseil d’administration dix jours plus tard, avant de quitter officiellement le district la semaine dernière. Le différend semble toutefois porter sur les termes de son contrat et ne serait pas lié aux livres, selon la presse locale.
Les mêmes activistes ont ciblé d’autres écoles de la région avec la même liste de livres à retirer, allant même jusqu’à menacer de les poursuivre en justice. Jusqu’à présent, seule Mission semble avoir accepté de retirer les livres sur les Juifs. La semaine dernière, la campagne a attiré l’attention lorsque le gouverneur Greg Abbott a semblé approuver ses actions dans une publication sur X.
« Si un livre ne peut pas être lu à haute voix lors d’une réunion du conseil de l’Education au Texas, alors il n’y a aucune raison pour que les enfants texans le lisent à l’école », a écrit Abbott, partageant une vidéo de l’un des activistes lisant un passage d’un livre auquel ils se sont opposés lors d’une autre réunion du conseil de l’Education. Abbott a ajouté : « Les districts scolaires ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre ».
La liste des livres incriminés provient de BookLooks, un site web fondé par un ancien membre du groupe militant de droite Moms For Liberty, qui évalue les livres en fonction de leur pertinence sur une échelle de cinq points. BookLooks est souvent utilisé par les activistes du retrait de livres comme base de leur liste de livres à rejeter.
Le défi de Cabrera va plus loin que la plupart des autres : son groupe a demandé à Mission de retirer immédiatement du site tout livre ayant une note de « 2 » ou plus, même si l’administratrice du site elle-même a déclaré à la JTA que, selon elle, un livre ayant une note de « 2 » était approprié pour les élèves des collèges et des lycées. (Le journal d’Anne Frank et Maus ont tous deux obtenu un score de « 2 » sur BookLooks, les objections du site concernant ce dernier étant décrites comme « haine impliquant l’antisémitisme et le racisme ; violence ; nudité non sexuelle ; et blasphème léger/fréquent »). The Fixer et Kosher in the Rye ont tous deux reçu la note « 3 »).
Les livres juifs figurant sur la liste ont déjà fait l’objet d’une controverse sur la question de savoir si les élèves de l’enseignement secondaire devraient pouvoir y avoir accès. Des districts de Floride et du Texas ont interdit The Diary of Anne Frank : The Graphic Adaptation et ont sanctionné un enseignant pour en avoir lu un extrait. Maus est devenu temporairement un symbole public des interdictions de livres après avoir été retiré du programme scolaire des collèges par un district du Tennessee. Il a également été visé dans un district du Missouri. The Fixer a été brièvement retiré d’un district de Caroline du Sud dans le cadre d’une autre purge de masse basée sur BookLooks, avant qu’un comité ne vote sa réintégration.
Au niveau national, les suppressions de livres motivées par la guerre culturelle continuent d’être l’un des principaux moteurs de la législation des États et des élections locales. Dans l’Iowa, qui a récemment adopté une loi sur l’enseignement relatif à la Shoah, une récente enquête du Des Moines Register a révélé que les districts avaient retiré des documents sur le thème de la Shoah, dont Maus, Le choix de Sophie, le roman pour jeunes adultes de 1973 L’été de mon soldat allemand de l’auteure juive Bette Greene, et un DVD de « La liste de Schindler », à la suite d’actions de lobbying de la part d’activistes. Certains de ces articles ont ensuite été remis en rayon.