Une famille qui a perdu un fils à Sandy Hook lutte contre la théorie du complot
Après la mort de son fils de 6 ans lors de la fusillade dans son école, Lenny Pozner a créé HONR Network pour protéger la mémoire des victimes et leurs familles des mystificateurs
NEW YORK – Depuis qu’un homme armé a ôté la vie à Noah Pozner dans le massacre de l’école primaire Sandy Hook, son père Lenny a passé sa vie à courir, essayant de garder un temps d’avance sur les théoriciens du complot.
Sur les 20 élèves de CP assassinés le vendredi 14 décembre 2012 au matin, Noah était le plus jeune. Lui et sa sœur jumelle venaient d’avoir six ans. Après la fusillade de masse, Pozner, son épouse de l’époque, Véronique De La Rosa, et leurs deux filles ont essayé de se protéger pour pleurer cette perte très médiatisée. Malheureusement, l’animateur de radio théoricien du complot Alex Jones ainsi que d’innombrables autres individus de son espèce nourrissaient d’autres projets pour la famille.
Ils ont affirmé que les 20 enfants et les six adultes tués à Sandy Hook étaient des acteurs de crise, que la fusillade n’avait jamais eu lieu et que l’école était en fait un plateau de tournage. Ils ont prétendu qu’il s’agissait d’un complot du gouvernement visant à restreindre les libertés civiles et le Deuxième amendement. Mais pour Pozner, la tactique la plus sinistre employée par ces personnes – encore plus que leurs menaces de mort constantes – était leur affirmation insistante que Noah n’avait jamais existé.
Ce père de 51 ans s’est senti obligé de protéger la mémoire de son fils. Il a affiché la preuve de la vie et de la mort de son fils aux yeux bruns sur Internet au moyen de son bulletin de la maternelle et de ses certificats de naissance et de décès. Mais à cause de la haine et des menaces personnelles, lui et sa famille ont été forcés de déménager plusieurs fois. Même maintenant, il se prépare à nouveau à déménager : ce sera la sixième fois en plus de six ans.
En raison du tumulte provoqué par Jones et d’autres, Pozner a décidé de s’attaquer aux théoriciens du complot. En 2014, Pozner fonde alors HONR Network pour sensibiliser les gens à « la cruauté et à la criminalité des activités abusives que les victimes et leurs familles subissent de façon scandaleuse depuis les violentes tragédies de masse comme Sandy Hook ».
Selon une étude réalisée en 2014 par l’université de Chicago, près de 50 % du public américain soutient au moins une théorie du complot. Les chercheurs ont constaté que ce pourcentage était passé à 61 % lorsqu’ils ont renouvelé l’étude en 2018. Une équipe de recherche de l’université de Cambridge a constaté des résultats similaires lorsqu’elle a interrogé des citoyens britanniques.
Les théoriciens du complot (ou « truthers » comme ils se définissent eux-mêmes, soit « diseurs de vérité »), répandent des rumeurs telles que l’ancien président Barack Obama n’est pas un citoyen américain, Hillary Clinton a dirigé un réseau de prostitution pédophile depuis les toilettes d’une pizzeria et le 11 septembre n’a jamais eu lieu.

Les Pozner ont obtenu un certain degré de justice.
Lucy Richards, résidente de Floride, a récemment été reconnue coupable et condamnée à cinq mois de prison et à cinq autres mois d’assignation à résidence pour avoir proféré des menaces de mort sur le téléphone portable de Pozner. Pozner et son ex-femme ont également porté plainte en diffamation contre Jones pour un montant de plus d’un million de dollars. L’affaire est en cours de jugement par le tribunal fédéral d’Austin, au Texas.
De plus, en 2018, HONR Network a signalé 2 568 vidéos à YouTube et en a fait supprimer 1 555. L’association à but non lucratif s’en est également pris à ceux qui répandent des théories conspirationnistes sur l’attentat à la bombe du marathon de Boston, et les fusillades de l’Aurora Theater et de la boîte de nuit Pulse de Miami.

Malgré cela, Pozner et De La Rosa estiment que les plateformes de réseaux sociaux réagissent trop lentement. L’année dernière, ils ont écrit une lettre ouverte au PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, pour implorer l’entreprise de supprimer les comptes de personnes telles que Jones.
« Nous sommes incapables de faire le deuil de notre bébé ou de passer à autre chose parce que vous, sans doute l’homme le plus puissant de la planète, avez jugé que les attaques contre nous sont immatérielles, que nous aider à éliminer les menaces en ligne est trop fastidieux et que nos vies sont moins importantes que de fournir un abri sûr à la haine, » ont-ils écrit.
La conversation suivante a été révisée par souci de concision et de clarté.

