Israël en guerre - Jour 465

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Une inscription moabite constituerait la première écriture du mot « Hébreux »

L'autel cylindrique de 3 000 ans retrouvé en Jordanie constitue également la première preuve de texte moabite — et pourrait dresser un autre portrait de la géopolitique du Levant

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

  • L'autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l'ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation : Adam Bean)
    L'autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l'ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation : Adam Bean)
  • L'autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l'ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation : Adam Bean)
    L'autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l'ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation : Adam Bean)
  • Le sanctuaire moabite et la structure en escalier sur le site de Khirbat Atarus dans le centre de la Jordanie. (Autorisation)
    Le sanctuaire moabite et la structure en escalier sur le site de Khirbat Atarus dans le centre de la Jordanie. (Autorisation)
  • Vue aérienne du site de Khirbat Atarus dans le centre de la Jordanie. (Crédit : APAAME)
    Vue aérienne du site de Khirbat Atarus dans le centre de la Jordanie. (Crédit : APAAME)

La première apparition écrite du mot « Hébreux » a peut-être été retrouvée sur un autel moabite gravé découvert lors de fouilles en cours sur le site biblique d’Ataroth (Khirbat Atarus) en Jordanie. Les deux inscriptions moabites datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l’ère commune présentes dans la pierre cylindrique font figure de preuves historiques tangibles d’une bataille épique.

D’après l’article du chercheur Adam Bean paru dans la revue Levant à ce sujet, « Un autel gravé issu du sanctuaire moabite de Khirbat Atarus », ces inscriptions nous éclaircissent davantage sur les conséquences sanglantes de la conquête d’Ataroth décrite sur la célèbre stèle de Mesha et dans la Bible. Dans le Deuxième livre des Rois (3:4-5), après la mort du roi Ahab d’Israël (dont le règne a duré de 869 à 850 environ avant l’ère commune), le roi Mesha de Moab se rebelle contre l’hégémonie israélite mais se voit vaincu.

Les deux récits, néanmoins, font état de deux vainqueurs différents. D’après celui de la stèle de Mesha, le roi moabite, par vengeance, rase la ville et en annihile ses habitants, pour la repeupler ensuite.

Pour Adam Bean, ces deux nouvelles inscriptions — la première preuve encore existante de texte moabite déchiffrable — pourraient être des registres de butins  et une description des peuples conquis. Si son interprétation est la bonne, les Hébreux pourraient figurer parmi ces peuples.

En plus de la stèle de Mesha, ces inscriptions constituent des preuves solides mettant en doute le récit biblique.

Prof. Christopher Rollston inspecte l’autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l’ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite de Khirbet Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation)

« Les inscriptions sur ce ‘piédestal’ sont issues du site présenté par le roi Mesha dans sa stèle comme un site qu’il a pris aux Omrides puis reconstruit ! » explique le Prof. Christopher Rollston dans un courriel au Times of Israel. « Ce qui est également fascinant, c’est que ces inscriptions sont non seulement en langue moabite, mais également en alphabet moabite primitif ».

Rollston considère que l’inscription d’Atarus complète le récit de la stèle de Mesha « et donne même une preuve de la véracité des affirmations de Mesha ». Si l’on tient compte de la présence de la langue moabite sur l’autel, « Les Moabites règnent assurément sur Atarus », indique l’expert.

Gravé de sept lignes de texte dans deux inscriptions distinctes, l’autel cylindrique de 50 cm de haut et 18,5 cm de diamètre aurait servi pour brûler de l’encens. Il a été découvert dans un modeste bâtiment carré que le directeur des fouilles de Khirbat Atarus, Chang-ho Ji, décrit comme un simple sanctuaire, ou peut-être un site moabite sacré en l’honneur de la bataille historique, écrit-il dans son article paru dans la revue Levant, « A Moabite sanctuary at Khirbat Ataruz, Jordan: stratigraphy, findings, and archaeological implications » [Un sanctuaire moabite à Khirbat Atarus, Jordanie : stratigraphie, découvertes et implications archéologiques].

