Une habitante de Reim envisage le retour au kibboutz
L'artiste textile Reut Nechushtan parle des défis de la vie urbaine pour une communauté agricole forcée de fuir après les horreurs du 7 octobre - avec un exil à Tel Aviv qui s'éternise

Le 8 octobre 2023, Reut Nechushtan et sa famille étaient en train de quitter leur maison du kibboutz Reim, après que les terroristes du Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël, lorsqu’une cliente a appelé Reut au téléphone pour lui parler d’un oreiller rose qui était arrivé couvert de poussière.
« Elle ne savait pas que j’étais de Reim », s’exclame Nechushtan. « Mais quand même ? Qui s’intéresse à des oreillers au lendemain du 7 octobre ? ».
Dans les jours qui ont suivi le terrifiant massacre, d’autres clients ont passé des commandes sur le site de textiles d’intérieur de Nechushtan, qui envoyait parfois un message disant qu’elle venait de Reim et qu’elle ne pourrait pas accéder à son stock pendant un certain temps.
Certains réagissaient avec compassion, se souvient Nechushtan. Mais d’autres lui disaient : « D’accord, s’il vous plaît, rendez-moi mon argent ».
Aujourd’hui, 16 mois plus tard, Nechushtan, 56 ans, son mari Michael et leurs deux adolescents, ainsi que ses parents âgés et son frère, vivent dans plusieurs appartements situés au même étage dans l’une des deux tours d’habitation voisines à Tel Aviv où ils se sont installés avec le reste du kibboutz Reim depuis décembre 2023.
Des cartons de housses d’oreiller et de draps sont empilés dans le petit appartement de Nechushtan. Elle gère désormais son entreprise depuis le canapé-lit de leur salon, qui fait office de bureau.
Nechushtan aime regarder à travers la porte coulissante en verre qui s’ouvre sur leur étroit balcon et elle aime contempler le grand ciel de Tel Aviv, ou jeter un coup d’œil dehors pour voir ses amis assis sur leurs balcons.

« Nous nous sommes serré les coudes en tant que communauté », déclare Nechushtan, qui a parlé au Times of Israel à plusieurs reprises dans les semaines qui ont précédé le récent accord de cessez-le-feu, qui a ouvert la porte à la libération des otages. « Ça a aidé à la guérison. »
Reim a été l’une des premières communautés de kibboutziks à quitter l’hôtel d’Eilat où elle avait été évacuée dans les jours qui avaient suivi l’attaque du Hamas, lorsqu’il était devenu évident que les habitants du sud devaient être déplacés à long terme.
Alors que le kibboutz passait au crible les différentes options – notamment la ville de Kiryat Gat, au sud, où les membres du kibboutz Nir Oz se sont collectivement réinstallés, un immeuble résidentiel de Beer Sheva qui ne disposait pas d’abris anti-missiles et la ville de Pardes Hanna, au nord – l’option de Tel Aviv, bien que la plus inhabituelle pour une communauté composée en grande partie d’agriculteurs, a été la plus sensée.
La ville était plus accessible au sud et chaque appartement disposait de son propre abri.
« Les gens disaient : ‘Tel Aviv, vous êtes fous ? Il n’y a aucune chance que nous allions au sud de Tel Aviv’ », se rappelle Nechushtan. « Je n’étais pas certaine non plus. Je connaissais la rue Herzl et je ne pensais pas que c’était un endroit idéal pour vivre. Cela me paraissait fou. »
Des kibboutzniks traumatisés à Tel Aviv
Les deux tours résidentielles qui accueillent la communautés de Reim sont situées sur la rue Herzl, dans le quartier de Florentin à Tel Aviv, une zone qui a connu un certain embourgeoisement ces dernières années. À l’époque, les immeubles n’étaient pas encore prêts à accueillir des résidents, mais les promoteurs ont montré qu’ils étaient prêts, pour leur part, à accélérer le processus pour le kibboutz.
Il y avait également un bâtiment communautaire à proximité des tours, connu sous le nom de Beit Beer, une maison historique rénovée qui pouvait servir au kibboutz d’espace communautaire, avec suffisamment de place pour accueillir deux jardins d’enfants, un dispensaire, des salles pour organiser des activités, et une petite cuisine et salle à manger communes.
C’était un endroit où tout le monde pouvait se rendre lorsque les gens se sentaient trop enfermés dans leurs appartements de 50 mètres carrés.
« C’est ce qui a convaincu tout le monde », explique Nechushtan.

