Une Israélienne : mes parents voulaient détourner un avion soviétique
Le nouveau documentaire d'Anat Zalmanson-Kuznetsov, intitulé ‘Operation Wedding’, dévoile un chapitre peu connu du combat des Juifs soviétiques pour la liberté
La réalisatrice israélienne Anat Zalmanson-Kuznetsov a grandi en sachant que ses parents étaient des héros. Mais dans son nouveau documentaire intitulé « Operation Wedding », elle pose la question à son père : « Vous étiez des terroristes, papa ? »
« Certainement, nous étions des terroristes », répond-il en riant. « Mais je te l’ai dit : Nous étions de bons terroristes ».
En 1970, Sylva Zalmanson et Edward Kuznetsov, qui venaient de se marier, figuraient parmi 16 pirates de l’air en devenir. Leur plan ? Monter dans un petit avion, neutraliser les pilotes et les abandonner sur la piste pour tenter de quitter l’Union soviétique en direction d’Israël.
Kuznetsov, leader du groupe, avait été reconnu coupable par un tribunal soviétique et condamné à mort devant un escadron. Lors de son procès, la seule parole prononcée par Zalmanson avait été : « L’année prochaine à Jérusalem ». Elle avait été condamnée à dix ans d’incarcération.
Et maintenant, Zalmanson-Kuznetsov a décidé de faire la chronique de l’épreuve vécue par ses parents dans un film qui a déjà remporté un prix dans un festival international de documentaires indépendants. C’est le tout premier long-métrage concernant l’incident qui a été réalisé hors de Russie.
Le documentaire a également été projeté lors du festival du film juif de Washington, le samedi 20 mai.
Le film porte le même nom que celui donné par les pirates de l’air à leur opération – qui s’était appuyée sur un mariage auxquels ils prétendaient devoir ostensiblement se rendre. Leur véritable objectif était de s’enfuir illégalement au-delà des frontières internationales et d’atterrir en Israël. Des visas de sortie avaient été refusés au groupe, qui avait estimé que le détournement d’avion était le seul moyen qui leur était offert pour s’échapper. Toutefois, le KGB avait découvert le complot et arrêté tous les acteurs de l’opération sur la piste avant même qu’elle n’ait commencé.
Zalmanson-Kuznetsov ne veut pas penser à ses parents comme à des « gens mauvais ». Dans le film, elle recherche le mot « terroriste » dans le dictionnaire et lit sa définition à voix haute. Cette dernière indique qu’un terroriste est une personne qui « agit avec violence, majoritairement contre des civils, pour atteindre des objectifs socio-politiques en créant la peur et la panique dans le public ».
« Vous n’étiez donc pas des terroristes », dit-elle à son père.
Les seize pirates de l’air étaient les seuls passagers qui devaient se trouver à bord – ils avaient acheté l’ensemble des sièges pour le vol. Ils s’étaient procuré des sacs de couchage et une tente pour les pilotes, pour qu’ils ne souffrent pas du froid avant qu’on ne les retrouve. Ils avaient également prévu de leur donner une bouteille de vodka et un vaccin anti-tétanos.
Mais du point de vue des autorités soviétiques, bien sûr, les pirates de l’air étaient des criminels.
« Indépendamment des motivations des pirates de l’air, c’est un acte criminel », confirme l’ancien agent du KGB Oleg Kalugin lors d’un entretien téléphonique accordé au Times of Israel. « Des innocents auraient pu être tués. De telles actions sont dangereuses pour les centaines ou milliers de personnes qui n’ont rien à voir avec elles ».
Kalugin, 82 ans, qui vit dorénavant aux Etats-Unis en raison de désaccords avec le leader russe Vladimir Poutine, a été interviewé par Zalmanson-Kuznetsov pour le film et invité à se rendre samedi à la projection.
« Il n’a jamais vu le film auparavant. Je me sens très nerveuse à l’idée de savoir comment il y répondra », indique Zalmanson-Kuznetsov.
Zalmanson-Kuznetsov a également interrogé Philipp Bobkov, qui, en tant que vice-directeur du KGB, avait la charge de l’arrestation de ses parents. Dans le film, il explique que cela relevait de la responsabilité de l’agence d’empêcher les détournements, au même titre que celui des attentats terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis.
La réalisatrice note que le récit de Bobkov de l’histoire était tellement astucieux qu’elle s’était sentie dans l’obligation de réduire ses interviews dans le film, de peur que les spectateurs ne soient tentés de croire ce qu’il disait.
« Il ne faisait que mentir tout le temps. Il est très convaincant, c’est difficile de résister », commente Zalmanson-Kuznetsov.