Le sanctuaire, une pièce de 4,8 m x 4,9 m, a été érigé au plus haut point de la ville, écrit Chang-ho Ji, et était doté d’une plateforme, un autel, servant de tables et de foyer pour le feu. Le petit autel gravé a été retrouvé in situ dans une couche sédimentaire que Chang-ho Ji, ainsi que d’autres éminents archéologues, date des 9e–8e siècles avant l’ère commune d’après la stratification, la datation carbone et la typologie de la poterie.

En termes de contenu et de langue, ces inscriptions constituent un chaînon manquant entre la stèle de Mesha et les textes moabites ultérieurs tels que ceux retrouvés sur l’autel à encens de Khirbet Mudineyah.

Le sanctuaire moabite et la structure en escalier sur le site de Khirbat Atarus dans le centre de la Jordanie. (Autorisation)

Les autels à encens sont assez répandus à l’époque, indique l’épigraphiste et historien Michael Langlois au Times of Israel, « mais peu arborent des inscriptions, ce qui rend cette découverte encore plus intéressante ».

« Les lettres de ces inscriptions sont différentes de celles de la stèle de Mesha, et de moins bonne qualité. L’autel n’est pas censé être une stèle de victoire grandiose comme celle de Mesha, et les scribes ici sont moins bons, mais de telles inscriptions restent néanmoins de grande valeur pour mieux comprendre la culture, l’histoire, la langue et la religion de ces peuples anciens », explique Michael Langlois, qui n’a pas participé à l’article paru dans Levant, mais s’est rendu en Jordanie pour examiner l’autel lors de son excavation en 2010.

Le professeur Rollston souligne à quel point ces inscriptions sont importantes pour avoir une image plus holistique de la région, « Lorsque l’on combine le contenu biblique du Livre des Rois, de la stèle de Mesha Stele et les inscriptions d’Atarus, on obtient une image complète, dans laquelle on peut relier les preuves bibliques et épigraphiques et en apprendre beaucoup sur la géopolitique du monde levantin de la fin du 9e siècle et du début du 8e avant l’ère commune ».

Qu’est-ce que la stèle de Mesha et que s’est-il passé à Ataroth ?

Aujourd’hui présent au musée du Louvre, la stèle de Mesha en basalte noir a été découvert en 1868 dans les ruines de la ville jordanienne biblique de Dibôn. Dans une série d’événements dignes d’Hollywood, la tablette de 1,15 mètre de haut et 60-68 centimètres de large a été détruite par des Bédouins en colère, qui l’ont finalement revendue en petits morceaux au plus offrant. Seules 700 environ des près de 1 000 lettres moabites subsistent, dont certaines, bien que ce soit l’œuvre d’une main professionnelle, sont illisibles en raison des dégâts infligés.

La stèle commémorative a été commandée par le roi Mesha et provient de l’ancien moabite du 9e siècle avant l’ère commune, explique Rollston dans son e-mail au Times of Israel. Rédigé en hébreu mais dans la langue moabite, le texte « concorde de façon remarquable avec le contenu du Livre des Rois et a fourni de nombreuses informations supplémentaires sur ces versets laconiques de la Bible ».

Une réplique de la stèle de Mesha à l’Institut oriental de Chicago. L’original en basalte datant du 9e siècle avant l’ère commune se trouve au Louvre. (Crédit : wikipedia commons via Taylor & Francis Group)

Écrit depuis la perspective d’un roi victorieux, le texte dépeint une Ataroth reconquise au Royaume du Nord israélite qui l’avait conquise pour étendre ses frontières.

« D’après les propres mots de Mesha présents sur la stèle, les Moab se sont rebellés contre le joug d’Israël et ont obtenu leur indépendance », relate Rollston, qui fait partie des auteurs de l’article de Levant.

Comme Adam Bean y écrit que, sur la stèle, « Mesha souligne qu’il s’est battu contre la ville, l’a conquise et tué l’ensemble de la population avant de ramener une sorte d’objet de culte pillé pour le présenter à son dieu Kamosh à Qiryaten. Mesha y indique également qu’il y a installé la population de Sharon et de Maharot ».