Nechushtan, artiste textile et importatrice israélienne de la marque australienne de textiles d’intérieur Kas, a grandi à Reim et s’est installée à Tel Aviv lorsqu’elle était une jeune adulte pour suivre des cours de l’école supérieure d’ingénierie, de design et d’art Shenkar. Elle a ensuite travaillé dans le domaine du design textile, où elle a rencontré son mari.
Pendant des années, ils ont vécu à Tel Aviv, où leurs deux enfants sont nés et où ils ont grandi, jusqu’à ce qu’ils décident, en 2008, de retourner à Reim, à la recherche d’un mode de vie plus calme et pour se rapprocher des parents et du frère de Nechushtan, qui vivaient toujours au kibboutz.
Le 7 octobre, toute la famille de Nechushtan a survécu à l’assaut qui avait été lancé par des milliers de terroristes du Hamas qui avaient envahi les communautés du sud d’Israël, massacrant 1 200 personnes et prenant 251 otages emmenés en captivité dans la bande de Gaza.
Ce matin-là, une centaine de terroristes avaient envahi le kibboutz Reim, où ils avaient brûlé des maisons, tué sept habitants et emmené cinq otages à Gaza. La route 232, à l’extérieur de la communauté, avait été prise par les terroristes – qui y avaient laissé de nombreux corps sans vie, notamment dans le cadre du massacre des fêtards qui étaient venus au festival de musique électronique Nova, à proximité, et qui avaient tenté d’échapper aux hommes armés.
Varda Haramati, 80 ans, dont la fille, Ayelet, est la meilleure amie de Nechushtan, avait été l’une des victimes du kibboutz.
Le petit-fils de Varda, Roy Mizrahi, se cachait dans son appartement du kibboutz le 7 octobre, tandis que les terroristes utilisaient la cour extérieure comme quartier général dans leur combat contre les forces de sécurité israéliennes.
« Mon amie pense que sa mère décédée a veillé sur son petit-fils parce qu’il se cachait juste là, alors que les terroristes utilisaient sa cuisine comme salle d’opérations », indique Nechushtan.
Deux adolescents du kibboutz avaient été assassinés ce jour-là, et bien que ses propres enfants aient survécu, elle a l’impression que « les enfants assassinés sont mes enfants, il est impossible d’imaginer la vie sans eux », dit-elle.
Nechushtan pense à l’équipe d’urgence du kibboutz, un groupe de personnes ordinaires qui se sont armées pour protéger le reste de la communauté.
« On pense à eux et à ce qu’ils font pour nous », déclare-t-elle. « On pense au pouvoir de la communauté et à ce que l’on ressent dans un kibboutz, où l’on est toujours engagé les uns envers les autres. »

Espaces urbains
Nechushtan faisait partie de la commission chargée de la préparation des appartements de Tel Aviv où les membres du kibboutz Reim ont trouvé refuge après le massacre. La plupart des appartements étaient très petits, certains ayant été attribués par deux à des familles plus nombreuses – l’un pour dormir et l’autre pour servir d’espace familial.
« Ce n’est pas confortable », dit Nechushtan. « Ce n’est pas comme vivre dans un kibboutz. »
Des donateurs israéliens issus du milieu bancaire et de la tech locaux ont financé et aidé à organiser l’achat de meubles et d’articles ménagers pour chaque appartement, notamment des lits, des placards et des canapés-lits, ainsi que tous les ustensiles de cuisine et de ménage.
« Tout le monde a reçu les mêmes articles », indique Nechushtan. « Nous devions faire en sorte que les gens entrent dans leur nouvelle maison et qu’ils y trouvent tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, jusqu’au lait, au beurre, au pain, aux œufs et aux légumes, afin qu’ils n’aient pas besoin de sortir le premier jour. »