Pour Zalmanson-Kuznetsov, la partie de l’histoire la plus dérangeante concerne les conditions misérables dans lesquelles ont vécu ses parents pendant les années passées en prison. Le pain dont ils étaient nourris par les Soviétiques était humide au point qu’il en était presque immangeable. Sa mère avait été placée à l’isolement, dans une pièce sans fenêtre qui était si glaciale qu’elle tentait de se protéger du froid en s’enroulant dans du papier journal (pendant longtemps, après sa libération, elle a rêvé qu’elle était encore à l’isolement).
Il a fallu des années à son père pour obtenir un matelas sur lequel dormir. Il avalait du papier roulé pour cacher le livre qu’il écrivait aux gardiens de prison. En 1973, son ouvrage « Journal de prison », a été publié à l’étranger.
Dans le film, la mère de Zalmanson-Kuznetsov retourne dans une prison de Roga où elle a passé une partie de sa peine. Cette prison est devenue le musée de l’Occupation de Latvia.
Dans ce qui était une cour de prison, Zalmanson danse la valse, seule, comme elle le faisait lorsqu’elle était prisonnière, sans musique, pour se souvenir de ce qu’était la liberté. Les gardiens l’observaient du haut.
Grâce à un travail étonnant de diplomatie internationale, les pirates de l’air ont finalement été sauvés. Au cours d’une manoeuvre surprenante, la Première ministre israélienne Golda Meir a envoyé un message au dictateur fasciste espagnol Francisco Franco, le convaincant d’accorder sa grâce à six terroristes basques qui étaient condamnés à mort.
Meir avait espéré que « Brejnev le communiste tenterait de prouver qu’il était plus humain que Franco le fasciste », raconte Zalmanson-Kuznetsov dans le film.
Et ça a marché. Les condamnations à mort des deux pirates de l’air, dont le père de la réalisatrice, ont été commuées en quinze ans d’emprisonnement. Les parents de Zalmanson-Kuznetsov ont été finalement échangés contre des espions soviétiques et libérés. Sa mère est restée quatre ans en prison, son père neuf ans.
Deux ans et demi après sa libération, Zalmanson avait commencé une grève de la faim qui avait duré 16 jours pour obtenir la libération de son mari ou du moins être autorisée à lui rendre visite. Ce jeûne l’avait menée à l’hôpital et, tandis qu’elle recevait l’attention des médias, elle n’avait rien obtenu de la part des autorités soviétiques. De manière ironique, lorsque son mari avait été finalement libéré, le couple avait divorcé seulement quelques mois après s’être retrouvé. La famille avait toutefois pu réaliser son rêve de rejoindre Israël.
Les autres pirates de l’air avaient été aussi libérés. Les deux hommes non-juifs dans le groupe avaient écopé des plus longues condamnations, de 14 et 15 ans. Même après avoir été libérés, ils n’avaient pas été autorisés à quitter le pays avant l’effondrement de l’Union soviétique. Ils vivent maintenant à New York.
« Je pense que pour les Soviétiques, le fait qu’ils n’étaient pas juifs a été encore davantage ressenti comme une trahison », commente Zalmanson-Kuznetsov.
Pour Zalmanson-Kuznetsov, faire le film a été tellement prenant que lorsqu’elle l’a terminé, elle a réalisé que quatre années s’étaient écoulées. Et pourtant, elle prévoit maintenant de faire un film de fiction sur le détournement pour dépeindre de manière encore plus vivace que cela n’avait été le cas dans le documentaire les souvenirs de ses parents. Elle a déjà une idée d’une telle scène.
Dans ce qui était une cour de prison, Zalmanson danse la valse, seule, comme elle le faisait lorsqu’elle était prisonnière, sans musique, pour se souvenir de ce qu’était la liberté. Les gardiens l’observaient du haut.
« Ma mère a été libérée dans les vêtements qu’elle portait en prison un vendredi soir. Elle n’avait pas un sou et tout ce qu’elle avait, c’était un billet de train pour Moscou le jour suivant. Elle a marché dans les rues dans ses habits de prisonnière, raconte Zalmanson-Kuznetsov.
Le jour suivant, elle s’est rendue dans un magasin de vêtements en portant encore ses vêtements carcéraux et elle en est ressortie dans une robe rouge.
« Operation Wedding » a été filmé en hébreu, en russe et en anglais. Le film est dorénavant visible dans le monde entier. Pour la liste des futures projections, rendez-vous sur : http://www.operation-wedding-d ocumentary.com
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