Une Israélienne capture les instants de sa vie brisée par le deuil
Sarah Muchtar partage la réalité dépouillée de la vie qui continue malgré le traumatisme dans l'exposition ‘By a Thread,’ présentée au Wolfson Museum de Jérusalem
La galerie du musée qui accueille la première exposition de photographies de Sarah Muchtar présente quatre murs blancs où sont accrochés ses clichés – de larges portraits ou des oeuvres plus modestes offrant des aperçus intimes de la tragédie qui a complètement bouleversé sa famille, il y a deux ans.
L’exposition, intitulée « By a Thread », a ouvert ses portes le 26 décembre au Wolfson Museum d’Art juif, à Jérusalem – un espace situé au troisième étage appartenant à la Synagogue historique Heichal Shlomo, dans le centre de la ville sainte. Elle est à découvrir jusqu’au 22 mars.
Au mois de juillet 2017, la voiture de la famille Muchtar – où elle se trouvait en compagnie de son mari, Alon, et de quatre de leurs cinq enfants – a été percutée par un camion, sur une route tranquille du nord d’Israël. C’était l’été et le couple se trouvait pour les vacances, comme tous les ans, avec la famille élargie d’Alon. Le véhicule était le premier d’un convoi de cinq voitures.
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Alon, 48 ans, et deux de leurs enfants – Ella, âgée de 13 ans et le benjamin, Yoel, 7 ans – ont été tués sur le coup.
Sarah Muchtar a été hospitalisée plusieurs semaines, grièvement blessée. Au cours des mois qui ont marqué sa guérison et sa rééducation, aux côtés de ses enfants survivants, elle s’est emparée de son appareil photo et elle a commencé à immortaliser par l’image des instants de sa nouvelle vie brisée.
La photographie n’était pas un terrain inconnu pour l’artiste. Cette femme, native de Philadelphie qui s’était installée en Israël lorsque sa famille avait déménagé dans le pays, alors qu’elle avait onze ans, avait fréquenté l’école d’art Musrara avant d’intégrer l’Académie des Arts et du design Bezalel.
Au cours des années qui avaient suivi, elle avait épousé Alon et s’était focalisée sur sa famille et sur l’éducation de leurs cinq enfants. Elle avait continué à prendre des photos – des enfants en grande partie. Mais l’appareil photo s’est depuis imposé à elle pour des raisons différentes.
Elle l’utilise dorénavant pour capturer l’image de sa plus jeune fille, qui a alors 11 ans et qui dort avec elle dans le même lit. Elle photographie également les baskets de Yoel et son tricycle, les roues enfoncées dans les couches de feuilles, dans le jardin ; ou les vêtements de son mari soigneusement rangés dans le placard de leur chambre.
Et mois après mois, après le drame, Muchtar a continué à photographier les images qui suscitaient en elle de l’émotion. Parfois, ce sont des objets intimes : Un débardeur d’Alon, une barboteuse de bébé, le tzitzit de Yoel, le canard en plastique de son plus jeune fils sur le sol de la douche. A d’autres moments, ce sont des objets extérieurs qui l’ont émue, une pile de clémentines en train de pourrir dans le jardin ou bien trois pierres posées sur le côté de la route.
« Il faut que je capture le moment. Il faut que ce soit authentique, comme ce serait le cas d’un journal », explique Muchtar. « C’est un journal très intime. Je l’ai fait juste pour moi – je ne pensais pas que je pourrais montrer ce que je ressentais à qui que ce soit. C’était une démarche très intuitive. C’était ce qui me permettait de me souvenir d’eux, une manière de peindre les sentiments que j’éprouvais ».
C’est l’extrême dépouillement des photographies – des fruits sombres sur un tas de feuilles mortes, des pierres d’ardoise grises, la trace d’un profil – qui donne sa force et sa puissance à l’exposition.
Muchtar n’avait pas prévu de présenter au public ces portraits intimes. Elle en avait montré quelques-uns à un ami, qui avait été impressionné par l’ensemble des clichés. Muchtar avait ensuite rencontré la photographe et conservatrice de musée Vardi Kahana, et les deux femmes auront travaillé côte à côte pendant près d’un an, rodant et triant la collection de photographies.
