Une lettre de Germaine Tillon à la Gestapo pleine d’ironie refait surface
Six mois après son arrivée au camp, la grande résistante, rescapée de Ravensbrück, avait adressé une lettre de doléances pleine d'humour à ses geoliers
L’ethnologue spécialiste du monde berbère, et grande résistante durant la Seconde Guerre mondiale, a été déportée au camp de Ravensbrück le 21 octobre 1943. Dès son retour, à la tête d’une équipe de déportés elle compilera tous les documents et témoignages utiles pour ne pas oublier l’histoire du camp de Ravensbrück. En 2015, ses cendres furent transférées au Panthéon.
Dans cette lettre (exhumée par le site deslettres.fr, publiée sur Slate), datée du 3 janvier 1943, Germaine Tillon s’adresse directement à la Gestapo, à qui elle demande méthodiquement et avec humour, pourquoi au juste a-t-elle été arrêtée.
« Ne sachant encore au juste de quoi m’inculper et espérant que je pourrais suggérer moi-même une idée, on me mit, pendant trois mois environ, à un régime spécial pour stimuler mon imagination » écrit-elle.
« Malheureusement, ce régime acheva de m’abrutir et mon commissaire dut se rabattre sur son propre génie, qui enfanta les cinq accusations suivantes, dont quatre sont graves et une vraie », continue-t-elle.
La lettre que l’on pourra lire in extenso sur le site consacré à la culture épistolaire recèle plusieurs pépites, drôles malgré le drame au milieu duquel se trouve Germaine Tillon, dont la mère mourra à Ravensbrück.
Quand on l’accuse d’avoir caché des parachutistes alliés, elle rétorque qu’hébergeant sa grand-mère de 93 ans qui « cause volontiers » et sa femme de maison « une excellente femme, mais la plus bavarde et la plus peureuse du département » l’entreprise n’aurait pas pu être très envisagée sérieusement
Elle raconte aussi comment le policier allemand, armé d’un dictionnaire pour pallier son absence de maîtrise de la langue française a tenté de lui expliquer l’accusation qui avait entraîné son arrestation.
« Après avoir consulté (d’un œil un peu trop rapide) le dictionnaire, mon commissaire me dit : ‘Vous êtes accusée d’avoir voulu naturaliser la police allemande et les traîtres français’, raconte-elle. Il se rendit compte que ça ne ‘collait’ pas, car il repiqua dans son lexique. Simple lapsus. […] Pendant que je réfléchissais sur ce thème, mon commissaire, émergeant enfin de son dictionnaire me disait : ‘Cette fois, je sais. Vous êtes chargée de rendre leur innocence aux membres de la police allemande’ ! »
Après la guerre, Germaine Tillon fut l’une des architectes des Centres sociaux, et une actrice active de la guerre d’Algérie, reçue aussi bien par la guérilla algérienne que par le Général De Gaulle.
Elle est décédée le 19 avril 2008.