Une internaute en lien avec l’assassin de Samuel Paty poursuivie pour complicité
En 2020, le professeur d'histoire-géographie avait été poignardé et décapité près de son collège dans les Yvelines par Abdoullakh Anzorov, réfugié russe d'origine tchétchène
Priscilla M., trentenaire convertie à l’islam, qui était en lien sur les réseaux sociaux avec l’assassin de l’enseignant Samuel Paty en 2020 les jours précédents l’attaque, a vu sa mise en examen aggravée, requalifiée en complicité d’assassinat terroriste, selon des documents consultés par l’AFP.
Jusqu’à son nouvel interrogatoire devant le juge d’instruction le 29 décembre, cette épouse religieuse d’un homme condamné récemment pour un projet d’attentat terroriste était soupçonnée d’ « association de malfaiteurs » terroriste criminelle, une infraction moins grave. Elle demeure libre sous contrôle judiciaire.
Son avocate n’a pas souhaité réagir.
Selon des documents consultés par l’AFP, et également dévoilés par Le Parisien, le juge d’instruction a changé son analyse des faits et estime désormais que l’activité de Priscilla M. sur les réseaux sociaux constitue une complicité. Parce qu’elle a « (renforcé) la détermination d’Abdoullakh Anzorov à passer à l’acte criminel », « (facilité) la localisation de la victime » et lui « a (donné) les arguments idéologiques pour commettre l’assassinat de Samuel Paty ».
La justice l’accuse également d’avoir tenu informé Anzorov, à sa demande, de l’absence de sanction contre l’enseignant qu’elle aurait vue comme « l’illustration de la non sanction du blasphème ».
Le 16 octobre 2020, ce professeur d’histoire-géographie, 47 ans, avait été poignardé puis décapité près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), par Abdoullakh Anzorov, réfugié russe d’origine tchétchène, tué peu de temps après par la police.
L’homme de 18 ans, radicalisé, lui reprochait d’avoir montré en classe des caricatures de Mahomet. Dans un message audio en russe, il a revendiqué son geste en se félicitant d’avoir « vengé le prophète » insulté à ses yeux par M. Paty.
Il avait pris connaissance de la polémique autour des caricatures via une vidéo sur internet réalisée par Brahim Chnina, père d’une collégienne visée par une exclusion pour indiscipline.
L’adolescente avait menti à son père : elle avait assuré avoir été sanctionnée pour s’être élevée contre la demande de M. Paty faite aux élèves musulmans, selon elle, de se signaler lors de ce cours sur les caricatures, auquel elle n’avait pas assisté.
« Je n’aurais pas dû »
Les enquêteurs soupçonnent que c’est par Priscilla M. qu’Anzorov a vu pour la première fois la vidéo de Brahim Chnina, virulente à l’encontre de Samuel Paty, qui commençait à circuler sur internet.
Indignée par le récit de cette « discrimination » – qui n’a pas eu lieu – cette Nîmoise de 33 ans partage la vidéo. Anzorov, qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’a jamais rencontré, la contacte alors en privé sur Twitter.
A partir du 9 octobre, cette mère de deux enfants, qu’elle élève seule, convertie à l’islam depuis le lycée, a donc échangé avec lui sous le pseudonyme « Cicatrice sucrée » sur les réseaux sociaux plusieurs messages.
« J’aurais dû, c’est vrai, attendre les explications avant de partager » la vidéo, a-t-elle reconnu devant le juge, se défendant d’avoir « à aucun moment » « cherché à motiver cet acte-là » (l’assassinat).
Mais selon le juge, au cours de la conversation avec Anzorov, Priscilla M. tient « des propos incitant à la haine du professeur ».
« Cette histoire de discrimination me parle mais, sur le moment, je ne me dis pas qu’il peut avoir des pensées terroristes. Comment j’aurais pu imaginer ça ? », a-t-elle poursuivi. « Je n’aurais pas dû discuter avec des inconnus sur ces sujets-là. C’est une leçon que je retiens de cette affaire. »
Selon les enquêteurs, Priscilla M. a eu des contacts avec plusieurs personnes de la mouvance islamiste radicale, qu’elle assure ne pas connaître pour la plupart.
Elle était aussi très proche, entre avril 2020 et juin 2021, de la mère de l’un des assaillants du Bataclan, Foued Mohamed Aggad, qu’elle a rencontrée lors de leurs visites à des proches en prison.
Au moins quinze personnes sont mises en examen dans ce dossier, dont six collégiens, le père de l’adolescente et le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui.
Ce dernier, interrogé récemment par les juges, est toujours en détention provisoire. « Pourquoi et sous quel prétexte maintenir en détention et à l’isolement un homme malade de 63 ans et ce alors que comparativement d’autres mis en examen qui ont eu des liens avérés avec le terroriste sont en liberté? Le deux-poids, deux-mesures est manifeste dans ce dossier », ont dénoncé ses avocats Me Elise Arfi, Ouadie Elhamamouchi et Sefen Guez Guez.