Vous avez écrit avec éloquence à quel point le deuil est un processus personnel, mais vous avez été forcé de le faire d’une manière si publique. Pouvez-vous nous dire comment les théoriciens du complot et les mystificateurs ont volé à votre famille sa possibilité de faire son deuil ?
Notre possibilité de faire notre deuil a été détournée en partie par la nature de la mort de Noah. Tout le pays était en deuil, les funérailles sont devenues un spectacle médiatique. Nous n’avions tout simplement pas l’intimité et le calme dont nous avions besoin pour faire pleinement notre deuil.
Mais, bien sûr, les attaques des mystificateurs étaient si choquantes et inattendues que nous étions pris de court. J’ai appris très vite qu’il n’y a pas de différence significative entre les agressions hors ligne et en ligne.
Veronique et vous avez écrit une lettre en 2018 à Facebook demandant pourquoi ils n’avaient pas chassé Alex Jones de la plateforme. Quelles mesures ont-ils prises depuis pour s’attaquer aux théories du complot, aux discours de haine et consorts ?
Après la lettre ouverte à Mark Zuckerberg, Facebook a pris des mesures pour reconnaître les victimes d’événements de masse comme étant un groupe protégé, ce qui a toujours été l’un des objectifs principaux du HONR Network.
Bien que Facebook ne divulgue pas ses efforts internes pour rendre sa plateforme plus sûre, nous travaillons avec les modérateurs de contenu et les décideurs politiques de Facebook. J’apprécie tout particulièrement que notre relation ait évolué.

Mon objectif pour l’année à venir est de m’impliquer davantage dans les décisions politiques avec toutes les plateformes en ligne, de voir les victimes d’événements de masse protégés sur Internet, et de produire des contenus pédagogiques qui aideront les gens à identifier et à éviter les contenus mis en ligne par des mystificateurs.
Certains partisans de la liberté d’expression disent qu’ils préféreraient que les haineux, les conspirationnistes soient là où nous pouvons les voir plutôt que dans la clandestinité – comment réagissez-vous à cela ?
Je suis un partisan de la liberté d’expression. J’ai également le droit légal d’être à l’abri du harcèlement, de la diffamation et des attaques, et le « droit » de quelqu’un à la liberté d’expression n’a pas priorité sur mes droits.

Le défi que pose l’appui aux théoriciens du complot et aux mystificateurs qui ne se cachent pas, c’est qu’être en ligne légitime leur position. Cela leur permet d’entrer en contact avec des personnes innocentes, facilement manipulables, ou des personnes victimes de troubles mentaux qui peuvent être endoctrinées et manipulées avec beaucoup plus de facilité.
C’est exactement ce qui s’est passé. Dans la plupart des cas, ce n’est pas le mystificateur original qui fait des menaces de mort, qui enregistre des enfants sur vidéo ou qui s’en prend à ma famille [en publiant des informations privées] – ce sont les abonnés de ces comptes.
Êtes-vous en contact avec d’autres personnes ciblées par les théoriciens du complot, comme des familles de Parkland ou du
Pulse ?
Oui, j’ai fondé HONR Network pour fournir aux survivants et aux familles des victimes d’événements de grande envergure un réseau de professionnels qui puisse répondre à leurs besoins spécifiques, ainsi que pour assurer une liaison entre eux et les opérateurs des réseaux sociaux. Nous sommes également en contact avec des personnes qui ont été victimes de haine, harcèlement, cyber-intimidation, pornodivulgation et cyber-harcèlement.
Pourquoi en êtes-vous venu à combattre les théoriciens du complot et les mystificateurs ?
Au départ, je me suis employé à fournir des preuves aux personnes qui avaient été victimes des mystificateurs et atteintes par cette tragédie.
En août 2014, nous avons réorienté nos efforts vers la suppression de contenus avec une grande efficacité. La démystification consiste à convaincre les mystificateurs, mais comme ils sont motivés par l’appât du gain ou le déni, aucune preuve ne leur suffit.
La démystification consiste à convaincre les mystificateurs, mais comme ils sont motivés par l’appât du gain ou le déni, aucune preuve aucune preuve ne leur suffit
Que voudriez-vous que le grand public comprenne au sujet des dégâts causés par les mystificateurs ?
Les mystificateurs salissent la vérité, incitent à la haine et au harcèlement et tentent de réécrire l’histoire en fonction de leur propre cause. Mais ce qui est peut-être plus important pour le commun des mortels, c’est que lorsque ces types de persécution peuvent se produire en ligne, tôt ou tard, elles peuvent elles-mêmes être ciblées, les membres de leur famille peuvent être ciblés, leur entreprise ou leurs moyens de subsistance peuvent être ciblés. C’est l’incarnation de la citation de Martin Niemöller (« Quand ils sont venus chercher… »). Si vous restez assis silencieusement à regarder pendant que d’autres sont persécutés, il n’y aura peut-être plus personne pour vous aider lorsque vous deviendrez la victime.
De votre point de vue, que souhaiteriez-vous que les services chargés de l’application de la loi fassent pour mieux lutter contre la cybercriminalité de moindre ampleur ?
Il est important de préciser. Il n’y a pas de cybercriminalité de « moindre ampleur ». Quiconque a déjà subi la cybercriminalité ne la considère pas comme de « moindre ampleur ». C’est ainsi que les forces de l’ordre ont tendance à considérer la cybercriminalité, sans importance. Le fait est que ce type de crime détruit la vie personnelle et professionnelle d’une victime. Dans la plupart des cas, une fois l’attaque terminée, la guérison peut commencer, mais avec ce type de cybercriminalité, il n’y a pas de fin. Les messages et les photos peuvent rester en ligne pendant des années, voire des décennies, et persécuter continuellement une personne.