Kahana ne voulait pas, à l’origine, être la conservatrice de cette exposition.
« J’ai dit : ‘Merci mais non merci », explique Kahana. « Je ne voulais pas entrer dans ce tourbillon d’émotions ».
Ses raisons étaient bonnes.
« Le travail d’un conservateur est semblable à celui d’un éditeur », ajoute Kahana. « Il faut savoir dire quand les choses ne vont pas. C’est une sorte de dialogue qui, par moments, peut être critique ou un peu condescendant et qui peut être dur – et c’est d’autant plus le cas dans un projet pour celui-là où l’artiste a mis son cœur sur la table. J’avais déjà eu ce genre d’expérience avec ce type d’oeuvres nées dans le deuil et ça m’a effrayée », continue-t-elle.
Elle a pourtant été profondément émue par les photographies de Muchtar quand elle les a découvertes. Kahana a alors dit à Muchtar qu’elle accepterait d’être la conservatrice de l’exposition si toutes deux parvenaient à se montrer « super professionnelles ».
« Si certains cadrages ne sont pas bons ou s’ils se répètent, cela ne va pas m’effrayer », a-t-elle dit à Muchtar.
Cette dernière a compris. S’étant accoutumée à « dresser un mur » entre ses émotions et sa personne, il n’y avait finalement pas de différence. Et en même temps, ce développement professionnel était quelque chose que son mari, Alon, souhaitait vivement pour elle.
L’organisation de l’exposition a été un long dialogue, dit Kahane. Il y a eu la sélection des portraits surdimensionnés, cérémonieux, qui montrent l’émotion et l’attention portée à Muchtar aux détails, dit Kahane. Il y a également des photos plus petites prises avec un téléphone, lorsque Muchtar était encore physiquement amoindrie et que le téléphone était le seul objet qu’elle réussissait à tenir entre ses mains.
Environ trois douzaines de clichés en tout sont présentés dans l’exposition, avec un mur consacré aux abords de l’habitation de Muchtar et un autre à l’intérieur. Il y a des portraits d’une dent de lait, d’un canard en plastique ; d’objets du quotidien devenus symboliques en raison de la catastrophe qui a frappé la famille.
Il n’y a ni titre, ni explication sous les photos – juste une introduction de Kahana qui crée un élément narratif dans l’exposition.
« C’est, finalement, l’histoire de ce que nous avons traversé », dit Muchtar, « une vie qui ne tient qu’à un fil. »
L’exposition s’appelle, en hébreu, « Al Bli-ma » – un jeu de mots qui signifie également « tenir dans l’Ether, dans le ciel, en enfer » – un sentiment que Muchtar dit ressentir une grande partie du temps.
De nombreuses manières, Muchtar a avancé – avec le travail mené pour l’exposition, le passage de son permis de conduire et une formation commencée pour devenir enseignante dans le domaine de la thérapie par la photographie.
Ses enfants survivants ont, eux aussi, repris le chemin de la vie. Ils sont retournés à l’école, dans leurs groupes de jeunes, et regardent l’avenir.
Ils soutiennent son travail de photographie, et taquinent leur mère sur les tournants inattendus et inhabituels que peuvent prendre ses clichés.
« Mes enfants me disent toujours : ‘C’est bizarre, maman, tu voudras sûrement prendre une photo de ça’, » dit-elle.
Mais le traumatisme et la tragédie restent au centre de leurs existences.
Le seul élément non-photographique sur lequel Muchtar a insisté, pour l’exposition, a été l’installation de douzaine de bougeoirs de commémoration en verre – vides des bougies qu’elle allume encore chaque semaine depuis que les membres de sa famille ont été tués. Ils ont été placés, en rang, dans une petite salle en verre, à la sortie de l’exposition.
« L’expérience artistique que vous tirez de l’oeuvre de Sarah est claire », dit Kahana. « C’est vrai qu’elle avait appris la photographie il y a vingt ans et qu’elle n’a pas fait carrière, et que c’est cette tragédie qui l’y a ramenée. Sarah ouvre un orifice sur ce qu’elle traverse et elle nous dit : ‘Vous pouvez toucher la douleur, vous pouvez la regarder’. »
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