Certains membres du kibboutz n’ont pas quitté leur appartement pendant plusieurs jours après avoir emménagé, raconte Nechushtan.
Ils ont fini par se promener dans le quartier, découvrant les magasins locaux, la plage voisine, les parcs et les terrains de jeux. Le premier vendredi, leurs nouveaux voisins ont déposé des fleurs et des challah devant chaque porte.
« Les débuts ont été difficiles », se souvient Nechushtan. « Les appartements n’étaient pas superbes, mais on s’habitue à tout. On n’imagine pas ce qu’on est capable de gérer, mais nous avons nos forces. Nous ne les utilisons pas toujours parce que nous espérons ne pas avoir à le faire. »
Nechushtan a dû faire face à ses propres problèmes personnels au cours des premières semaines. Son mari a été opéré à l’hôpital Soroka de Beer Sheva pendant qu’elle préparait les nouveaux appartements du kibboutz. Ses enfants ont eu du mal à manger et à dormir dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre.
« Je reste calme, c’est ce que je fais, c’est ce qui marche pour moi », note Nechushtan.
Elle attribue sa capacité à rester calme, même face à l’adversité et aux bouleversements, au fait qu’elle s’est habituée pendant des années aux attaques de roquettes dans le sud.
« Tous les habitants d’Eshkol ont ce sens de la résilience », précise Nechushtan, en référence à la région du nord-ouest du Néguev qui fait partie de l’enveloppe israélienne de Gaza. « Nous savons tous comment faire face à de terribles conflits. »
« Lorsqu’il y avait des missiles à Tel Aviv, les gens devenaient fous », dit Nechushtan. « Mais nous avons appris à y faire face, nous savons comment en parler à nos enfants. Nous avons appris, dans les moments difficiles, à trouver notre propre force et notre propre résistance, et c’est ce qui nous permet de nous sentir plus puissants. »

Le prochain chapitre
Certaines des 400 familles de Reim sont déjà retournées au kibboutz. Les appartements de Tel Aviv ne sont à leur disposition que pour quelques mois encore.
D’autres ont décidé d’attendre la fin de l’année scolaire, tandis que d’autres encore passent les week-ends à Reim et les jours de la semaine à Tel Aviv, où leurs enfants sont scolarisés.
Nechushtan et son mari resteront dans la région de Tel Aviv une année de plus, car leur fils aîné étudie à Shenkar, à Ramat Gan, où le mari de Nechushtan enseigne, et leur cadet ne sera plus à la maison l’année prochaine.
Elle n’est pas sûre de pouvoir continuer à faire fonctionner son entreprise de textile. Elle a pu transférer ses stocks de son unité de stockage du kibboutz à plusieurs entrepôts situés à proximité, mais il est de plus en plus difficile de compter sur les importations en provenance d’Australie.

Elle est cependant certaine de vouloir retourner à Reim. La famille y est retournée un week-end récemment pour que son fils cadet puisse passer son examen de conduite de tracteur avec le reste de ses camarades de lycée – un rite de passage pour les enfants des kibboutz.
À ce stade, chaque famille de kibboutz choisit sa propre voie. L’une d’entre elles vit en Thaïlande depuis plus d’un an, tandis qu’une autre a passé six mois en Grèce. Elle est rentrée chez elle.
Les habitants ont déjà marqué l’anniversaire des personnes tuées le 7 octobre, et les familles et les amis ont désormais pris l’habitude de se réunir le jour de l’anniversaire des défunts – car il y aurait trop de cérémonies commémoratives auxquelles il faudrait assister le 7 octobre.
Pour l’instant, Nechushtan dit qu’elle n’a pas de grande vision, pas de rêve.
« Je suis encore en plein dedans. Tous les otages ne sont pas encore rentrés », dit-elle.
« Tout semble aller bien, nous avons l’air normal, nous vivons, nous travaillons », dit-elle. « Quand on va à Reim, on a l’impression d’être revenu à cette journée ; c’est un grand cimetière où que l’on aille. Mais je m’y sens toujours bien, c’est ma maison ».
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