Les inscriptions mises au jour semblent reprendre l’histoire racontée après ma reconquête d’Ataroth par Mesha et donnent « de nouvelles preuves historiques importantes de l’occupation moabite d’Ataroth au 9e siècle avant l’ère commune », écrit le doctorant.

L’autel est néanmoins endommagé, tout comme les deux inscriptions, compliquant toute lecture et les rendant quelque peu hypothétiques.

Utilisant les symboles numéraires hiératiques égyptiens entremêlés de mots alphabétiques, l’Inscription A « semble lister dans un tableau de petites quantités de métal, probablement dans un but lié au contexte cultuel de l’inscription », écrit le chercheur en études proche-orientales de l’université Johns Hopkins à Baltimore et professeur adjoint invité en études bibliques au Milligan College dans le Tennessee.

Adam Bean, doctorant à l’UFR d’études proche-orientales de l’université Johns Hopkins de Baltimore (États-Unis), et le principal auteur d’un article sur un autel gravé retrouvé en 2010 dans un sanctuaire moabite du site archéologique de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie. (Autorisation)

Il a déchiffré l’Inscription A ainsi : « Pour/avec 8 shekels de bronze/Et ça : 2 shekels de bronze/Butin total : 10« . Dans la revue Levant, il remarque avec sarcasme que « On peut affirmer qu’au moins le scribe savait faire des additions ».

L’Inscription B, plus détériorée, est perpendiculaire à la première et « semble potentiellement dédicatoire et/ou commémorative, mais reste largement énigmatique », écrit-il.

Son interprétation très hypothétique de l’Inscription B est la suivante :
4 + 60 des Hébreux…
Et 4 000 hommes étrangers ont été dispersées et abandonnés en grand nombre De la ville désolée… qui… une offrande brûlée/un autel à encens
Territoire acquis… »

Avec l’autorisation du Département des antiquités de Jordanie, les inscriptions endommagées ont été photographiées par Adam Bean au moyen de la technologie de Reflectance Transformation Imaging (RTI) lorsqu’il a examiné l’autel au musée archéologique Madaba en Jordanie. Cette technique d’imagerie a permis à son équipe de souligner les ombres et les contrastes pour faire ressortir le texte gravé. Les fichiers seront bientôt partagés à la communautaire universitaire.

« D’après notre analyse, nous en avons conclu que l’Inscription A a été réalisée en premier, puis est venue l’Inscription B, qui recouvre une partie de la A. Mais nous ignorons combien de temps s’est écoulé entre les deux. Il est même possible que l’autel a été extrait d’un autre contexte avant d’être gravé », explique Adam Bean.

Il concède qu’en dépit de sa présence sur un objet cultuel, « le texte ne paraît pas monumental en soi ». Autres éléments inhabituels découverts dedans : les numérations et abréviations hiératiques, dont Adam Bean dit qu’on les retrouve « le plus souvent dans des contextes banals, tels que les ostraca économiques ».

L’autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l’ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation : Adam Bean)

« Cela étant, l’une de nos hypothèses, c’est que l’Inscription A, qui recense des quantités de métal (bronze, nous supposons) et attribue donc des offrandes. Comme nous le soulignons dans l’article, il s’agit juste d’hypothèses de travail à considérer », précise l’expert.

Qui d’autre a vécu à Ataroth : les Peuples de la mer, les Philistins, les Israélites ?

Ces nouvelles inscriptions ainsi que d’autres artefacts archéologiques pourraient corroborer les récits bibliques et celui de la stèle de Mesha au sujet des habitants précédents d’Ataroth avant sa conquête par Mesha.

D’après Rollston, « la stèle de Mesha mentionne également que les ‘Gadites’ ont vécu en terre ‘[d’]Ataroth (Atarus par ex.) depuis toujours et que le roi d’Israël avait construit ‘Ataroth (Atarus) pour lui' ». Il précise que la tribu de Gad était une tribu israélite qui s’était vu octroyer des terres dans la région, comme il est relaté dans Joshua 4:12. « Puis Mesha note qu’il a repris la ville, tué la population gadite et en a fait une ville moabite », explique Rollston.