Des lois commencent à être adoptées pour protéger les victimes, soit en élargissant les lois actuelles contre le harcèlement ou la diffamation, soit en élaborant de nouvelles lois, comme dans le cas de la pornodivulgation. Toutefois, les juristes se servent de la jurisprudence pour juger les affaires. Étant donné que ces lois sont nouvelles et que les crimes, largement mal compris par les juges qui ont tendance à être âgés et peut-être moins rôdés en informatique, il peut être presque impossible d’obtenir justice.
En outre, les services de détection et de répression doivent être formés pour comprendre que le fossé entre la criminalité hors ligne et en ligne n’existe plus. Nous acceptons les crimes perpétrés en ligne (harcèlement, diffamation, intimidation, terrorisme et cyber-exploitation), que nous n’accepterions jamais hors ligne. Souvent, les forces de l’ordre ne reconnaissent pas les effets très réels qui se répercutent hors ligne. La police continue de dire aux gens d' »éteindre l’ordinateur » pour se protéger contre la criminalité en ligne, ce qui est ridicule et totalement inefficace.
En Europe, il est illégal de diffamer les morts. Quelles sont les mesures engagées par HONR Network pour faire adopter une telle législation aux Etats-Unis ?
Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur les efforts visant à faire des victimes d’événements faisant un grand nombre de victimes ou d’actes de violence de masse une catégorie de personnes protégée. Cela empêcherait les mystificateurs et d’autres personnes d’attaquer davantage les victimes ou d’utiliser le nom ou l’image de la victime pour promouvoir leur cause personnelle.
La couverture médiatique a porté en grande partie sur le 14 décembre 2012, et les jours suivants, la vie des victimes n’a pas été abordée. Comment était Noah ? Qu’est-ce qui le passionnait ? Quelles étaient ses activités, ses lectures et ses jeux préférés ?

Noah était un garçon curieux, plein de vie et d’émerveillement. Il voulait toujours connaître le « comment » et le « pourquoi » des choses. Il était très attentionné, il aimait les animaux et sa famille. Bien sûr, il avait un lien spécial avec sa sœur jumelle. Il adorait les super-héros, les camions et jouer dehors. C’était un petit garçon charmant, énergique et joyeux. On ne pouvait s’empêcher de sourire quand on était près de lui.
Expliquez-moi plus en détail comment vous espérez que l’héritage durable de Noah prendra la forme d’une augmentation des droits des victimes.
Les familles endeuillées ont le droit de faire ce travail dans la paix et la dignité. C’est ma position depuis le premier jour. Malheureusement, les familles des victimes sont privées de cette dignité humaine fondamentale et font l’objet d’un harcèlement indescriptible sur une base continue.
Ces prédateurs exploitent la vulnérabilité et le chagrin des victimes pour faire avancer leurs propres causes, augmenter leur compte en banque ou s’en servent simplement comme d’un sport malsain.
J’espère que le travail que je fais en l’honneur de Noah finira par neutraliser la capacité de ces prédateurs à utiliser Internet pour infliger d’autres préjudices aux personnes qui n’ont commis aucun crime et qui veulent simplement pleurer leurs proches en paix et vivre le reste de leur vie paisiblement.
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