L’archéologue Ji, également doyen de La Sierra University à Riverside, en Californie, a fait savoir que, dans des couches antérieures à celles où était renfermé l’autel, se trouve un temple non moabite de l’âge de fer A. Il ne sait pas s’il est l’œuvre des Israélites, des Gadites, ou même d’un autre peuple non identifié, mais pense que la stèle de Mesha pourrait permettre d’en savoir plus.

Vue aérienne du site de Khirbat Atarus dans le centre de la Jordanie. (Crédit : APAAME)

« Après la destruction de ce temple, un sanctuaire moabite a été érigé sur le site et date de la fin du 9e début du 8e siècles avant l’ère commune. Ainsi, Atarus est un site vitrine illustrant ce qui était moabite et non moabite (Israélite ?) », explique Ji dans un e-mail.

La nature du royaume moabite fait encore l’objet de débats dans la communauté universitaire, indique Ji, qui tente de déterminer s’il s’agissait d’un véritable royaume ou d’une confédération de groupes tribaux. Il pense que le royaume moabite s’est emparé d’un territoire à l’est du Jourdain au détriment du royaume nord d’Israël et que, comparable à Judah ou Israël, le roi Mesha « s’est imposé de facto comme roi » qui a apporté la prospérité économique et la stabilité politique.

Le royaume moabite « a peut-être aussi eu une courte existence, et son système politique était quelque peu fragmenté plutôt qu’entièrement centralisé. Ce type de limite socio-économique est peut-être liée à la nature non grandiose de l’architecture moabite et de sa culture matérielle », a expliqué le directeur des fouilles au Times of Israel.

Il existe également des preuves archéologiques de l’influence des Peuples de la mer et des Philistins sur le site jordanien, explique-t-il. Dans les couches du temple pré-moabite, des indications concernant la culture phénicienne et égyptienne sont ainsi présentes sur certains objets. « Les Moab et la région occidentale semblent avoir été en contact », note-t-il, probablement via la vallée du Jourdain.

Y avait-il alors des Hébreux à Ataroth ?

Dans l’article du Levant, Adam Bean appuie avec prudence l’hypothèse qu’avait formulée publiquement Rollston en 2011, à savoir que le mot « Hébreux » pourrait figurer dans l’Inscription B très endommagée.

« Dans l’article, nous soulignons que cette interprétation est possible, et plausible, mais pas certaine. Les incertitudes du contexte environnant apparaissant à la ligne B.1 rendent difficiles d’en dire plus pour l’instant. C’est évidemment une possibilité fascinante concernant l’utilisation historique de ce terme », indique Adam Bean au Times of Israel.

L’autel gravé datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e avant l’ère commune, retrouvé dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Atarus, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation : Adam Bean)

Pour l’universitaire indépendant Michael Langlois, dans le cas de l’autel d’Atarus, le mot « Hébreux » signifie « le peuple qui passe ou traverse. Fait intéressant, la même inscription renvoie également aux migrants, utilisant le même mot hébreu ‘ger‘ très fréquent dans la Bible ».

Soulignant que « rien n’est absolu en archéologie et en science », l’archéologue Ji ajoute que considérer que les mots « Hébreux » et « ger » renvoient au mot « étrangers » correspond aux preuves archéologiques retrouvées sur le site.

« L’inscription date de la période post-destruction et porte la signature des Moab. L’inscription d’Atarus désigne donc peut-être les prédécesseurs non-moabites (avant la destruction) du site comme des « étrangers », selon Ji.

Une seule chose est sûre, selon Adam Bean : la signification de l’existence-même du terme « Hébreux » sur l’inscription continuera d’être débattue entre universitaires.

« La rareté de ce type d’inscriptions nous rappelle comme nous en savons peu sur le monde biblique », relève le chercheur.

« Trop souvent, nous observons le monde du point de vue des auteurs bibliques ; pour une fois, nous avons l’occasion de le faire sous un autre angle — depuis la perspective des voisins d’Israël. Comme toujours, il est extrêmement important d’écouter les deux camps pour avoir une idée plus équilibrée de la situation. C’est toujours vrai aujourd’hui », conclut Michael Langlois.

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